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Au cœur de l'Auvergne

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CHAPITRE XIX

La tasse de lait : Michalias. — Un débutant de soixante ans. — Endors-toi, paysan. — Le jugement de Saint-Pierre. — La mort du Paysan. — Sous les bouleaux. — Le poète de la Dore. — La bonne souffrance. — A la prière du soir. — Un essai de grammaire auvergnate et d’hydrothérapie.

« Savez-vous, disait Mme Helvétius à l’abbé Morellet, que quand j’ai eu le matin la conversation de Champfort, elle m’attriste pour toute la journée ? » Et je ne sais plus quelle autre de ses belles admiratrices et amies confessait sa soif d’un bol de lait frais — après les propos du cruel causeur : il y a toujours un peu d’arsenic au fond.

Le tasse de lait ? Le contre-poison ? R. Michalias, — un poète, qui fut pharmacien — nous les offrira non loin de la Limagne, au cœur du Livradois. C’est un autre pays, un autre patois d’Auvergne. Aussi s’expliquent dans Ers de lous Suts et Ers d’uen Païsan, quelque afféterie et quelque douceur, si loin de notre Vermenouze, avec qui, pourtant, s’apparentent si curieusement la vie et la carrière poétique du félibre ambertois ! Même où leur formation littéraire paraît différer du tout au tout, elle est, au fond, toute pareille.

Sans doute, Vermenouze, émigrant très jeune n’est rentré que sur le tard au pays, alors que Michalias n’en est jamais sorti. Mais, sédentaire ou voyageur, tous deux obéissaient à la même loi pratique de la race : d’assurer les réalités de l’existence, avant tout. Chevauchant sous les étoiles, par les sierras d’Espagne ou sédentaire parmi ses bocaux, celui-ci et celui-là n’ont cédé, vraiment, qu’en se retirant des affaires à la tentation d’écrire. Encore Vermenouze s’y était-il essayé par intervalles, dès la vingtième année. Pour Michalias, la révélation fut extraordinairement tardive : il ne débuta guère qu’à la soixantaine.

Pourtant, ni à l’un ni à l’autre, on ne saurait dénier les dons les plus flagrants de la jeunesse et de l’âge mûr, heureusement associés, la fraîcheur et l’allégresse de la vision, la vigueur et la netteté de l’expression. J’arrête le parallèle. Il se poursuivra de lui-même aux chapitres de Vermenouze.


R. Michalias tint boutique de médicaments à Ambert, et son nom reluit en lettres d’or au-dessus de celui de son successeur, à quelques pas de la confortable maison où s’écoule sa retraite d’auteur régionaliste et d’amateur de jardins. Tout occupé aux soins de sa profession minutieuse, exclusive de grosses agitations et de longues absences, il dut borner son horizon aux brèves promenades du géologue et du botaniste. Aussi, par son commerce incessant avec l’indigène, il conserva l’usage quotidien du parler local et natal. De là, son inspiration limitée à quelques kilomètres de la Dore. De là, l’observation précise et méthodique ; ce qui n’empêche pas le pittoresque, le charme, la tendresse. De là, tant de saveur et de naturel du langage, ou des pièces de composition un peu apprêtée…

J’en étais arrivé au chapitre où je voulais signaler l’œuvre de M. Michalias, dont la renommée s’est imposée dans le monde félibréen. Cependant, je n’étais pas très assuré de mon jugement.

Quand je lisais :

« Ma Dore va, telle une jarretière, — autour des tertres fleuris.

....... .......... ...

« Je nais d’une goutte de rosée… — Une goutte et une goutte font un fil, — mais pour coudre avec, il faut le dé — et aussi l’aiguille d’une fée.

....... .......... ...

« Entre ses doigts, le fil se fait lien, — le lien se fait jarretière, — se fait ruban et même nappe — et s’étale par places dans les campagnes.

....... .......... ...

