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Au cœur de l'Auvergne

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CHAPITRE XXI

Des Poètes nouveaux. — Le buste d’E. Chabrier. — Henri Pourrat. — Charles et Olivier Calemard de La Fayette. — La Petite victoire de Samothrace. — Le poème des champs. — Considère…

J’ai gardé le goût des vers et la passion des paysages. Peut-être est-ce d’avoir traîné mon enfance par la hâve et fuligineuse banlieue que je n’arrive pas à me rassasier de nature et d’espace ! Peut-être, est-ce d’avoir fabriqué « des vers impressionnistes », — que j’ai, par l’amour des contraires, gardé la passion de la poésie — des autres, français et patoisants… Toujours est-il que je n’approche jamais sans émotion le recueil d’un poète nouveau. D’abord, ce n’est pas un volume qui se vende. Vraiment, le poète se donne ! Avec le prosateur, si désintéressé soit-il, tout de suite nous entrons en compte, nous faisons une affaire, lui, surtout ; il demande de l’argent, il touche ; et nous en sommes pour notre dépense.

Des vers, des paysages, voilà qui me tentait ; d’autres paysages, — le Velay voisin — que me vantait chaleureusement Henri Pourrat, dont le jeune talent affirmé dans les Films auvergnats, Sur la Colline ronde, en collaboration avec Jean l’Olagne, enchante les régionalistes, et mérite de gagner tous les lecteurs. Ce sont des scènes savoureuses de la vie du Livradois, — annexé à la littérature française, dans une langue robuste, pleine, serrée, aux images hardies, nettes et justes — entre Guy de Maupassant et Jules Renard. Comme la Dore a trouvé son poète patois en M. Michalias, ses riverains et les campagnards ressortissants d’Ambert ont rencontré dans MM. Jean d’Olagne et Henri Pourrat des conteurs à qui ils doivent de nous apparaître typiques, définitifs, inoubliables, admirablement locaux. Il y a là des mœurs, du pittoresque inédits ; ces paysans sont de ce pays, pas d’un autre…

Donc, M. Henri Pourrat, dans nos promenades autour d’Ambert, m’entretenait de nature, de littérature, d’art, et de la poussée industrielle et commerciale de la petite capitale du Livradois, où se fabriquent des chapelets pour toutes les parties du monde. Le petit palais cossu de la caisse d’épargne dit assez l’accroissement des économies que les bas de laine déversent dans ses coffres de fer. Mais Ambert ne s’enorgueillit pas que de ses usines et de ses écus. Cet été, elle honorait, par un buste dû à Constantin Meunier, en place publique, l’un de ses plus glorieux enfants, Emmanuel Chabrier[49].

[49] A l’inauguration du monument (du sculpteur Vaury, surmonté du buste par Constantin Meunier), M. J. Desaymard a redit ainsi cette cruelle destinée d’un génie contre qui s’acharnait la malchance :

« Emmanuel Chabrier naquit à Ambert, en 1841, d’une vieille famille Ambertoise. Tout, en lui, rappelait son pays natal : depuis son nom, à étymologie pastorale, jusqu’à son accent, ponctuant drôlement des locutions du crû : « Eh ! ma mie ! — Ah ! bonnes gens ! » depuis ses houppelandes et ses vastes chapeaux restés légendaires, jusqu’à la carrure de son corps replet, surmonté d’une face large et animée, au front puissant, au regard incisif. Mais surtout ce qui faisait de lui la personnification même de sa race, c’était son tempérament volontaire, véhément et combatif, la vie ardente qui bouillonnait en lui, et s’épanchait, tantôt en une verve comique intarissable, tantôt en une tendresse effrénée ; c’était enfin son inspiration, affirmant dans toutes ses œuvres la joie et la beauté de vivre.

