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Au cœur de l'Auvergne

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CHAPITRE VII

Patois ou langue ? La thèse nationale ; la critique philologique. — Les études de M. Antoine Thomas et de M. Albert Dauzat. — Patois et patois de la Dore à la Cère. — Le patois du Livradois. — R. Michalias. — A la Marianne d’Auvergne. — Le patois, verbe de la race.

Le Patois d’Auvergne…

Mais on n’a pas plutôt prononcé le mot de patois que d’intransigeants arvernophiles vous apostrophent avec véhémence :

— Du patois, le parler d’Auvergne ? C’est une langue

Et en avant un groupe d’arguments désuets qui flattaient évidemment notre amour-propre aborigène, mais que déciment les preuves mobilisées par les linguistes sans pitié. Comment notre orgueil ne se serait-il pas réjoui d’entendre démontrer victorieusement que le patois cantalien, tant discrédité et honni, n’était autre que le dialecte celtique, usité des bardes et des druides ! Ainsi, l’idiome ancestral s’était maintenu, indestructible comme le rocher de basalte, parmi les invasions étrangères et la course des siècles ; il avait coulé, roulé jusqu’à nous, comme la rivière et la cascade dont l’élan n’a pas été tari pour quelques éboulements de pierres, pour des végétations insolites en travers de leurs eaux millénaires !

Que de raisons spécieuses de faire confiance à la thèse nationale ! Elle se résume en deux vers de Lucain :

Arverni latios ausi se dicere fratres
Sanguine ab Iliaco populi…

Arvernes et Latins ont même origine, à laquelle tous deux doivent leurs langues contemporaines. Mais tandis que le latin évoluait avec la civilisation romaine, l’Auvergnat, parmi des populations retirées aux montagnes, demeurait rudimentaire, réduit au minimum d’expressions suffisant à la vie pastorale, restreint au parler, sans écriture ni littérature. Donc, nulle dérivation du latin. La conquête romaine ? Elle ne poussa pas de colonisation effective dans la montagne aux habitants dispersés, sans écoles, sans routes, sans relations ni contact avec l’envahisseur. Comment l’Arverne farouche des premiers siècles de notre ère se serait-il défait de son langage coutumier, dans son habitat inaccessible, alors qu’après treize cents ans de pénétration française, de vie française, après le chemin de fer et l’instituteur, le patois résiste, ne s’est pas perdu encore ? Au reste, le gaulois existait si bien au IIIe et au VIe siècles qu’à partir d’Ulpien, dont Justinien renouvelait les décisions dans les Pandectes, la législation romaine autorisait le témoignage en langue gauloise devant les tribunaux.

Voilà pour le patois-langue d’Auvergne, perpétué dans les campagnes jusqu’à nos jours, indépendant du latin officiel, du roman littéraire, du français en devenir, qui vécurent, disparurent, se transformèrent dans les villes, aux besoins, aux goûts, au génie des classes supérieures.


Eh bien ! la terrible philologie n’entend pas se contenter de ces raisonnements d’apparence si plausible… Elle prend le patois corps à corps, mot à mot, syllabe par syllabe, et, de cette recherche de la paternité, conclut scientifiquement qu’il n’est pas fils du celte, frère du latin, mais un bâtard, cousin dégénéré du roman, un parent pauvre de la famille d’oc.

Pourquoi les Gaulois parlèrent latin ? M. Eugène Lintilhac nous l’explique à merveille dans sa brillante Histoire élémentaire de la Littérature Française :

Que du Ier au VIe siècles, plusieurs millions d’hommes aient pu en arriver à oublier graduellement leur langue, certes voilà qui étonne d’abord, froisse notre amour-propre national et excuse certains paradoxes étymologiques ; mais ce fait, outre son évidence historique, est corroboré avec un détail suffisant par des textes aussi curieux que décisifs.

D’ailleurs, cet oubli s’explique principalement, en dernière analyse, par les causes suivantes : l’ascendant d’une civilisation supérieure telle que, dès le premier siècle de notre ère, la culture latine tend à prévaloir sur la culture grecque dont Marseille est le centre : les nécessités des relations militaires, commerciales, administratives et judiciaires, entre vainqueurs et vaincus ; les habiletés de la politique romaine, qui allèrent, dès César, jusqu’à faire sénateurs de nobles Gaulois, et, sous Claude, jusqu’à offrir l’accès des emplois publics aux Gaulois, sachant le latin, que l’on trouve dans les plus hautes charges à partir du IIe siècle ; les violences de la conquête et les persécutions que l’on croit avoir été exercées contre le druidisme sous Tibère et ses successeurs ; enfin, les séductions de la paix romaine. Il y faut joindre aussi des causes secondaires, telles que les suivantes : l’absence de textes écrits dans la langue nationale ; la curiosité pour les journaux officiels des Romains ; la vogue et l’imitation de leur littérature dans les hautes et moyennes classes qui fréquentaient leurs nombreuses écoles ; les antiques affinités de race ; enfin, cette souplesse du génie et cet amour de la nouveauté que les anciens historiens nous signalent comme des traits du caractère celtique.