« A la manière de petites langues, les feuilles, — de l’osier me viennent caresser. »

cela me semblait bien maniéré ; mais le patois avait un tel goût de terroir qu’on ne pouvait se méprendre à sa qualité foncière — si différente de notre cantalien. Je résolus de m’informer davantage, et de revenir aux pentes du Forez et du Livradois ; car, plus d’une fois, jadis j’avais parcouru la contrée en divers sens, de Saint-Étienne ou de Clermont-Ferrand au Puy, à Arlanc, à la Chaise-Dieu… Mais tous autres souvenirs étaient écrasés, au surgissement, en ma mémoire, de la cathédrale romane, des statues, des chapelles sur les brèches et des dykes volcaniques, ou de l’abbaye formidable, sur le plateau sauvage…


Aujourd’hui, c’est à Ambert que je vais, par acquit de conscience professionnelle, plutôt sans enthousiasme. Je crois la connaître, notre Auvergne, — et comment la sous-préfecture, la rivière, les arbres et les rocs vers lesquels le train m’emporte pourraient-ils se disposer pour me procurer quelque émoi inédit ? Oh ! je ne suis pas de parti-pris, et je m’entraîne sincèrement sur M. Michalias. Souvent, il décrit avec simplicité :

« On rentre…

La nuit tombe et le ciel se pointille d’étoiles ; — maintenant on n’y voit qu’à courte distance. — Même des sommets, les crêtes deviennent rares… — « Allons Labri ! Viens-t’en.

Ramène les moutons, et aboie la Marcade. — Vois, moi aussi je prends mon sac. — Cours, cours, fais-leur faire demi-tour… — Il faut aller manger la soupe.

Entre deux haies de mûriers sauvages, — bêtes et gens s’en vont par le sentier encaissé ; les brebis arrachent tout le long — quelque feuille à la ronce et y accrochent de leur toison.

Sous plus de mille petits pieds alertes, — le sable du chemin desséché, fait une fumée. — C’est, sur le sentier, tout semblable au lourd brouillard qui traîne sur les ruisseaux.

Ces bœufs, qui suivent pesamment, — la poussière garde l’empreinte du pied large et attardé. — De leur lèvre, parfois une bave, tel un grand crachat, descend sur le sol.

Des hommes en larges sabots, où leur pied est trop à l’aise, — suivent par derrière ; aucun ne parle. — De la bêche ou de la faux, le fer, sur leur épaule, — lance par moments un bref éclair.

Ils traînent bien un peu la jambe : — le soleil, toute cette journée, les a roussis par là-bas. — La poussière et la sueur mâchurent les joues… — Bah ! le lendemain il n’y paraît plus.

Et la nuit, doucement, arrive, sournoise, — sur les œuvres de Dieu. — C’est assez de travail pour aujourd’hui. — Va dormir, paysan, tu as rempli ta journée ! »

Il y a du rythme dans les chansons, de la couleur dans les tableaux, de la variété dans les sujets, du rire frais et de la saine gaillardise dans certains contes, comme le Jugement de Saint Pierre, qui refuse l’entrée du Paradis à la fille sage :

« Mais qu’est-ce que c’est qui se dissimule — là-bas ? Quelqu’un ou quelque chose ? Je ne me trompe pas, parbleu, — c’est la vieille béguine :

Qu’as-tu fait pendant ta vie, — de tes charmes ? Tu ne t’en es pas servie… — et cependant il faut des enfants — pour manier les faucilles, — pour façonner la terre, et aider au fermier !

Tu es comme ce vieux bénitier, — là-bas, où tisse l’araignée dans un coin, et où personne ne va… —

« Il n’y a que toi de damnée ! — Va prendre pour amoureux — Le diable qui s’ennuie… — Allons donc, jolie mariée, — allons, fiche le camp ! »

Même, M. Michalias touche à la grandeur, par les très humbles détails, devant la mort du paysan !

« La bêche et l’araire — Je ne puis plus les manier… — Alors mieux vaut m’en aller, — si je ne suis rien bon à faire.

