Au cœur de l'Auvergne
CHAPITRE XXIII
La fin de Vermenouze. — Douceur et sagesse. — Les arbres d’Hyères. — Le dernier Noël. — L’Auvergne en deuil.
Cela dura deux ou trois ans, où, à travers de brèves reprises, il se sentait perdu. Il fut incomparable de foi, de sérénité, de bravoure. Il nous a légué le plus pur exemple de résistance humaine dans l’acceptation morale du déclin physique, du rétrécissement des horizons où s’était plu sa robuste activité. La verve du conteur, le rire ont disparu. La mélancolie et la tristesse sont venues, mais une âme imprévue d’exquise douceur se révèle. Le caractère ancien du capiscol nous paraissait dans son inspiration félibréenne tout de loyauté, mais non sans rudesse ; maintenant, le montagnard s’est dépouillé de sa rugosité. Par la foi, il a opéré le miracle de réformer un tempérament jadis prompt et volontaire, désormais soumis à la loi divine ; nulle plainte ne s’échappe de ses lèvres et c’est dans des strophes qui n’ont plus rien de terrestre, d’une adorable pureté de forme, qu’il jette un précieux regard sur les heures évanouies :
De plus en plus, il devait s’enfermer au logis, émacié, fiévreux, contre la cheminée où s’immobilisaient ses fusils :
Et Vermenouze redit les anciens, qu’il avait évoqués si gaillardement, naguère, dont les ombres chrétiennes lui apparaissent, consolatrices :
Seul, dans sa sagesse, Verlaine, en une accalmie de retour à la foi, a pu écrire des hexamètres de cette pure et touchante simplicité. Voilà, après une existence d’émigrant et de célibataire, voilà Vermenouze, qui n’était pas sans quelques habitudes invétérées de vieux garçon, tout fondu, en douceur, en tendresse infinie, à l’emprise de son cher entourage, fermant les yeux de sa mère, gâtant ses nièces, rimant des propos de noces émus :
Cependant, il fallait fuir les boues où se détrempait Vielles, dès l’automne, pour des climats plus propices. Vermenouze faisait cette concession à ses docteurs. Il ne s’y trompait pas : ne racontait-il pas ce trait sinistrement avertisseur d’un hôtel de la Côte d’azur, où l’on refusait de le loger, à son apparence trop maladive. Aussi, est-ce sans forte conviction qu’il se chauffait à « ses derniers soleils » ; remerciant, par exemple, les arbres d’Hyères :
De-ci, de-là, il m’expédiait quelque bref billet, quelque carte illustrée à mon fils. Soit à Noël, soit au jour de l’an, il ne manquait jamais de nous envoyer ses souhaits. Son dernier mot est du 24 décembre 1914 :
Vielles, le 24 novembre 1914
Merci, mon cher ami ; Rozès de Brousse m’a communiqué votre charmant article de l’Avenir du Tonkin. Je n’ai ni la force ni le courage de vous écrire plus longuement : jamais je ne me suis senti si fini. Bonne année tout de même et bonne accolade à Charley. Les miens vous offrent leurs amitiés. — Je viens de passer une semaine au lit.
Aujourd’hui, il fait une journée splendide.
A. Vermenouze
Le 8 janvier suivant, il mourait.
L’Auvergne est en deuil de son poète, et je pleure l’ami de vingt ans que mon affection ne séparait pas de la nostalgie de la petite patrie. Il m’était bien impossible de penser à notre pays sans voir Vermenouze. Il m’apparaissait comme une âme vivante, entre les puys de nos volcans éteints. Après des siècles de silence de nos montagnes il avait jailli comme une lave nouvelle, — aujourd’hui glacée… Maintenant sur quel sommet, dans quelles vallées ne serai-je point assailli de la noire douleur d’être seul, — quand, à peu près partout, nous avions passé, fraternellement, ensemble.