A quoi bon se contrister d’une origine qui n’est pas si humble, puisque le français ni le provençal ne la renient. Et l’Auvergne qui, à la période romane, a fourni les plus célèbres troubadours :

Icil d’Alverne i sunt li plus curteis,
(Ceux d’Auvergne sont les plus courtois)

dit la Chanson de Roland ; l’Auvergne à qui le monde doit, avec Blaise Pascal, le plus formidable écrivain français ; l’Auvergne n’a point à se croire diminuée de ce que son idiome ancestral n’aura pas tous les quartiers de vieillesse que lui octroyèrent des partisans plus zélés qu’érudits. Au XVIIIe siècle la Celto-manie, comme l’appelait Voltaire, n’allait-elle pas jusqu’à faire du Celte la langue du Paradis terrestre où Adam et Ève auraient parlé bas-breton ou auvergnat !

Tel que, un Vermenouze ne vient-il pas de tirer de l’Auvergnat des accents propres à lui constituer dans l’histoire de la renaissance félibréenne des titres littéraires préférables à ceux d’un obscur et contestable atavisme ?

Pour moi, je n’entends pas abaisser l’auvergnat en le qualifiant de patois. Mais il me semble lui garder ainsi son caractère de famille, un peu lointain, sauvage et mystérieux, qui ne saurait être compris au delà des limites de la petite patrie ! Le patois, je dirais donc, le plus souvent, et, mieux, notre patois : car le patois d’Auvergne diffère, non seulement de département à département, mais de commune à commune.

On a voulu résoudre d’un coup, en quelques mots, la question des origines et de la formation de la « langue d’Auvergne », alors que l’étude des sources du patois est à peine entreprise, et exigerait des enquêtes savantes, minutieuses, innombrables :

Malgré l’activité qui s’est développée sur ce point, nous n’avons encore des dialectes qu’une connaissance tout à fait insuffisante attendu que les matériaux dont nous disposons sont très incomplets, qu’ils ont été recueillis en grande partie sans critique, qu’on a fait œuvre d’amateur au lieu de suivre une méthode rigoureuse conduisant à un but bien déterminé.

Ainsi s’exprime un savant allemand, cité par M. Antoine Thomas, dans sa Préface aux Études linguistiques sur la Basse-Auvergne[9] de M. Albert Dauzat. M. Antoine Thomas ajoute :

[9] Bibliothèque de la Faculté des Lettres de Paris, IV, 1897 (Félix Alcan).

Dresser l’atlas phonétique de la France, non pas d’après des divisions arbitraires et factices, mais dans toute la richesse et la liberté de cet immense épanouissement linguistique, telle est la tâche à laquelle M. Gaston Pâris conviait naguère les membres du Congrès des Sociétés Savantes. Il ne dissimulait pas que pour arriver à réaliser cette belle œuvre, il faudrait que chaque commune d’un côté, chaque forme, chaque mot, de l’autre, eût sa monographie purement descriptive, faite de première main et tracée avec toute la rigueur d’observation qu’exigent les sciences naturelles.

Plus loin M. Antoine Thomas regrette que l’Auvergne soit une des régions les moins connues quant à ses patois :

Le livre de M. Doniol, membre de l’Académie des Sciences Morales, intitulé Les Patois de la Basse-Auvergne, phonétique historique du Patois de Vinzelles (Puy-de-Dôme) témoigne d’une ignorance complète de la méthode linguistique.

Toute cette préface est à lire[10]. Puisse-t-elle exciter les chercheurs laborieux et décourager les vocations faciles.

