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Au cœur de l'Auvergne

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CHAPITRE XXIV

En août 1914 : Regard en arrière. — Vermenouze patriote. — L’aigle et le Coq. — Un vieux de la vieille. — Les traductions de Vermenouze : Jous la Cluchado. — Inspiration et philologie ; Omperur et Empéradour. — A l’Auvergne…

Par quel soir, j’entends votre voix d’outre-tombe, mon cher grand Vermenouze !

Au dix-septième jour de la mobilisation, 18 août 1914.

Des mois et des mois, j’avais abandonné ce livre juste aux chapitres où je devais magnifier votre œuvre. J’avais délaissé l’Auvergne, pour des voyages, qui vous eussent enthousiasmé, au Maroc, et puis en Bretagne, et, ensuite, à travers Danemark, Norvège et Suède ; il y a, à peine, six semaines, je rentrais par l’Allemagne, je m’arrêtais à Hambourg, à Cologne, à Liège ! En Afrique, j’étais allé par l’Espagne, par notre Espagne auvergnate. A chaque station, je me rappelais nos projets de collaboration d’un roman sur l’émigration hispano-cantalienne ! Au retour de la randonnée dans le bled, je me reposais vers la pointe du Raz, que vous aviez visitée lors de votre séjour en mon manoir de Locquémeau :

Nous, nous avons les monts ; vous avez l’Océan.
Deux mers : la vôtre bouge et la nôtre est figée,
Mais cabrée et debout, après un bond géant.
Elle s’est en plein ciel, à jamais érigée…

Puis vers le Nord, je vous avais oublié un peu. Mais, soudain, votre souvenir, impérieusement, a bondi sur moi ; j’acquitte une dette, pour laquelle il n’est pas de moratorium : vous voulez que je dise quel patriote vous étiez, avec un magnifique espoir…

Il n’y a pas trois semaines, je souriais de ces annonces de guerre.

Sans doute, au Congrès de la Presse de Copenhague, où nous nous étions rencontrés avec une tourbe d’Allemands compacts et agressifs, j’avais dû m’avouer que des rapports policés étaient difficiles avec cette brutale engeance, toute ruée à la pâture des banquets. De ces télégrammes de conflits diplomatiques ma génération en a tant lus, depuis près d’un demi-siècle ! On se battrait, pour ces histoires de Serbie ? Quelle plaisanterie ! Et voici que les peuples se ruent à la bataille, deux millions d’hommes s’échelonnent aux frontières. Paris s’est vidé de ses forces vives. On ne sait rien, sinon que d’immenses armées se hâtent pour une lutte formidable, comme il ne s’en est peut-être jamais déclarée. Ceux que l’âge condamne au plus cruel loisir demeurent désemparés sans plus d’âme que les vieilles barques échouées à pourrir sur le rivage. Impossible de travailler, de s’attacher à rien. C’est le plus merveilleux été de chaleur et de fleurs, de caniculaire torpeur et de silence. Tout repose, dans une sieste fastueuse, le tumulte habituel des travailleurs, des machines, des bêtes, du plaisir, anéanti…

Je suis seul, mon fils surpris en vacances dans un village de Normandie, d’où il m’écrit sa volonté de s’engager à Rouen, à Paris ? il ne sait, avec les difficultés des parcours[50]… Quelle angoisse !… Je suis seul, désorbité… Je fais la ronde, à travers le château, la mémoire écrasée de tout ce passé… Ici, Bonaparte revenant d’Égypte, de Marengo… De ce cabinet Napoléon est parti pour Sainte-Hélène… Ces arbres centenaires, ces obélisques commémoratifs sont troués des balles, des biscaïens de 1815, de 1870… J’ai froid, j’ai peur… Je me réfugie dans le studio exotique où j’ai réuni mes quelques bibelots d’Extrême-Orient. Dans ce cadre reculé, où s’exilent des Bouddhas des plus lointaines pagodes d’Extrême-Asie, s’entassent la centaine de volumes et la documentation de ce livre en préparation… Je n’ai guère de goût à m’y remettre… Cependant, si je pouvais travailler : où en étais-je ?… A Vermenouze, toujours, naturellement ! Naguère, j’ai dit le chasseur de sauvagine. Je voulais ensuite raconter le Celte irréductible, — qui le 24 juin 1895, au théâtre d’Aurillac, recevait le Capoulié Félix Gras et les Félibres, en récitant l’Aigle et le Coq :

[50] Charles-Jean Ajalbert a rejoint le 113e régiment d’infanterie le 15 septembre, à Rouen.