Écoute-moi bien seulement : — En mourant, je suis chrétien, — dis-moi quelque messe ; — ensuite, tu seras maîtresse — de conduire la maison comme si c’était moi-même.

Mets (mène) la chèvre au bouc, — Et la vache (Bardelle) au taureau ; — Sème le champ de raves, — Tu sais qu’à notre Noire il lui en faut pour avoir du lait.

Et quand ce sera fait, — Tu faucheras le regain et feras les semailles. — Ainsi, paisiblement — tu vivras sans rien devoir, — et tu viendras à bout de payer notre ferme. »

Et le voici capable du plus délicat attendrissement aux ressemblances de la pure idylle :

SOUS LES BOULEAUX

« Le soir, lorsque nous venions tous deux — nous y asseoir, il me semble — que nous étions comme deux poussins qui se bécotaient, — réfugiés sous l’aile de leur mère.

La lune, en suivant son chemin, — blanchissait l’écorce d’un bouleau : — c’était là le parchemin — sur lequel nous mêlions le T de « Thérèse » — et le B de « Barthélemy ».

Mettant à profit cette faible lueur, — c’était un couteau, l’imprimeur — de notre petit livre d’amour — épelé dans les bois… et je n’en ai guère, — depuis lors, lu de meilleur.

Maintenant que nous sommes devenus des vieux, — moi et Thérèse, à la veillée, — simplement assis près de la bûche allumée, — il nous revient parfois devant les yeux ce bon temps sous la feuillée. »

Aussi bien, l’arbre pâle a inspiré à M. Michalias une délicieuse piécette d’anthologie :

LE PETIT BOULEAU

« Petite robe blanche et cheveux d’or — du petit bouleau — Il me passe quelque chose à travers le corps, — lorsque je vous vois…

Il me passe quelque chose à travers le corps — parce que je crois voir la robe de ma sœur, — la pauvre Thérèse…

Voir les cheveux de ma sœur — qui n’avait que dix ans, — quand la prit la Mort… — Voilà ce que je vois.

Et qui fait tant frissonner mon corps, — Parce que je crois revoir encore ma sœur, — en ce bouleau. »

J’étais charmé et dérouté par cette note aimable et plaintive, en telle opposition avec le rude accent de la Haute-Auvergne. Le train roulait, par la nuit glacée. Je m’endormis dans mon coin, jusqu’au matin peu hâtif de la mi-octobre, vers sept heures ; c’était le Livradois qui s’encadrait par images successives, à la portière — alors que je pensais continuer ma lecture ; c’est la Dore du poète, une souple et gracieuse rivière à travers les prairies bordées de saules et de peupliers, la paisible rivière et les calmes arbres de la plaine, sans rien de commun avec nos ruisseaux torrentueux des vallons cantaliens ! Ah ! que déjà je comprenais mieux l’œuvre de M. Michalias !…

Je fus tout à fait renseigné par le court trajet de la gare d’Ambert à la ville, sans rapport avec nos bourgs farouches, dans leurs aires de basalte ! L’Auvergne de M. Michalias est une autre Auvergne, qui a trouvé en lui un poète spontané et attentif, un fils pieux qui n’a pas dédaigné l’héritage ancestral. Ses habitudes d’examen et de précaution lui ont inculqué le goût du détail. Son œuvre manquera de lointain et d’ensemble, mais elle vaudra par de fines découvertes, une jolie pénétration. Où nous n’aurions aperçu que le vague aspect de la roche et de la verdure, il émerveillera nos regards par tel fragment de caillou où semblent s’être pétrifiés des milliers d’arcs-en-ciel, — que son marteau savant a fait sauter de quelque bloc enfoui depuis les premiers âges du monde…


Prodigieux mystère des sources qui peuvent cheminer à travers le sol hermétique, et se perdre, inconnues, ou qui vont jaillir à la révélation de la baguette de coudrier !

