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Au cœur de l'Auvergne

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CHAPITRE XXII

Le tombeau de Mistral. — Le Pavillon de la Reine-Jeanne. — L’épitaphe anonyme. — C’était un roi de Provence…

J’ai liquidé l’enclos de Maussac, où j’étais installé depuis 1899 pour mon fils à qui je voulais faire des muscles montagnards, une âme auvergnate, où je revenais avec tant de joie de mes courses brûlantes en Extrême-Orient. Des raisons matérielles me rappelaient à Paris. Le gamin n’avait pas trop à se plaindre, puisque son adolescence allait s’écouler parmi les arbres séculaires de Malmaison. J’imagine que des récifs bretons aux volcans d’Auvergne et aux ombrages napoléoniens, le décor où sa vie fut située jusqu’à la dix-huitième année n’aura pas manqué de grandeur, de variété ni d’agrément ; mais il faut être avancé dans la vie, pour goûter les souvenirs d’enfance ! Je ne quittai pas Arpajon sans mélancolie, mais je fus consolé, — quant à l’enclos — à mon premier retour, presque tout de suite. Une grandiose allée d’arbres, qui faisaient voûte, du bourg vers la gare, avaient été abattus. Une scierie bruyante et encombrante fonctionnait, de l’autre côté du chemin. Le nouveau cimetière s’établissait, découpant, là-bas, les prés, de ses murs lugubres. C’en était fini des beaux jours de Maussac, — dont nous n’aurons pas eu, du moins, à supporter l’enlaidissement et la déchéance.


Dorénavant, deux ou trois fois l’an, je gagnai la Provence par l’Auvergne, Maillane par Vielle et Aurillac, le lent et pittoresque trajet par la montagne.

— Vous verrez Mistral, me disait Vermenouze.

— Vous avez vu Vermenouze, interrogeait Mistral. Quelles nouvelles ?

Hélas, de plus en plus mauvaises ; les médecins expédiaient le malade, tantôt à Amélie-les-Bains, tantôt à Hyères ; il n’en revenait pas amélioré.

De Maillane, quel splendide espoir, par contre, je rapportais ! Vieillesse est un substantif qui ne pouvait s’employer pour le père de Mireille. Tel je le quittais, au printemps, tel je le retrouvais en automne. Jamais, il ne parlait de sa santé. Les déjeuners avec Mistral sont peut-être les seuls où je n’aie jamais entendu parler régime ! Par exemple, jamais je ne l’ai vu plus allègre et droit, que l’après déjeuner où il nous conduisit au cimetière admirer son tombeau.

Vraiment, il faisait un temps à parler de la mort : l’orage s’abattait en trombes apocalyptiques sur les vendanges inachevées ; le désastre s’acharnait sur la vigne…

Ce fut le début de la conversation, à Maillane, dans la blanche salle à manger que Paul Arène comparait à l’intérieur d’un phare. Mais ici, la lampe ne s’éteint jamais, il y brûle, sans cesse, la flamme géniale du poète.

Mistral nous faisait goûter son raisin. Il avait donc des vignes ? Non, plus de vignobles, un petit clos pour son dessert, et sa bouteille personnelle. Après avoir planté, comme tout le monde, il y a une dizaine d’années, escomptant la facilité du bénéfice, il avait bientôt arraché ses vignes, reculant devant la dépense du matériel, de la vaisselle vinaire !


A ce moment, la servante parle à l’oreille du maître, qui sort, rentre peu après, pose sur la nappe des papiers, une facture dont il nous montre le timbre frais acquitté :

— Je viens de verser quinze cents francs à mon entrepreneur… Vous ne vous douteriez pas pour quel travail ?… Eh bien ! j’ai fait faire mon tombeau…

(En Annam, en Chine, souvent mes hôtes m’avaient montré leurs monuments funéraires, construits d’avance, qui font partie, pour ainsi dire, d’un mobilier usuel tant soit peu confortable… En France, c’est plus rare…)

Les yeux de Mme Mistral s’embrument ; l’admirable et tendre épouse s’attriste du tour que prend la causerie, mais cela ne saurait durer… Comme le vent chasse les noirs nuages, d’une voix joyeuse, d’un geste dominateur, le Maître refoule si loin les pensers lugubres !