… Je ne viens pas vous parler d’harmonie, d’union, d’humanité pacifique ; car la France est blessée, encore, trop au vif. Je vais chanter l’épée héroïque.

Et je crois que nous aurions tort de célébrer la paix, — tant que nous n’aurons pas mis en place — la chair, de notre chair, notre membre coupé, — notre Lorraine et notre Alsace.

Vermenouze ne savait guère d’histoire de France que le commencement, qu’il avait appris à l’humble école des frères, et la fin, 1870-1871, où il avait servi, à vingt ans… Dans le deuil inconsolable de la défaite, c’est au passé glorieux de l’Auvergne que se retrempait sa foi dans la sûre revanche. Voici César, son cheval hennissant, avec du sang montagnard jusqu’au cou, foulant la chair vive du pays :

Mais le cœur d’un grand peuple bat dans notre pays.

C’est l’antre du lion ; l’étranger n’y entre jamais sans péril, — l’étranger sur le sol de notre Auvergne — est toujours en péril !

Car l’Auvergne a ses rochers pour rempart, — et de ses mâles forts elle a la chair. — Pour rempart, — l’Auvergne a sa montagne — et la chair de ses fils !

Dans le ciel étoilé, un homme, — à la cime des puys s’est dressé. — Étoilé, — le ciel couronne d’astres — l’homme qui s’est dressé.

Il méprise l’armure : une peau — d’ours sauvage lui sert de manteau. — Une peau — sur une cuisse velue — se déploie en manteau.

Et de sa chevelure de Lion, rousse et dure, ressemble à une gerbe de blé mûr. — Roux et dur, — l’or blond de sa crinière — ressemble à du blé mûr.

Comme un rayon de soleil, dans le vent, — sa moustache, là-haut, flotte et pend. — Dans le vent, — superbe, elle se déploie — et sur la poitrine lui pend.

Il souffle dans une corne de taureau, — et fait retentir tout le Cantal. — Elle est d’un taureau — cette corne rauque, — qui beugle dans le Cantal.

Les hommes à l’œil bleu sont accourus avec la hache à deux tranchants au poing, et les Latins reculent et César fuit…

Et les montagnards fiers et velus, — remontent vers les pays et vers les sommets. — Fiers, velus, au poing la hache ébréchée, — ils remontent vers les sommets…

Tu as bien fait ton devoir, mon pays. — Gloire à ton fils, Vercingétorix ! — Mon pays, — gloire, gloire immortelle — à Vercingétorix !

De cette rudesse, de cette simplesse épiques, il y a maintes strophes dans l’œuvre de Vermenouze.


Un Vieux de la Vieille, entre autres morceaux, est d’un héroïsme familier qui conquérait tous les auditoires. On gardait « Magne » pour la fin : Vermenouze ne pouvait prétexter qu’il ne savait plus :

— Nous vous aiderons.

Nous le savions tous.

UN VIEUX DE LA VIEILLE

L’Empereur remarqua, un jour, la face dure,
Brûlée par le soleil, hargneuse, renfrognée,
D’un capitaine de grenadiers à cheval :
Tout balafré, le nez tourné de bas en haut
Par quelque fer de lance ou la lame d’un sabre,
Et les poignets carrés, tels ceux d’un forgeron,
Cet homme n’était pas gracieux plus qu’il ne faut :
— « Qu’as-tu ? fit l’Empereur, que diable te faut-il ?
« Ta figure me plaît ; elle est mâle et guerrière ;
« Mais où prends-tu cet air si maussade et si rogue ? »
L’autre qui tenait prêt un fort joli discours,
Ne trouvait plus les mots ; il faillit rester court.
Il réfléchit, cracha, se gratta bien la tête,
Et, les doigts dans les poils de sa moustache rude :
— Sire, dit-il, je suis un mauvais avocat ;
Quand je parle le sang me monte à la cervelle ;
Et, tenez, excusez un vieux qui sait se battre,
Mais j’ai seulement trois galons, j’en voudrais quatre.

Tout le récit est de cette verve gauloise et rapide :