Une sensibilité de poète, ses dons d’observation, le trésor du vieux parler ambertois — tout cela aurait bien pu s’égarer ou se dessécher, par la course ou la stagnation de plus d’un demi-siècle au tréfonds du cœur et de l’esprit d’un tranquille bourgeois de province. Or, comme une source longtemps souterraine, la veine poétique a jailli de M. Michalias, à l’improviste.

Cela lui est venu d’un jour où, retiré des affaires, il s’était cassé la jambe. C’en était fini, pour quelques semaines, des promenades du botaniste, de l’entomologiste, du géologue… Ce fut la bonne souffrance où, momentanément sevré d’activité, la méditation fut la seule ressource du malade.

Les souvenirs, les images qui se pressaient, M. Michalias entreprit de les classer, comme il avait fait toute sa vie, de son butin d’insectes, de plantes, de minéraux. Il composa des tableautins d’un réalisme discret et sincère, qui lui valurent les plus hautes approbations félibréennes. Il avait écrit par jeu, pour se distraire : l’amateur se révélait poète, d’une imprévue personnalité. La philologie s’emparait de son œuvre, historiquement précieuse par la qualité et la quantité des matériaux sauvés et rassemblés ; non pas des vocables de bibliothèque, perdus et refroidis, dont les spécialistes scrutent la structure évidée, mais du patois de plein air, capturé au soleil et épinglé encore tout frémissant, comme le papillon avec toutes ses couleurs, avant de se recroqueviller et de disparaître.


La renommée a visité M. Michalias, sans qu’il l’ait fort provoquée. Ses deux volumes (1904, 1908) n’ont été tirés qu’à une centaine d’exemplaires chacun, restés hors commerce. Mais nombre de pièces avaient paru dans les revues décentralisatrices, où elles avaient conquis l’admiration du Midi.

L’enthousiasme est venu du Nord, aussi : traductions en suédois, par le Dr Goran-Bjorkman, de Stockholm ; en allemand, par le Dr Hans Weiske, de Cottbus (Brandebourg).

Tant d’éloges n’ont point mordu sur la solide modestie de M. Michalias. Il continue de produire, mais résiste à publier un nouveau volume. Il a goûté son succès. Peut-être se rend-il compte que d’autres n’auraient pas plus de saveur. Il eût pu être majoral d’Auvergne, avec quelque intrigue, à la mort de Vermenouze, qui l’avait souhaité comme successeur. Mais M. Michalias ne se dépense pas en vanités. C’est un sage. Et voilà le bonheur, édifié dans la calme retraite due au travail accompli.

Un bel enfant blond, câlin et rieur, met son gentil tumulte dans la demeure des grands-parents qui, tout à l’heure, partiront pour quelques jours chez leur fille et leur gendre, — pas bien loin d’ici… Mais qui prendra soin du jardin ? Car M. Michalias cultive son jardin, un rare enclos fermé aux regards, derrière la maison. Il y descend à l’aube, pour découvrir ou sortir les plantes, abritées la nuit. La gelée, ici, est précoce et meurtrière pour les espèces fragiles. Le jardin de campagne ! avec des planches de légumes, des massifs de fleurs, des arbres fruitiers ; un potager d’agrément, qui s’égaie de myosotis, de bégonias, de géraniums, de groupes de rosiers, de touffes de rhododendrons, entre les murs vêtus de clématites et de glycines, et coiffés de lilas.

Mais l’arrière-saison a défeuillé les branches et roussi les pétales. Cependant, le propriétaire nous guide vers « son placard à chrysanthèmes », richement épanouis, mais qu’il faut abriter, adossés à la muraille garnie d’un auvent où, la nuit, s’accroche une devanture de paillasson. Une porte poussée, et voici l’annexe, plus rustique, dont vient de s’agrandir le discret domaine, maintenant ombragé d’un cèdre centenaire, — et bordé, à sa frontière reculée, de hauts sapins sous lesquels gazouille une fontaine…

Oui, la vie régulière, méthodique, de M. R. Michalias et sa retraite si doucement agencée expliquent ce qu’il y a d’un peu rangé et de contenu dans sa poésie pourtant si naturelle et véridique. Ce n’est point de l’apprêt, mais de l’ordre. Ce n’est pas un défaut, une faiblesse de l’artiste et de l’œuvre, — mais la résultante des suggestions ambiantes ; ce pays de Livradois est tout plaine ; la vallée, de tout repos, où paresse la Dore entre ces deux lignes de montagne sans secousses ; par ici, on est villageois plus que montagnards.