« Voilà pourtant l’homme que guettait la plus cruelle Destinée : — toute sa carrière artistique ne fut qu’une suite de malchances broyant peu à peu sa volonté tenace. D’abord, sa vocation musicale fut contrariée ; il dut faire du droit pour obéir à son père et ne put étudier son art qu’à moments perdus, au gré des loisirs que lui laissaient ses occupations au Ministère de l’Intérieur (1862-1880). En 1881, cependant, une bonne fortune échut à Chabrier ; libéré du ministère, il put accepter les fonctions de secrétaire auprès de Charles Lamoureux, lancé alors en pleine bataille artistique et menant le bon combat wagnérien : Chabrier fut un de ceux qui contribuèrent à la victoire ; il en retira le bénéfice de se faire connaître autrement que comme auteur d’opérettes, et Lamoureux lança sa rhapsodie Espana qui eut la fortune que l’on sait. Mais à cette époque commença le calvaire de Gwendoline ; cet opéra, qui fut l’œuvre capitale de Chabrier, ne put trouver, pendant longtemps, de théâtre où se produire. Le 10 avril 1886, enfin, la première représentation de Gwendoline avait lieu… à la Monnaie de Bruxelles. Mais la malchance persistait : à peine Gwendoline triomphait-elle depuis quelques jours en Belgique, que le directeur de la Monnaie faisait faillite. Ensuite, l’infortuné chef-d’œuvre fit le tour de l’Allemagne, le tour de France, mais toujours sans pouvoir forcer les portes de l’Opéra. Alors Chabrier, qui avait besoin de gloire et aussi d’argent, mit son espoir sur une œuvre d’un art plus accessible au public : le Roi malgré lui. Accueillie avec faveur à l’Opéra-Comique, cette pièce y était à peine installée (21 mai 1887), que le théâtre, quelques jours après, devenait la proie du fameux incendie qui le détruisit. Malgré ce nouveau revers, Chabrier voyait encore un avenir brillant devant lui : les représentations de Gwendoline, quoique étrangères à Paris, l’avaient décidément rendu célèbre ; partout il était recherché, fêté ; en juin 1886, ses compatriotes s’étaient honorés de le recevoir et de lui faire présider un concours musical qui avait lieu à Clermont-Ferrand, et ce fut le retour triomphant au pays natal, dans l’apothéose d’une gloire naissante. Après l’écroulement brutal du Roi malgré lui, Chabrier se mit donc courageusement à l’œuvre, pour l’élaboration du drame lyrique qui devait être la suprême expression de son génie : Briséïs ; il ne put achever cette entreprise ; l’épuisement paralysa peu à peu ses facultés, usées par de trop grands efforts, par les déceptions, par la vaine attente de voir représenter Gwendoline à l’Opéra. Cette consolation, il l’eut à peine : quand Gwendoline parut enfin sur la scène de l’Académie Nationale de musique, le 27 décembre 1893, la raison de Chabrier était trop affaiblie pour qu’il pût se rendre compte clairement de ce qui se passait. Il mourut quelques mois plus tard, le 13 septembre 1894, dévoré par le regret de ne pouvoir achever Briséïs.

« L’œuvre d’Emmanuel Chabrier reflète les puissants contrastes de son génie. Tantôt d’une verve folle, d’un esprit hilarant, d’un pittoresque grouillant ou d’une grâce légère, elle nous offre à peu près les seuls exemples qu’on ait de ce que pourrait être la musique humoristique, c’est-à-dire, par opposition avec la vile opérette, une musique qui tirerait tout son effet comique de moyens purement artistiques : non seulement de la mélodie, mais de l’harmonie, du rythme, de l’orchestration, de la prosodie. Dans ce genre, la trilogie humoristique des Cochons roses, des Petits canards et des Gros Dindons est un pur chef-d’œuvre ; mais il faut citer aussi : dans la note surtout comique, l’opérette de l’Étoile ; dans la note surtout pittoresque, Espana Habanera, Joyeuse Marche, la Bourrée fantasque, les Valses Romantiques, et la plupart des Pièces pittoresques ; dans la note spirituelle et légère, l’Éducation manquée et le Roi malgré lui. Tantôt encore, l’œuvre de Chabrier nous fait entendre les accents de l’héroïsme, d’un héroïsme rude qui lui est bien spécial, et c’est Gwendoline, et ce sont les rôles de chrétiens dans le fragment de Briséïs. Tantôt enfin — et c’est peut-être là qu’était la note la plus intime de Chabrier, — sa musique nous traduit une tendresse infinie, parfois éplorée ; elle est une caresse enveloppante, elle exprime la vraie nature de son âme, qui était toute « d’effusion affectueuse », suivant le mot de Vincent d’Indy : telle est l’inspiration de quelques « pièces pittoresques » comme l’émouvant Sous-bois, de la plupart des romances, l’Ile Heureuse, le Credo d’amour, Toutes les fleurs, Tes yeux bleus, etc., de la Sulamite, et de presque tout le premier acte de Briséïs.