D’où donc es-tu ? reprit tout à coup le César.
— D’Auvergne, d’Aurillac. — Et tu t’appelles ? — Magne ;
Je n’ai jamais manqué une seule campagne.
Le grand tueur, dans son gilet plongea la main
Et murmura : Allons ! nous verrons ça demain.
. . . . . . . . . . . . . . . .
Le lendemain, ce fut un jour de grande lutte.
Napoléon, toujours avec sa redingote,
— La grise, — sa lunette et son petit chapeau,
Bien droit sur son cheval, en culotte de peau,
Observait, entouré d’officiers d’ordonnance,
Un combat rude entre la Prusse et notre France.
Tout à coup, sur la plaine, à travers la mêlée,
Dans un nuage de poussière et de fumée,
Il vit un escadron des nôtres qui chargeait.
Jamais il n’avait vu charge si bien menée :
C’étaient des grenadiers à grands bonnets à poil.
Cent mille coups de foudre eussent fait moins de bruit.
A leur tête, sanglant, la manche retroussée,
Un officier marchait, brandissant son épée
Et criant comme un fou : En avant ! en avant !
Napoléon qui l’entendait, voyait aussi
Son œil de feu qui pétillait dans ses sourcils
Et sa bouche fendue presque jusqu’aux oreilles
Qui sans cesse hurlait : En avant ! — Nom d’un chien !
Fit alors l’Empereur, quel est ce fier-à-bras ?
Un de ses officiers, maréchal de l’Empire,
S’approchant aussitôt, lui donna la réponse :
C’est Magne, lui dit-il. — C’est l’Auvergnat d’hier ?
Répliqua l’Autre, eh ! je lui dois un grand merci !

La plus saine inspiration jaillissait de cette veine de terroir, et c’est cela que de tristes pédants s’ingéniaient à tarir en Vermenouze. Des cuistres tant clercs que laïcs, sous l’apparence de quelque culture supérieure et le bénéfice de quelques vains diplômes, entreprenaient d’affiner le patoisant, dont la personnalité était toute d’instinct et de nature, non de savoir accumulé ni de grâces acquises. Avec une rare modestie, malgré toute son opiniâtreté, Vermenouze inclinait aux conseils, d’autant plus qu’ils étaient désintéressés et provenaient d’admirateurs sincères ; mais de ces admirateurs dont l’approbation ne va pas sans quelque arrière-pensée de supériorité.

A la pratique de Mistral et des grands Félibres, le Capiscol avait pris le désir d’épurer et de fortifier son parler, d’en régler et unifier l’orthographe laissée à la transcription de chacun.

Du coup, on transformait le barde cantalien en grammairien, philologue et scoliaste ; ce à quoi il était tout à fait le moins préparé. Aussi n’a-t-on pas vu, sans stupéfaction, l’aménagement de Jous la Cluchado[51] avec un texte étymologique, un texte phonétique, et la Traduction Française !

[51] Jous la Cluchado (Sous le chaume), Aurillac, Imprimerie moderne, 1909, par Arsène Vermenouze, préface de Louis Farges ; R. Four traduxit.

Ainsi, l’abbé R. Four présente la réforme :

« Comme une langue livrée à l’anarchie ne sera jamais une langue littéraire, nous estimons, avec notre cher poète Vermenouze, qu’il est temps de réagir… Mettant nos lumières en commun, nous nous sommes efforcés d’établir un système orthographique qui, nous l’espérons, finira par s’imposer de lui-même, car il est le résultat d’études philologiques et de recherches consciencieuses… A notre avis le latin est la seule base solide sur laquelle on puisse s’appuyer, dans le travail de restauration d’une langue romane. En conséquence, nous avons, pour ainsi dire, calqué la plupart de nos vocables languedociens sur leurs correspondants latins ».

On aperçoit tout l’arbitraire de ces conventions individuelles. Le résultat est pénible, et terriblement déconcertant. Vermenouze parlait le dialecte d’Aurillac et des environs. On l’a transformé en un vocabulaire qui n’est plus de nulle part, en une combinaison artificielle qui sent l’huile, et dont Vermenouze eût été incapable d’user, de jet par la parole et de plume courante par l’écriture !

Quel volume ! Cinq cents pages massives pour une trentaine de poèmes. En voici l’ordonnance ; par exemple pour le Vieux de la vieille, dont nous avons cité un fragment : page 112, le texte littéraire ; en regard, page 113, sa traduction ; et en bas, comme en note, prenant le dernier tiers des deux pages, le texte ancien, celui qui était monté du cœur, s’était élancé des lèvres du poète. Il avait transcrit, car il composait ses chants avant de les fixer sur le papier :

UN BIEL DE LO BIELHO

L’omperur remorquèt, un jiour, lo caro rudo,
Cromado pel soulel, etc.

Ceci est devenu, selon la méthode innocente de l’abbé R. Four :

UN VIELH DE LO VIEILHO

L’emperadour veguèt, un journ, la càro rudo,
Cramàdo pel soulelh, enchiprouso è bourrudo,
D’un capitani de grenadièrs a chabal :

Inutile d’insister, et de quereller plus avant. Les savants ont déjà répondu, comme on peut constater par la note ci-dessous[52].

[52] Annales du Midi, XXIIe année.