Ceci caractérise l’inspiration de M. R. Michalias et le différencie d’un Vermenouze. Je dis bien : l’inspiration. Ainsi arrive-t-il à des patoisants de nous donner la poésie qui manque trop souvent à la littérature…

Les chants de M. R. Michalias, ce sont des Promenades et Intérieurs, des Intimités… Oui, je songe au François Coppée des humbles choses, des impressions à mi-voix, du sentiment murmuré. Je parle d’une manière de sentir et de s’exprimer. Sans quoi il n’y a aucun rapprochement à faire entre les sentiers, semés d’écailles d’huîtres des barrières et de la banlieue parisienne et le paysage d’Ambert.

Heureuse petite ville, riante et simple, que nulle laideur n’isole de la grâce environnante des eaux, des cultures, des prés, des bois ! Il est peu d’endroits habités d’où, pour joindre la campagne, il ne faille traverser des espaces interlopes, une zone intermédiaire, des parages qui ont cessé d’être ruraux et ne sont pas devenus citadins !

La rue d’Ambert se perd dans la campagne, ou c’est le chemin des champs qui s’égare dans la ville. La promenade n’est pas une expédition : c’est le tour du jardin qui se prolonge, — et qui n’en finirait plus, par tant de séductions agrestes…


Je l’ai dit, au début, la poésie de M. R. Michalias, c’est la tasse de lait, — qui ne conviendrait guère aux palais brûlés de boissons fortes : l’alouette, la source, la cigale, le grillon, l’hirondelle, la voix du pâtre, la cloche de l’angélus, la brise d’été, la rafale d’hiver ! La chanson de la fileuse, les contes de l’aïeule ! La fuite des jours et des saisons, scandée par les labours, les semailles et les moissons ! L’éternelle humanité primitive du paysan, asservi à la glèbe du petit pâtre au gros fermier, de la servante à la maîtresse ! Le chant et la danse d’un dimanche, d’une fête, d’une noce, qui tranchent sur la monotonie des semaines. Toute une existence attachée, comme une chèvre au piquet, au clocher natal, — qui ne s’en éloigne jamais que d’une longueur de corde :

A LA PRIÈRE DU SOIR

« Vers le clocher, la sonnerie se meurt peu à peu ; — dans l’air, il n’en reste qu’à peine un frémissement. — Notre église disparaît dans l’ombre du soir, — mais on y allume, c’est l’heure de la prière.

J’y entre juste au moment où une petite troupe de jeunes filles, — ruban bleu sur la poitrine, chante au milieu du chœur ; — comme moi, vous aussi, vous auriez cru certainement — entendre des oiseaux, l’été, perchés sous les ramilles.

Les cierges font un amas de gouttes autour de la mèche ; — le vicaire, en surplis blanc, monte en chaire, retire sa petite calotte noire et dit la prière — pendant que fume là-bas un encensoir.

Que voulez-vous ? Moi qui suis une espèce de parpaillot, — (je ne suis que comme je suis et cependant pas mauvais homme) — de sentir cette odeur, d’entendre ces chants et tout le reste — cela me fit quelque chose… et moi aussi, je priai un peu ».

Enfin, une des caractéristiques du talent de M. R. Michalias, c’est le mouvement, la justesse du dialogue quelque peu féroce, toutefois, et excessif comme dans Funérailles — quoique ces propos l’auteur les ait probablement entendus ! Mais cela détonne, parmi la verve bienveillante et attendrie dont le poète raconte, à l’habitude, les gens et les choses du Livradois.