« Chabrier s’était fait un style bien personnel et facilement reconnaissable. Ses arpèges, ses appogiatures, ses audacieux enchaînements d’accords de neuvième, ses accouplements insolites de timbres, dans l’orchestration, créent une atmosphère musicale qui lui est bien propre. Certes, il n’a rien inventé, à proprement parler, en fait de technique musicale ; mais, par la hardiesse de son harmonie et de son instrumentation, il a eu la plus large part dans cet affranchissement de l’écriture musicale dont s’honore l’école moderne. En maints passages de Gwendoline, et surtout dans la Sulamite et Briséïs, on sent déjà très nettement l’esprit dans lequel seront conçues les œuvres de Debussy et de ses disciples. »

Ou bien, avec admiration et pitié, M. Henri Pourrat me citait Olivier Calemard de La Fayette… Un jeune, et qui n’est plus, et que j’ignorais… On peut suivre un temps, à travers les petites revues, les générations qui montent… Et puis, l’on perd le contact… On ne peut tout lire… Il faut qu’un nom éclate, en fanfare retentissante, pour frapper nos oreilles. Encore, restons-nous défiants, maintenant que chaque année nous découvre des princes et des lauréats du vers et de la prose par douzaines.


Olivier de La Fayette ! M. Henry Pourrat m’en parlait avec transport, me communiquait des articles récents, à propos de la stèle commémorative élevée au chef-lieu de la Haute-Loire. Je résolus de pousser jusqu’au Puy et de m’y arrêter. Je connaissais la région, inséparable de l’Auvergne. Du moins, je croyais la connaître. Je la vis comme renouvelée, plus saisissante que jamais. Une lyre invisible, frémissante et désespérée, vibrait aujourd’hui, par les champs et les monts naguère accablés du plus morne silence…

Des paysages, des vers, par ces bons vieux trains si lents, qui s’arrêtent partout, — et voilà qui suffit à mon bonheur, et je marquerais la journée d’une pierre blanche, s’il y en avait, dans ces parages de lave sombre.


Olivier Calemard de La Fayette… Il naquit au Chassagnon (Haute-Loire), le 27 août 1877 ; il y mourut le 13 octobre 1906. Il n’a publié que le Rêve des jours, en 1904. Sa famille et ses amis, en 1909, ont fait paraître son volume inachevé : La Montée, avec des fragments de prose, et quelque correspondance. Mais comment ne point être conquis et bouleversé tout de suite. Il n’avait pas trente ans, quand sa voix s’est tue, celui qui écrivait de tels vers, dont M. Pierre de Nolhac a dit si bien : « Le jeune génie d’Olivier de La Fayette ressemble à cette Victoire de Samothrace qu’il a chantée. Elle s’élance ardemment vers le ciel ; toutes les puissances de vie sont en elle ; mais ses grandes ailes sont à demi brisées, et nul ne saura jamais les lignes admirables de son visage mutilé. »

A ma petite Victoire de Samothrace

J’invoque, le soir, quand ma lampe luit,
Ta chair mutilée ;
Et j’entends sonner le farouche bruit
De ton envolée !
J’entends dans les cieux profonds et vermeils
Où l’astre ruisselle,
Avec l’harmonie ivre des soleils,
L’écho de ton aile !
Et je vois fleurir, sous les doigts du soir,
Aux plis de tes voiles,
Pour illuminer ton large essor noir,
Des reflets d’étoiles !
Ma chair douloureuse est rivée au sol,
J’en souffrais de honte.
J’ai pleuré d’orgueil d’avoir vu ton vol
Qui passe et qui monte !
Et voici mon rêve… Emporte-le moi
Vers ces ombres roses…
Il veut savourer la gloire ou l’effroi
Des apothéoses !
Car ton aile ouverte a fait tant de vent
Sur sa face pâle,
Qu’il n’apaisera sa soif qu’en buvant
Toute la rafale !