Ce qui nous intéresse dans ce recueil de vers, dont ce n’est point ici le lieu de louer la facture énergique, la haute et noble inspiration, — c’est la tentative philologique à laquelle il sert de passeport. L’auteur et M. l’abbé R. Four, dont nous avons annoncé deux opuscules grammaticaux (Annales XV, 445, et XVII, 450), mettant en commun leurs lumières, ont tenté de constituer, pour le dialecte d’Aurillac, une graphie rationnelle, fondée sur l’étymologie, mais qui pourtant tient compte « des grandes lois phonétiques qui ont présidé à la formation de la langue d’Oc moderne » et qui prétend « allier au respect des formes étymologiques une ample reconnaissance des mutations accomplies » (p. 15). En voici les principes essentiels : le V étymologique est substitué au B ; l’A tonique, quand il subsiste, est noté à ; l’A fermé, devant nasale, devenu O, est noté a ; l’O ouvert, dipthongué en ouo, est noté ó ; l’o ouvert non diphtongué est noté o. Le but de cette réforme est évidemment de rendre le texte plus facile et plus agréable à lire, en dissimulant, sous une graphie conventionnelle, ses caractères spécifiques, et par là d’en favoriser la diffusion. Nous éprouvons quelque embarras à contester qu’elle soit utile ; les auteurs ayant escompté d’avance l’approbation des gens « sérieux » et « sans préjugés ». Il nous semble que toute personne un peu familière avec un dialecte d’Oc ferait aisément la transposition du texte aurillacois en ce dialecte, et que quelques-uns préféreraient même goûter ces beaux vers en leur saveur originelle. Ce que nous devons dire aussi, en honnêtes philologues que nous sommes, c’est que le principe énoncé plus haut est quelque peu nuageux et que l’application n’en va pas sans difficultés. Dans la recherche de l’étymologie, à quelle époque doit-on remonter ? Au XVIIIe siècle, au XIIe, ou plus haut encore ? Faut-il écrire des « bardes avernats », au grand siècle, comme le Dauphin d’Auvergne ou comme… Cicéron ? En fait, certaines graphies nous reportent au delà du XVe siècle ; tels des imparfaits comme perdia, des infinitifs comme aimar, Bastir, des substantifs comme drandous, flours. D’autres sont toutes modernes : tels les imparfaits de la première conjugaison en abo, et tous les mots terminés en A atone (noté O). D’autres sont hybrides, comme abiaun, compromis entre les deux formes, usuelles au moyen âge, avion et aveu. Il est tôt fait de dire que l’on tient compte des « mutations accomplies ». Mais dans quel dialecte les considère-t-on ? Et si l’on prétend reproduire celles qui ont la plus grande extension géographique, pourquoi noter des particularités locales, comme dans Mau (pour mal), Camia (pour Camiso), Guel (pour El) ?

Et puis on se demande si tout ce grand effort était bien utile. La poésie de Vermenouze est assez belle pour s’imposer, pour faire son chemin sans avoir recours à tous ces artifices. Quand on a des ailes à quoi servent les béquilles ?

A. Jeanroy et L. Ricome.

Nous nous contenterons de faire remarquer le gigantesque enfantillage de cette refonte d’une pièce célèbre dans nos régions, où Vermenouze avait toujours récité :

L’Omperur, remarquèt, un jiour, lo caro rudo.

Pour changer Omperur en emperadour[53], il a fallu remanier tout l’alexandrin — et, ainsi, au long de la pièce. C’était déjà admirable qu’un vrai poète surgissant dans le parler natal en eût marqué la mâle et simple beauté montagnarde en regard du pâle et guindé français des citadins, sans vouloir soumettre le pâtre et le fermier à l’étude de ces phonétiques et graphies abracadabrantes. Si le patois qu’ils savent de naissance et de tradition, doit nécessiter la connaissance du Latin, chaque paysan devra concourir pour le doctorat et l’agrégation, avant d’entreprendre la lecture de Vermenouze.

[53] Dans la Revue d’Auvergne de sept. 1910, M. B. Petiat écrit, en toute compétence : « Sur cette voie, on peut aller loin. C’est ainsi que l’éditeur du dernier ouvrage de Vermenouze a trouvé le moyen de défigurer le texte de son auteur avec son système barbare de notations étymologiques qui le conduit à écrire à côté de L’OMPERUR, la forme EMPERADOUR (pourquoi pas imperatorum ?), gente à côté de gionte ; aquelses à côté de aquetchis ; dins les valats, à côté de bolats.