[10] « Il y a assez loin de Murat (Cantal) à Vinzelles (Puy-de-Dôme) ; le premier est dans la Haute-Auvergne, le second dans la Basse-Auvergne. Il ne faut pas que l’emploi en linguistique du vocabulaire de la géographie administrative puisse donner le change sur l’état de choses réel. Comme il est à peu près impossible de se passer de termes géographiques d’une compréhension plus ou moins étendue, autant vaut faire appel à l’ancienne nomenclature, qui a pour elle la consécration d’un usage plusieurs fois séculaire, qu’à celle que nous devons à la Révolution. Mais il n’y a aucun lien nécessaire entre les variétés du patois et les anciennes divisions territoriales civiles ou religieuses à quelque époque qu’elles puissent remonter. La Basse-Auvergne ne forme pas plus une unité linguistique vis-à-vis de la Haute-Auvergne que l’Auvergne tout entière, considérée en bloc, n’en forme une vis-à-vis des provinces limitrophes : Bourbonnais, Manche, Limousin, Quercy, Rouergue, Gévaudan, Velay et Forez. Quant à retrouver les limites exactes des anciennes peuplades gauloises par l’étude de l’état actuel des patois, c’est une pure illusion. Il est encore moins permis en Auvergne qu’ailleurs de s’y abandonner, tant les faits qui vont à l’encontre sont précis et indéniables. Nous connaissons très bien les anciennes limites du diocèse de Clermont, et nous sommes à peu près certains que ces limites remontent à l’établissement même du christianisme en Gaule. Dès cette époque tout le territoire du département actuel du Cantal dépendait de la civitas Arvernorura et Aurillac (Aureliacus) y figurait au même titre que Saint-Flour (Indiacus). Or, l’arrondissement d’Aurillac se sépare du reste du département du Cantal au point de vue linguistique si l’on tient compte d’un phénomène phonétique très saillant, le traitement des sons primitifs c et g devant la voyelle a : le c et le g sont demeurés intacts, conservant leur son explosif comme dans les provinces plus méridionales (Quercy et Rouergue), tandis que dans le reste du département, comme dans la Basse-Auvergne et toutes les provinces limitrophes (sauf le Quercy et le Rouergue) le c et le g ont cédé la place, à un moment donné, aux sons fricatifs ch et j qui ont continué leur évolution et qui la continuent encore pour ainsi dire sous nos yeux. A quoi attribuer ce schisme linguistique qui contraste si singulièrement avec l’unité religieuse et administrative qui n’a jamais été rompue entre Aurillac et Saint-Flour ! M. Dauzat a inscrit en tête de son travail un titre plus large que le sujet qu’il traite actuellement : Études linguistiques sur la Basse-Auvergne. C’est un engagement pour l’avenir. J’espère qu’il le tiendra, et même, pour les raisons que je viens d’indiquer, qu’il fera de l’Auvergne tout entière le champ de ses recherches. La pleine possession du patois de Vinzelles lui rendra facile et rapide l’étude comparative des autres parlers, — et quelques nouveaux efforts d’activité scientifique lui permettant de conquérir de proche en proche toute la province, je voudrais le voir alors faire l’essai de la monographie phénoménale (si je puis m’exprimer ainsi) ; après celui de la monographie locale : chaque son, chaque forme, chaque mot peuvent être étudiés au point de vue de leur répartition dans la masse linguistique tout entière, on nous a clairement démontré que les dialectes et les sous-dialectes n’ont pas d’existence réelle, que c’est par une sorte de phénomène sémantique que nous appelons « dialecte auvergnat » le parler des habitants de l’Auvergne et que nous risquons de fausser l’expression à la prendre au pied de la lettre et à vouloir tracer sur une carte le contour du dialecte et ses subdivisions intérieures aussi rigoureusement que nous pouvons le faire pour un arrondissement et les cantons qui le composent. Je ne crois cependant pas que M. Dauzat fasse œuvre vaine en cherchant à répartir en un petit nombre de groupes naturels des centaines d’alvéoles linguistiques agrégées qu’il lui aura été donné au préalable d’étudier une à une. La dialectologie risquerait de demeurer à l’état chaotique si elle n’arrivait pas à se donner une classification analogue à celle qui a tant aidé au progrès des sciences naturelles, classification qui sans faire violence aux faits, permette à l’infirmité de notre esprit de les saisir plus clairement. Il semble que la seule qui ait des chances de répondre à cette double condition doive être une combinaison harmonieuse des résultats de la monographie locale avec ceux de la monographie phénoménale. Qu’on opère sur une province ou sur tout un pays, le problème à résoudre est le même mais peut-être les éléments en sont-ils plus faciles à embrasser et la solution plus facile à entrevoir. Le jour où on aura réussi à classifier définitivement les parlers de l’Auvergne, la classification de l’ensemble des parlers de France qui nous apparaît aujourd’hui presque comme impossible, en découlera naturellement. »