Je parcours les comptes rendus de l’inauguration du monument que Le Puy a élevé le 30 juin 1912 à Charles et à Olivier Calemard de la Fayette. Car le grand-père a laissé un Poème des champs, fort estimé de Sainte-Beuve. Il avait fait partie des cénacles romantiques, ami de Th. Gautier, d’Arsène Houssaye, de Gérard de Nerval, quand il se retira dans sa terre :

Celui qui, dédaigneux des haltes et des trêves
Se complut aux fureurs,
Apaisé, repentant, dans les grands bois qu’il aime,
Vint se cacher, obscur et laboureur lui-même,
Parmi les Laboureurs.
Sans regret ni souci de la bataille humaine,
Par la famille à naître et par le vieux domaine
Aux longs devoirs lié,
Fidèle au sol béni que la sueur féconde,
Pour les humbles bonheurs il a fui loin du monde
Oubliant, oublié.

Par les quelques fragments des journaux, il est facile d’apercevoir que le petit-fils, touché d’autres inquiétudes morales et religieuses, souffre de ne pouvoir s’en tenir aux horizons rustiques de l’aïeul :

Si pourtant, — car la vie évolue et rayonne
Sous la forme qui se dessèche et qui périt —
Quelque Rêve affligeait tes vieux espoirs, pardonne
Les mots que tu n’aurais pas dits !
C’est la même rivière, en de nouvelles rives,
Qui coule reflétant, pure, les fleurs du bord,
Et par les soirs profonds et bleus, la clarté vive
Des étoiles, à l’horizon de nouveaux ports.
J’ai souffert, j’ai souffert de n’être plus toi-même.
Pourquoi faut-il que l’eau déserte la montagne ?
Ta vie était immense et j’aimais ton poème…
Que ton cher souvenir me garde et m’accompagne.

Certes, Olivier de La Fayette sent la nature, la terre et le ciel d’Auvergne, des Cévennes, du Velay, de la Limagne, auxquelles il dédie une grande partie de son volume… Mais il dépasse vite : « La profondeur ni la beauté du ciel étoilé ne sauraient satisfaire, même un instant, le désir de l’infini, que pourtant elles avivent. L’inconscience de la matière suffit à nous rendre plus étrangère que son indifférence même. » Ainsi argumente le poète, à propos d’une de ses inspirations. Aussi s’évade-t-il au plus tôt du décor étroit des pays et des saisons, à la poursuite du Mystère que ne lui masquent pas d’éphémères apparences :

Les feuilles, cette année, étaient trop vigoureuses,
Encore pleines de sève au moment des gelées ;
Et l’hiver a surpris ces pauvres malheureuses
Qui grelottent déjà sous les nuits étoilées.
Nous n’aurons point les belles feuilles de novembre
Qui tombent lentement, une à une, en silence…
Feuilles d’automne, feuilles rouges, feuilles d’ambre,
Tournoyantes dans l’air calme de somnolence.
Nous n’aurons pas les belles feuilles mordorées,
Les feuilles sans regret qui tombent d’être mûres…
Le vent brutal arrachera ces éplorées,
Et le bois douloureux aura de longs murmures,
Où de la tige saine à la pointe roussie,
La mort prendra soudain la feuille bien vivante…
— Entends dans la forêt ces frissons d’épouvante…

