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Chronique du crime et de l'innocence, tome 5/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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Nous voici parvenus à la grande époque de notre régénération politique, époque féconde en grands résultats; mais, il faut le dire aussi, tristement abondante en crimes de tout genre. Sous ce dernier point de vue, la révolution est de notre domaine. Nous allons donc extraire de notre histoire quelques-unes de ces sanglantes pages qui surpassent en horreur les atrocités de la Ligue et de la Saint-Barthélemy elle-même.

«Les terroristes de la Saint-Barthélemy et de la Ligue, dit M. de Chateaubriand, étaient des aristocrates nobles, des rois, des princes, des gentilshommes. Charles IX, Henri III, le duc de Guise, Tavannes, Clermont, Coconnas, Lamole, Bussy d'Amboise, Saint-Mesgrin et tant d'autres. Non-seulement ils lâchèrent les bourgeois de Paris sur les huguenots, mais ils trempèrent eux-mêmes leurs mains dans le sang. Les septembriseurs et les terroristes de 1792 et 1793 étaient des démocrates plébéïens; au-delà des meurtres individuels qu'ils commirent, ils inventèrent le meurtre légal, effroyable crime qui fit désespérer de Dieu; car, si la justice de la terre peut jamais être armée du fer de l'assassin, où est la justice du ciel? que reste-t-il aux hommes?»

Certes, la réforme, ou, si l'on veut, la révolution, dans la bonne acception du mot, était devenue inévitable. Tout était privilége dans les individus, les classes, les villes, les provinces et les métiers eux-mêmes; les dignités civiles, ecclésiastiques et militaires étaient le partage de quelques classes; on ne pouvait embrasser une profession qu'à certains titres et à certaines conditions pécuniaires; les charges pesaient sur une seule classe; la noblesse et le clergé possédaient à peu près les deux tiers des terres; l'autre tiers, possédé par le peuple, payait des impôts au roi, une foule de droits féodaux à la noblesse, la dîme au clergé, et supportait de plus les dévastations des chasseurs et du gibier. Une foule d'autres abus vexatoires pesait sur la nation, qui commençait à sentir qu'elle était bien aussi quelque chose dans l'État. Une sage réforme était donc devenue indispensable dans toutes les branches du gouvernement; mais ce résultat ne pouvait s'opérer que graduellement. Déjà Louis XVI avait manifesté ses intentions philantropiques, en restituant aux protestans leur état civil, en abolissant la torture, en supprimant les corvées, en prêtant son secours à la révolution d'Amérique. D'améliorations en améliorations, de progrès en progrès, ce prince, honnête homme, pouvait, avec le temps, achever de développer en France les principes de la sage liberté qu'il portait dans son cœur. La tâche était grande et glorieuse, mais difficile; les exigences d'une cour avide, l'empire des affections domestiques venaient à la traverse de ses généreux desseins. Quelques hésitations, des résistances intempestives firent fermenter les mauvaises passions de la révolution naissante; des nuages sombres et menaçans s'amoncelèrent sur l'horizon, et le trône disparut au fort d'un terrible orage.

De hardis novateurs, les uns avec des intentions pures, les autres par ambition et pour le plaisir de gouverner, avaient porté la hache dans le vieil édifice social, et l'avaient rasé presque en un jour, dans le fol espoir d'en avoir reconstruit un nouveau le lendemain: comme si une monarchie de quatorze siècles pouvait se déraciner sans laisser de nombreuses traces; comme si l'on pouvait improviser la constitution organique d'un ancien empire, avant d'avoir songé à en réformer les mœurs, qui doivent en être la base. L'histoire prouve que ces transitions brusques sont souvent mortelles pour les nations. Ce n'est pas ainsi que nous voyons la nature procéder dans l'ordre physique: pour ses moindres ouvrages, elle veut temps, espace et repos; les fruits prématurés sont ordinairement sans saveur. Il n'y a que des phénomènes désastreux qui se produisent instantanément; la grêle, la foudre, l'éruption d'un volcan, un ouragan furieux, une épidémie meurtrière. Quelquefois, au sein d'une violente tempête, une île verdoyante surgit du milieu des abîmes des mers; on admire cette terre nouvelle; déjà l'on s'en dispute la propriété; mais soudain une tempête nouvelle replonge l'île disputée au fond des abîmes. Telle fut, sous plusieurs rapports, la liberté conquise en 1789.

«Tous les bouleversemens de cette nature, dit un écrivain contemporain de la révolution, se développent dans un cercle qui paraît avoir à peu près la même dimension: ce sont toujours des peuples qui se révoltent contre ceux qu'ils appelaient leurs souverains; des prolétaires qui proscrivent les propriétaires, pour être propriétaires à leur tour; de nombreux citoyens jetés dans les prisons au nom de la liberté, et impitoyablement égorgés au nom de la justice; tous les crimes commis pour arriver à la félicité publique; toutes les infamies légalisées pour établir le règne de la vertu.»

C'est à la faveur de ces doctrines monstrueuses perfidement propagées dans les masses, que le peuple, qui se croyait souverain, parce que ses meneurs le lui disaient, pour régner plus sûrement en son nom, prêtait son appui à ceux qui le décimaient par amour du bien public, et devenait ainsi l'artisan de ses propres malheurs. Un sombre fanatisme de liberté, entretenu par d'audacieux intrigans, enfantait de nombreux séïdes qui rendirent facile l'établissement de l'horrible régime de la terreur. La délation fut érigée en vertu républicaine; la richesse, la science, les lumières, le talent, le génie furent autant de titres de proscription; et le sang d'une foule d'illustres victimes fut regardé comme un sang impur dont il fallait purger la France. Enfin le crime s'était emparé du glaive de la loi, et frappait de préférence tout ce qui offrait quelque chose du caractère de la vertu.

Nous allons esquisser les principales scènes de ce drame national qui se compose de tant de drames particuliers. Au milieu de ces événemens divers, on pourra juger du degré de frénétique fureur auquel peut se porter une populace ignorante et crédule, affranchie du frein salutaire des lois, et de la froide et atroce scélératesse qui dicte les arrêts d'un tribunal démagogique. Puisse la lecture de ces horreurs faire naître dans quelques esprits de bonne foi d'utiles réflexions pour l'avenir.


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