C’est-à-dire qu’il faut devenir prudents, et que l’heure est passée de la philologie de sous-préfecture, de sacristie, et de château, où le juge de paix, l’abbé, le châtelain, l’officier de santé, l’instituteur, se croyaient des lumières suffisantes, avec de la bonne volonté, pour s’aventurer dans les recherches les plus ténébreuses et les plus complexes de l’histoire locale et des parlers du terroir ! Tout cela qui, jadis, ne dépassait guère le tour de ville de la petite ville, passionne, aujourd’hui, les professionnels de la philologie, de la dialectologie, de l’étymologie, de la toponymie, de la sémantique. Les savants effacent les vieilles démarcations de la langue d’oïl et de la langue d’oc, du français et du provençal, et tout le morcellement arbitraire du pays, qui :

pourrait devenir funeste s’il s’imposait avec trop de rigueur à notre esprit et s’il nous portait à méconnaître la solidarité des parlers de France. M. Gaston Pâris l’a dit excellemment : abstraction faite du flamand, du breton et du basque, ces trois coins de métal étranger qui encadrent notre cadre linguistique, le fait qui ressort avec évidence du coup d’œil le plus superficiel jeté sur l’ensemble du pays, c’est que toutes les variantes de phonétique, de morphologie et de vocabulaire, n’empêchent pas une unité fondamentale… Voilà pourquoi j’estime que la philologie française peut s’élargir jusqu’à embrasser toutes les manifestations diverses de la parole qui se produisent sur le sol de la France…[11]

[11] Antoine Thomas, Essais de philologie française (avant-propos), 1898. C. Bouillon, éditeur, Paris.

Le patois ! En effet, c’est bientôt dit. Chacun enferme tous les patois dans le patois de son village. Pourtant, écoutez comme la même bourrée diffère du Cantal au Puy-de-Dôme.

Le Patois ! Du patois ! Mais voici que notre grand et nous pourrions dire notre seul vrai poète en patois, Arsène Vermenouze, réchauffé au soleil de Mistral, proteste — avec plus de force et de rime que de raisons :

Naustres que son lou haut-Miet jour
Contau, Obéirou é Louzéro,
Porlon tobe lo lengo fièro
De los onticos cours d’amour.
. . . . . . . . . . . . . .
Lo lengo d’oc, lo lengo maire
. . . . . . . . . . . . . .
Sons s’en obregoungia jiomai,
Des copelots de grondo marco
L’on porlado, è maï d’un mounarco,
Que cresio pas parla potaï
. . . . . . . . . . . . . .
Un potaï oquo ! me fou reire.

Nous qui sommes le haut-Midi, Cantal, Aveyron — et Lozère, — nous parlons aussi la langue fière — des antiques cours d’amour.

....... .......... ...

La langue d’Oc, la langue mère.

....... .......... ...

Sans en rougir jamais, — des prêtres de grande marque — l’ont parlée, et plus d’un monarque, — qui ne croyait pas parler patois.

Un patois, cela ! il me faut rire.

Évidemment, le rude poète de Vielles n’avait guère lu les amoureux troubadours dont il se réclamait ! Car son génie est ailleurs, dans le parler populaire, ignoré et dédaigné, comme le pays et le paysan, des habiles et chevaleresques faiseurs de cansos et de sirventes, dont le bouvier et le pâtre cantaliens n’auraient guère compris les récitations savantes ; dans le patois erratique, oral, qui ne s’était jusqu’à présent aggloméré qu’en quelques refrains anonymes, soutenus par la cobretto — dont auraient rougi les plus pauvres jongleurs, avec leurs instruments, plus affinés, « tout un orchestre d’instruments à corde, à vent et à percussion, violes, harpes, lyres, chalumeau, trompettes, tambourins, sistres et castagnettes ».