… Les voici, les belles feuilles de novembre, à ces arbres, à ces bois roux dont il invoquait la muse ! Par Arlanc, Saint-Alyre, la Chaise-Dieu, le lac de Malaquet, quelle communion d’or et de flamme, — qui semble processionner vers le Puy, vers la stèle du poète… Avec les bouleaux, les peupliers, les hêtres, les cerisiers, les vinaigriers, d’autres dont je ne sais pas les noms, ce sont toutes les roses, tous les rouges, toutes les pourpres, tous les carmins de la palette, du feu, du corail, de la chair, des pierreries, des fleurs, des aurores et des couchants. Comment avec des mots redire l’apothéose de cette fin d’après-midi d’arrière-saison, au long de ce train-omnibus qui, par tant d’arrêts, peut-être, voulait témoigner qu’il n’était pas pressé de quitter ces merveilleux parages ! Nulle part encore, je n’avais assisté à pareille féerie, à si outrancière et délicate débauche de couleurs et de nuances, du vinaigrier éclatant comme un brasier d’incendie parmi les verts sapins, au svelte et haut peuplier à pâleurs d’ambre, laissant tomber des jaunets de cuivre clair comme la menue monnaie de ce fabuleux inventaire de la fin des beaux jours ! Mais à grands seaux de ténèbres, la Nuit va noyer ces flammes précaires, ces feux rapides de la forêt éphémère.

Ah ! garde en toi ce ciel immobile et si doux
Sur le mauve horizon de l’Automne qui meurt,
Déjà le val profond fait monter des vapeurs
Au front du Soir fragile et qui tombe à genoux !

La jeunesse méditative d’Olivier de La Fayette ne se satisfait pas des spectacles de la nature environnante. Il aimait les paysages de la contrée natale. Son œuvre est imprégnée de leur forte et sainte atmosphère. Mais le problème de la destinée hantait sa pensée, comme tourmentée de l’angoissante échéance :

« J’ai trop songé, ce soir, aux choses lumineuses… » dira-t-il, en cet admirable poème du Bourdon, du symbolique insecte dont il suit nostalgiquement l’évasion vers le ciel !

....... .......... ...
Une odeur de résine alourdit le sous-bois
Où craquète l’aiguille jaune ; et, chaque fois,
Que je resonge, ô jour, à cette solanée
D’où monta le bourdon brutal vers la clarté,
Je sens, ivre d’un vain désir d’immensité,
Battre en ma chair pesante une aile emprisonnée.
....... .......... ...
D’une touffe de peluche,
D’un paquet d’herbes moussu,
S’élevaient des chants de ruche,
Des appels sourds et confus.
Devant moi, je crus entendre,
Douloureux frémissement,
Je ne sais quel désir tendre,
De l’immense firmament,
Et je cherchais dans la mousse
Près des brins d’or velouté,
Quelle vie obscure et douce,
Voulait boire à la clarté.
Sous la mauve solanée,
Aux macules de sang noir,
Une bête emprisonnée
Qu’on pouvait à peine voir,
Bourdon frêle, ombre velue,
Captif grave, plein de nuit,
Tout emmaillotté de glue,
Murmurait l’étrange bruit.
Patte prise, ailes collées,
Il était beau, l’être lourd,
Dans l’effort de l’envolée,
Vers la joie et vers le jour.
....... .......... ...
Vers les saules d’étain vibrent les guêpes claires…
Midi chaud fait saigner la lèvre des glaïeuls…
On entend des bruits d’eau sous les calcéolaires,
Et la chanson des abeilles dans les tilleuls.
....... .......... ...
Ton vol frappe l’air tiède et tressaille si vite
Que tu ne peux monter vers la vie éperdue
Qu’en t’agrippant aux brins jaunis des fleurs moussues
Que la brise d’été, pleine de baume, agite.
Mais, soudain, l’aile ardente a trouvé l’équilibre ;
Il s’élève, emporté vers quelque but fatal,
Sur les agneaux dorés, bleus dans l’ombre du vol,
Et sur les hauts taillis, odorants, dans l’air libre ;
Et sans voir le ruisseau ni les aulnes mielleux
Où les martins-pêcheurs sont des joyaux qui passent,
Il monte conquérant candide de l’espace,
Pèlerin puéril des lourds infinis bleus,
Dépasse des bouleaux la feuillaison penchante,
Rayonne en prismes et bourdonne éperdûment,
Et croyant que ce bruit, c’est tout l’été qui chante,
Confond la vie entière à son bourdonnement.
Ah ! Campanule, ouvre à mourir ton urne noire,
Et toi, goutte-de-sang, ton cœur d’amour ! Les cieux
L’appellent. L’astre luit et brûle ; il veut y boire,
Loin du parfum d’en bas qui rampe… Insoucieux
De tout un champ d’iris qui tend ses fleurs de soufre,
L’être clair, qui se croit l’âme du jour vermeil,
Ébloui, transparent, rose et mauve, s’engouffre
Dans la corolle incandescente du soleil !