Jamais Mistral ne m’était apparu aussi en verve, d’une telle fougue juvénile, si robuste et si droit dans sa fière stature : il semble bien commander au Temps ! Aussi, Mme Mistral s’est rassérénée et conte à son tour des traits de la race, ce mot d’une jeune fille toujours gaie, qui disait :

— Chez nous, c’est de famille, on meurt en riant !

C’est dans une journée aux Baux, parmi les ruines merveilleuses, devant le Pavillon de la Reine-Jeanne, que l’idée de son tombeau a traversé l’esprit du promeneur…

Mais comment rendre cette parole qui a des ailes, ce geste qui fait de la lumière ! La tempête peut s’amonceler au dehors : nous sommes dans le phare où brille la radieuse clarté. Quel discours exquis sur la gloire, sur la gloire éphémère, sur la postérité chanceuse… Nous citons Homère, Virgile… Mais l’auteur du Poème du Rhône est sceptique :

— Qui lirait l’Odyssée et l’Énéide, si ce n’était aux programmes scolaires ?

Il n’inscrira donc pas même son nom sur la pierre funèbre, mais cette épitaphe seulement, qu’il me confie :

Non nobis, domine, non nobis
Sed nomini tuo
Et Provinciæ nostræ
Da Gloriam…

Ce n’est pas pour lui, mais pour Dieu, et à la gloire de la Provence, que s’élèvera le monument…

— Oui, je sais bien comment cela se passera… Tenez ! je viens de l’expliquer en vers… Je vais vous les lire…

MON TOMBEAU

Sous mes yeux je vois l’enclos — Et la coupole blanche — Où, comme les colimaçons, — Je me tapirai à l’ombrette.

Suprême effort de notre orgueil — Pour échapper au Temps vorace, — Cela n’empêche pas qu’hier ou aujourd’hui — Vite se change en long oubli !

Et quand les gens demanderont à Jean des Figues, à Jean Guévré : — « Qu’est-ce que ce dôme ? » ils répondront : — « ça c’est la tombe du Poète,

Poète qui fit des chansons — Pour une belle Provençale qu’on appelait Mireille ; elles vont, — Comme en Camargue les moustiques,

Éparpillées un peu partout ! — Mais lui demeurait à Maillane — Et les anciens du terroir — L’ont vu fréquenter nos sentiers. »

Et puis un jour on dira : « C’est celui — Qu’on avait fait roi de Provence… — Mais son nom ne survit plus guère — Que dans les chants des grillons bruns. »

Enfin, à bout d’explications, — On dira : « C’est le tombeau d’un mage — Car d’une étoile à sept rayons — Le monument porte l’image. »

Lecture émouvante s’il en fut, mais Mistral ne semblait pas, ne voulait pas prendre garde à notre trouble.

— Et puisque je l’ai payé, nous pouvons aller le voir.

En route pour le cimetière proche, parmi les dalles sombres et les mausolées de village, s’élève une jolie réplique du Pavillon de la Reine Jeanne si gracieux avec sa coupole légère, ses arcades élégantes, ses sveltes colonnettes…

Mistral, rêvant que le paradis devrait être la réalisation de ce que l’on a souhaité sur terre, pense qu’il sera bien sous ce kiosque charmant, pour tenir une éternelle Cour d’Amour. Avec l’Étoile du félibrige, le masque de son chien Pan-Perdut, quelques « Belles-têtes » seront sculptées aux clefs de voûte des Arlésiennes :

— Il ne faut pas oublier celles qui nous ont inspiré, murmure le poète…

Retournant à sa maison, il se félicite encore.

— Si je m’étais adressé à un architecte il m’aurait fabriqué un monument funéraire… Or je voulais quelque chose à mon goût… Cela en vaut la peine, c’est pour longtemps. Il y a quelques branches du jardin qui me le cachent un peu, je vais les faire abattre… Je suis très heureux à la pensée que je serai bien logé pour l’éternité !

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