C’est dans ce patois inédit, en somme, jusqu’à la Grammaire téméraire et naïve d’Auguste Bancharel, qu’Arsène Vermenouze a chanté, plus qu’il n’a écrit ; en quel état il l’a rencontré, le patois, — sa langue ! — Arsène Vermenouze le rappelle dans une de ses pièces les mieux inspirées :

A LA MARIANNE D’AUVERGNE

De même qu’un « ferrat »[12] au cuivre usé s’altère
Et perd tout son éclat dans le fond d’un souillard,
O toi, ma langue, en vain étais-tu belle et drue,
Il te fallait quelqu’un pour te faire briller.
Je t’ai frottée et, sous les toiles d’araignées,
Sous la poussière, ainsi qu’on voit dans le ciel bleu,
A l’entrée de la nuit, luire l’or des étoiles,
J’ai vu luire à nouveau ton cuivre si joli.
Tu semblais, — pour te mieux comparer, — Cendrillon :
Figure barbouillée, robe pauvre, pieds nus ;
Qui diantre peut, t’ayant connue en ce temps-là,
Dire que ton aspect n’était pas d’un souillon ?
Mais, par un beau matin, comme une fiancée,
Là-bas, je t’ai conduite à la source sous bois,
Où le thym, la bruyère et les genêts en fleurs
Répandent dans les airs leurs sauvages parfums.
Dans l’eau pure que rien de venimeux n’approche,
— Elle jaillit du roc, s’épanche sur le sable
Et seul le rossignol y boit, — dans cette eau pure,
J’ai lavé tes cheveux d’or, mie, et tes pieds mignons.
Oui, j’ai lavé tes pieds, tes mains et ton visage,
Et lorsque je t’ai vue, après, sur la colline,
J’ai pris tes cheveux d’or pour des rais de soleil,
Et tes lèvres, ma mie, pour une double fraise.
Alors, je t’ai cueilli des fleurs en quantités
— Non des fleurs de jardin, mais des fleurs de bruyère,
Pour ton corsage j’en ai fait une guirlande,
Et j’ai vu que tes yeux étaient gonflés de pleurs ;
Gonflés de pleurs de joie et — n’est-ce pas vrai, dis ?
Lorsque tu t’es mirée au miroir de la source,
La rose du bonheur a fleuri sur ton front
Cependant que ton cœur battait pour moi, ma mie.
Et maintenant, avec ta coiffe enrubannée,
Tes deux petits sabots qui foulent l’herbe à peine,
Et les quatre tours d’or de cette longue chaîne
Qui pend sur ton corsage agrémenté de fleurs,
Avec cela, tu n’as pas l’air d’une bergère,
Et le public jaseur qui ne te connaît plus,
De te voir à mon bras, sourit en chuchotant :
C’est un fiancé qui passe au bras de son aimée.

[12] Seau de cuivre.

Le patois, mais c’est par ce qu’il a de pauvre et de simple qu’il nous touche ; par ce qu’il a d’obscur — et que le poète a fait reluire — qu’il nous est cher ; parce qu’il est tout près du cœur de la race et de l’âme du pays…

Une langue souple, vaste, riche, évoluant, de conquêtes en conquêtes, sollicitées par l’innombrable beauté de l’univers et l’infini de la pensée et des sentiments humains, n’a pas le temps d’avoir des attentions et des gentillesses pour chaque caillou, chaque geste, chaque cri des bourgades perdues des petites patries ; elle ne s’aventure pas aux cantons reculés, où l’existence toute pastorale n’a guère changé depuis des siècles et des siècles, où nul des besoins nouveaux n’a appelé des manières nouvelles de sentir et de s’exprimer… là, les hommes à qui les durs travaux rustiques n’ont pas laissé le loisir d’écrire ni de s’exercer aux jeux de la poésie et de l’éloquence tiennent jalousement aux mêmes vieux mots éprouvés, fidèles et sincères qui s’appliquent si fortement et si tendrement aux mêmes vieilles choses familières du champ et de la ferme… Le patois est là, contemporain de l’histoire ancienne de la contrée. Comment ne pas faire confiance à ses dires immuables, à ses antiques et loyaux services ? Car les expressions de terroir ont gardé leur relief originel ; elles sont d’une frappe grossière, mais résistante. Et voici que les savants se tournent vers l’étude des patois méconnus et dédaignés, pour y retrouver le secret initial de la formation des langues…

Mais qu’importe l’origine précise du parler auvergnat — pour les fils de l’Auvergne ! On nous apprendrait demain qu’il descend du chinois que cela ne nous dérangerait guère. Ne resterait-il pas le verbe ancestral ! Pour nous, émigrants, sevrés tôt de la voix maternelle, — même nourris des splendeurs du français, du latin, du grec, c’est toute notre fibre profonde qui tressaille au patois du berceau, quand il nous est redonné de l’entendre, nostalgique, évoquer à nos esprits tumultueux, harassés de l’exode aux cités, la vie salubre, primitive et bourrue de la Montagne…

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