Et ce double texte étymologique et phonétique, résultat d’études philologiques et de recherches consciencieuses, M. Four le justifie ainsi : « Pour faciliter aux philologues l’étude de notre dialecte et donner satisfaction à ceux de nos compatriotes qui sont habitués à lire leur langue à la française (?) nous réservons au bas des pages de ce volume une place à un texte purement phonétique. Cela nous permettra, du reste, de laisser se manifester certaines formes patoises que nous avons cru devoir éliminer du texte littéraire et orthographié… Ce ne sera pas un des moindres titres de gloire de Vermenouze que d’avoir montré le bon chemin aux félibres auvergnats, désireux de ne pas être de simples et vulgaires patoisants ».

Voilà bien la tendance et le danger : « Éliminer (de l’Auvergnat) certaines formes patoises » ; on aura du patois épuré, corrigé, de l’Auvergnat orthodoxe qui ne sera admis qu’après avoir montré patte blanche. Ceux qui voudront étudier dans Vermenouze le mécanisme si savant et si riche de la phonétique et des formes des patois du Cantal sont dûment avertis !

Mais là ne s’arrête pas la fantaisie de l’abbé Four. Il a entendu aussi épurer Vermenouze. Sous quelle sotte férule était tombé notre brave Capiscol ! Tout le caractère du Vieux de la Vieille éclatait dans sa réponse « à la Cambronne » à l’Empereur, alors que, perdant le fil du discours longuement préparé, il s’écriait :

— Ce que j’ai ? Eh bien, tenez, « ça m’emm… » de n’être toujours que capitaine.

E… m’emmerde, tonès, de dèstre copitoni !…

L’ingénieux et pusillanime abbé Four, au-dessous du texte même de Vermenouze, donne cette version :

mès nos prous temps qu’ai très galouns : n’en vôle quatre,

soit en vers français :

Mais j’ai seulement trois galons, j’en voudrais quatre ;

Car ce n’est pas tout, l’Abbé R. Four a traduit le texte remanié, — en vers libres. Le patois brut et savoureux du poète, filtré en version « littéraire » et passé en ternes alexandrins étiques, — ou ce qu’il en reste, — d’une fadeur qui va jusqu’à l’écœurement ; pas une page où l’on ait à redresser l’insuffisance de la traduction, — avec la suffisance du traducteur.


Revenons à Vermenouze, dont la fraternelle mémoire m’a aidé à traverser cette nuit d’angoisse, avec le réconfort de son espoir indéfectible dans la victoire finale.

Car si le vibrant poète d’oc peut devenir obscur aux lecteurs les mieux intentionnés derrière les ajoutages ou les retailles saugrenues de ses éditeurs in extremis, il nous reste sa pensée entière dans les sonnets d’En plein vent, où, après le Salut au Christ avant de célébrer la petite patrie dans son intimité profonde, il marquait en 1900, sa confiance que la France ne saurait être vaincue, avec le réduit inexpugnable de ses montagnes !

A L’AUVERGNE

Salut, Auvergne, reine héroïque des Gaules,
Indomptable pays, où César a laissé
L’empreinte de son corps auguste terrassé ;
Car, tu lui fis toucher terre des deux épaules ;
Mère des brenns velus, preneurs de capitoles,
Qu’un mufle d’ours coiffait d’un casque hérissé,
Et dont les bras noueux comme le tronc des saules
Étouffaient l’ennemi qu’ils avaient enlacé ;
Toi, qui t’ériges sur un socle de basalte
Bâti par les crachats figés de tes volcans,
Comme pour y braver l’assaut des ouragans ;
Mon Auvergne, que je salue et que j’exalte,
N’est-ce pas que, parmi tes rocs cyclopéens,
Vit et palpite encor l’âme des anciens brenns ?…

NOS MONTAGNES

L’Auvergne, en cas d’invasion, serait le dernier rempart de la France : l’antre du lion. (Paroles historiques d’un maréchal du Premier Empire.)

Les montagnes, là-haut, telles d’énormes tentes,
Tel un camp formidable, au fond du ciel dressé,
Et qui semble garder le pays menacé,
Lèvent à l’horizon leurs cimes éclatantes.
Et, par l’écartement de leurs brèches béantes,
On voit bleuir un ciel d’hiver pur et glacé.
Tapis vierge, où nul pied ne s’est encor posé,
La neige a recouvert le dos de ces géantes.
O montagnes d’Auvergne, ô lions vigilants,
Qui froncez, dans l’azur profond, vos mufles blancs,
Et que les écirs font rugir à pleines gueules ;
Vous qui veillez au seuil de notre fier pays,
O montagnes, suprême espoir des envahis,
Salut à vous, salut, vénérables aïeules.
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