La Montée ! C’est vers par vers qu’il faudrait suivre l’ascension passionnée du poète :

Vérité ! Vérité ! je t’aurai tant nommée,
Je t’aurai tant voulue et t’aurai tant aimée
Que tu dois vivre un peu sous l’obscure ramée.

La vérité, il la cherche en tous sens, jusqu’en l’espoir de la société future où, la matière vaincue, les hommes connaîtront la fin des labeurs ingrats ; comme dans le Rêve des Blés. Mais le passage en ce monde est bref :

Les saisons cueilleront la feuille qui se dore
Et quand la neige lourde aux grands épicéas
S’écroulera d’un coup sur le cerveau sonore,
L’écho long du sol creux ne m’éveillera pas.

D’ailleurs, le poète est prêt à rendre à la Nature tout ce qui lui vient d’elle :

— Oh ! vois-tu, ce que je t’ai pris à toi, Nature,
Ces longs sommeils dorés au flanc du val,
Ces silences devant tes monts aux lignes pures,
Ces frissons si profonds qui m’ont fait tant de mal.
Ces yeux bleus étonnés des teintes de l’automne
Sous les érables fraternels prompts à gémir,
Ce pouvoir de fixer la couleur que tu donnes
Au ciel d’héliotrope où le soir va mourir…
Tout cela, tout cela, tu peux me le reprendre,
Car, si j’en fis du songe et de vaines douleurs,
Le temps silencieux en ferait de la cendre,
Et, toi, tu sais, dans l’ombre, en refaire des fleurs.
Voici ma chair, mes sens, ma vie et ma tristesse,
Tout ce que j’ai subi, sans l’avoir désiré,
Et ces vagues langueurs et ces troubles ivresses,
Dont j’ai bu le vertige, en le croyant sacré :
Emporte… Un seul désir purifia mes heures,
Que je ne veux pas rendre et ne puis te devoir,
J’en ai voué l’image à tout ce qui demeure,
Et qui n’est pas venu des souffles de ton soir…

Du poète de la Montée, je ne voulais que citer quelques strophes, pour prêter leur musique à ce décor sublime, vers le plateau de la Chaise-Dieu. Or, il se trouve que l’œuvre d’Olivier de La Fayette, d’une telle inspiration, n’est pas de celles où l’on découpe le refrain léger qui se suffit et suffit souvent pour caractériser la manière, les tendances, le talent d’un artiste. Ici, à travers le monument inachevé, une voix s’impose, irrésistible. On a prononcé les noms de Maurice de Guérin, de Sully-Prud’homme, d’Alfred de Vigny, de Pascal. On pourrait en prononcer d’autres. Toutes les possibilités étaient dans ce jeune homme, marqué de génie, il faudrait toute une étude pour analyser le développement ardent de sa pensée jusqu’aux souveraines altitudes. Il faudrait des pages et des pages pour le situer parmi la génération, dont il se rapprochait par quelque symbolisme, mais dont il s’éloignait et qu’il domine par sa clarté toute méridionale. Il est du Velay des bons troubadours. Il a fréquenté les félibres de Toulouse. Il était ennemi des techniques étroites. Son vers est abondant, lyrique et solide, harmonieux, précis, direct. La Montée ! Jusqu’où ce vertigineux enfant n’aurait-il pas escaladé. Il se cherchait encore :