Comme on l’a vu, ces chants en patois d’Ambert devaient solliciter des romanisants. M. Michalias s’est pris lui-même à vouloir démonter le mécanisme de l’instrument dont il s’était, d’abord, ingénument servi. Il a élaboré un Essai de grammaire auvergnate, qui n’est pas un modèle de méthode scientifique. On ne s’improvise pas philologue, et les spécialistes lui reprochent d’errer sur la phonétique et la morphologie.

Quand même, la recherche est louable, et le résultat précis. Ainsi en juge, avec autorité, M. B. Petiot :

« Des exemples nombreux, non composés artificiellement à l’appui d’une règle, et, partant, toujours suspects, mais formés de phrases familières réellement entendues, nous donnent, mieux que toutes les explications et toutes les théories, l’impression d’une langue parlée et bien vivante, et nous en font pénétrer le génie. C’est ici que l’auteur, bien servi par sa connaissance des moindres nuances du patois, retrouve sa supériorité. J’ai dit plus haut que la syntaxe, resserrée en un chapitre de quatre pages, était insuffisante, et c’est vrai. Mais ce n’est pas dans ce chapitre seulement, qui lui est spécialement consacré, qu’on trouve la syntaxe ; elle est répandue dans tout le livre ; et, à condition de la dégager des exemples on aura une connaissance assez complète de la langue. On ne saurait donc trop féliciter M. Michalias d’avoir ainsi multiplié les exemples ; ils corrigent et complètent heureusement ce qu’il peut y avoir par ailleurs de défectueux dans son livre. L’insuffisance théorique est compensée par la connaissance pratique. Un souhait pour finir : M. Michalias rendrait un grand service aux études de patois en composant un vocabulaire des parlers de sa région. Le grand dictionnaire de Mistral ne rend pas inutiles les lexiques spéciaux. Si, dans chaque pays, on relevait les mots ou les sens qui ne se trouvent pas dans le Trésor du Félibrige, on aurait ce qu’il y a de plus caractéristique dans un parler. Et, pour la région d’Ambert, nul, plus que M. Michalias, n’est qualifié pour entreprendre ce lexique spécial »[48].

[48] Revue d’Auvergne, septembre 1910.

M. Michalias l’a entrepris, et il en viendra à bout, — comme de tentatives autrement ardues. N’est-ce pas à lui que les Ambertois doivent l’initiative de ce reluisant établissement de bains-douches populaires, tout modern-style, aux gaies faïences de couleur, d’un aménagement irréprochable, d’une propreté éclatante, — où, pour quatre ou cinq sous, l’eau est distribuée à profusion à tout venant ? La fondation, émanant d’une Caisse d’épargne prospère, était destinée au public le plus modeste, à l’employé, au paysan. Ils n’y sont guère venus. Par contre, la population aisée y fréquente en foule. Sans doute, peu à peu, l’exemple des citadins et des bourgeois entraînera le campagnard et l’ouvrier. Ainsi le philanthrope et l’homme de progrès seront récompensés de leur effort. Même chose pourrait advenir pour le poète patoisant, en sens inverse : de retarder la fin du parler ambertois.

De voir « les Messieurs » faire tant de cas du vieux langage naguère dédaigné et reculant de la ville au village et du village au hameau arriéré, le paysan ne rougira plus de l’employer au lieu du français de hasard ramassé à la foire et au cabaret. De le lire imprimé, il l’estimera à une autre valeur, comme le seau ou la lampe de cuivre jetés au rebut et qu’il voit acheter par les amateurs, comme le flambeau d’étain, la croix d’or émaillée échangés pour quelque affreux objet « à la mode » — et devenus introuvables.

M. Michalias a prouvé que l’on peut être, à la fois, épris du passé et féru d’hydrothérapie, sans qu’il en résultât d’autre catastrophe que de la renommée et du bien-être supplémentaire pour le cher pays natal…

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