O mon âme ! Étrangère en ta propre demeure
Tu parcours tout mon être, étonnée et craintive,
D’avoir en vain cherché la raison de ton leurre…
Ta nostalgie inconsolable de captive
Se mêle au temps muet qui coule, heure par heure,
Dans le morne océan sans écume et sans rive…

Pourtant :

Tu sens à ton amour pour la Vie, ô mon Rêve,
A ton amour pour la musique et pour les êtres,
Qu’il n’est rien qui commence en toi, rien qui s’achève.
Le rythme universel te guide et te pénètre,
Les germes éclosant des graines que tu sèmes,
Et tout se lie autour de nous, et sur toi-même…
. . . . . . . . . . . . . . . . .
Ah ! se sont-ils trompés pour jaillir et verdir
Les surgeons souterrains à la tête rosée
Dont l’effort végétal est presque du désir ?
. . . . . . . . . . . . . . . . .
Sous le rouge soleil et la lourde rosée,
Hors des terreaux profonds et mouillés, vers le jour,
Chaque feuille argentée ouvre un jeune velours,
Et, dans la brume lumineuse et reposée,
Chaque fragile tige a des gestes d’amour…

Ainsi, des Étoiles sa vision retombait à la terre natale, dont il restituait avec grandeur les tableaux familiers :

Sous l’écorce d’argent la sève roule en fleuves.
Le peuplier garde un rayon dans ses hauteurs.
Il a plu. Les troncs durs lancent des pousses neuves
Et la terre se trouble, ivre de ses moiteurs.
Là-bas, dans les parfums d’ombre tiède où les aulnes
Fléchissent sous le poids des ramures mielleuses,
Couchée entre des boutons d’or et des lis jaunes
Contre le fond grenat du talus qui se creuse,
Une vache mugit vers la première étoile…
Et l’odeur du troupeau, sa vapeur et la brume
Qui flotte au haut du val et traîne comme un voile,
Font sur le bétail sombre une gloire qui fume…

Un volume de début, et un recueil posthume, le Rêve des jours, et la Montée, où l’on a rassemblé l’œuvre inachevée, d’un si haut vouloir, de tant de chaude intelligence, d’une si personnelle sensibilité… Mais, à chaque page, la beauté luit, la pensée flambe, comme l’or à l’arbre élancé « qui garde des rayons dans ses hauteurs ». Destinée brûlante et courte, qui, plus que sur une stèle sculpturale, aurait pu s’inscrire sur une de ces aiguilles de lave figées dans leur jaillissement volcanique, qui prête aux paysages Vellaves de tels aspects titaniques et foudroyés.

Olivier Calemard de La Fayette était bien le fils grave et ardent de cette Auvergne vellave. On a prononcé, ai-je dit, les noms de Pascal et d’Alfred de Vigny ? On pouvait, pour le poète de vingt-neuf ans, qui, se sachant perdu à bref délai, quelques semaines avant sa mort, se résignait avec une telle noble fermeté, ne s’abandonnant pas à maudire d’avance, « un ordre dur, inexplicable ou vain ».

Laisse la tiède nuit t’envelopper ; tu l’aimes,
Et tu goûtes pensivement la volupté
De recréer en toi son infini lacté,
Lorsque, sous tes paupières lasses qui la voilent,
Tu la vois plus profonde et plus pleine d’étoiles.
Et cachant d’autres nuits sous cette profondeur,
Toi qui tiens l’Univers sans borne dans ton cœur,
Sache trouver, avant l’aube neuve, une joie
A te bien contempler sous le sort qui te broie ;
Et puisque tu ne peux, hélas ! vivre tes jours
Où ton âme trop haute eût voulu trop d’amour,
Puisque tu ne connais ni ton but, ni ta cause,
Et puisque les trois blocs de marbres blancs et roses
Où tu voulus sculpter toi même ton Destin
Sont tombés tour à tour en poudre sous ta main,
Ne devant désormais dans l’humaine lumière
Ni jouir, ni savoir, ni créer, — considère…
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