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Chronique du crime et de l'innocence, tome 5/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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La ville de Lyon, suivant la généreuse impulsion qui avait été donnée aux provinces par le parti des girondins, s'était insurgée contre l'autorité tyrannique de la convention. Des populations entières, arrachées de leurs foyers par le paralytique Couthon et plusieurs autres agens du gouvernement révolutionnaire, vinrent se ruer en masse sur cette malheureuse cité. Le siége fut terrible: les Lyonnais, sous la conduite du brave Précy, firent des prodiges de valeur, et tinrent long-temps en échec les assiégeans. Enfin, réduits à la famine, ils furent forcés de se rendre le 9 octobre 1793.

La nouvelle de la reddition de cette ville importante, au lieu de désarmer la colère du gouvernement révolutionnaire, porta sa rage jusqu'au plus incroyable délire. On peut en juger par le décret barbare qui fut rendu sur-le-champ par la convention, sur le rapport de Barrère: Voici cet étrange monument historique:

Article 1er. Il sera nommé par la convention nationale, sur la présentation du comité de salut public, une commission de cinq représentans du peuple, qui se transporteront à Lyon sans délai, pour faire saisir et juger militairement tous les contre-révolutionnaires qui ont pris les armes dans cette ville.

Art. 2. Tous les Lyonnais seront désarmés, les armes seront données à ceux qui seront reconnus n'avoir pas trempé dans la révolte et aux défenseurs de la patrie.

Art. 3. La ville de Lyon sera détruite.

Art. 4. Il n'y sera conservé que la maison du pauvre, les manufactures, les ateliers des arts, les hôpitaux, les monumens publics et ceux de l'instruction.

Art. 5. Cette ville cessera de s'appeler Lyon. Elle s'appellera Commune-Affranchie.

Art. 6. Sur les débris de Lyon sera élevé un monument où seront lus ces mots: Lyon fit la guerre à la liberté, Lyon n'est plus!

L'exécution de ce décret monstrueux fut confiée à plusieurs commissaires désignés par la convention, et notamment à Collot d'Herbois, qui, de mauvais comédien était devenu législateur, au milieu de la confusion universelle; Collot avait été mal accueilli par le parterre de Lyon; son amour-propre offensé avait voué une haine implacable à cette ville; le décret de destruction qu'il était chargé de faire exécuter le mit à même de savourer toutes les délices de la vengeance.

A peine fut-il arrivé à Lyon, que, marquant d'un premier coup de marteau l'une des nombreuses maisons destinées à être détruites, huit cents ouvriers, à ce signal, se mirent sur-le-champ à l'œuvre pour démolir les plus belles rues. Les dépenses pour ces épouvantables démolitions s'élevèrent à onze millions, cinq cent mille livres.

Ce n'est pas tout encore. C'était peu de punir les révoltés dans leurs propriétés, il fallait sévir contre leurs personnes. Collot d'Herbois installe une commission révolutionnaire, composée de cinq individus qui sont investis du droit de décimer la population lyonnaise. Le costume de ces juges de mort ajoutait encore à ce que leur mission avait de terrible. De longues moustaches ombrageaient leurs visages sinistres; ils portaient sur la tête de longs panaches couleur de sang. Revêtus d'habits militaires, un long sabre pendait à leur côté, et leur poitrine était décorée d'une petite hache, suspendue à un ruban tricolore; ils siégeaient deux fois par jour à l'Hôtel-de-Ville, et prononçaient sur le sort des infortunés que leur amenaient les guichetiers. L'interrogatoire était simple et la procédure expéditive. «Quel est ton nom, ta profession? Quelle fut ta conduite pendant le siége? Tu as été, ou tu n'as pas été dénoncé.» Et immédiatement après ces questions, les juges, ou touchaient leur hache, ou portaient la main à leur front, ou étendaient la main sur la table. Le premier signe condamnait à la guillotine, le second à la fusillade, et le troisième exemptait de la mort. Toutes les dix minutes, sept infortunés étaient amenés, interrogés, inscrits, et faisaient place à sept autres. Tous ceux qui avaient pris les armes pendant le siége, tous ceux qui s'étaient montrés compatissans à l'égard des prêtres, qui s'étaient prononcés contre les clubistes, qui avaient osé paraître une fois sans cocarde, surtout ceux qui avaient le malheur d'être riches, étaient considérés comme criminels d'état, et entassés dans les caves de l'Hôtel-de-Ville jusqu'au moment de leur supplice. Collot d'Herbois, entouré de soldats de l'armée révolutionnaire de Paris, chargés de protéger tous ses actes de tyrannie, donnait à chaque instant, des ordres exterminateurs pour dépeupler et démolir une des plus belles villes de l'Europe. Dans ce conseil infernal, on délibérait si l'on ne ferait pas jouer la mine, pour hâter la destruction et faire disparaître sur-le-champ tous les détenus dont les caves étaient remplies. Ce projet avait déjà été énoncé par Collot d'Herbois dans le sein même de la convention. On ne s'y arrêta cependant pas, et la résolution fut prise de tirer des canons à mitraille sur les prisonniers condamnés à mort.

En exécution de cette horrible détermination, soixante-neuf jeunes gens, amenés des prisons de Roanne, furent conduits aux Brotteaux. On les place garrottés deux à deux, entre deux fossés parallèles, bordés en dehors par des soldats tenant à la main leur sabre nu. Les malheureuses victimes se trouvent à la suite les unes des autres, dans la direction des canons braqués devant eux; ils voient sans frémir, cet appareil effroyable, et reçoivent en chantant, la décharge meurtrière qui déchire leurs membres, et laisse plusieurs d'entre eux encore vivans sur la place. Les soldats franchissent les fossés, et les achèvent à coups de sabres. Deux heures après cette affreuse canonnade, tous ces martyrs n'avaient pas cessé de vivre.

Le lendemain, ce genre de supplice devait s'essayer d'une autre manière, sur un nombre déterminé de deux cent huit personnes rassemblées dans la même prison. Pendant la nuit, quinze d'entre elles parvinrent à s'échapper. Pour remplir ce déficit, on imagine de prendre des commissionnaires du dehors, et plusieurs autres prisonniers qui se trouvent avec les condamnés; on les garotte, on les emmène sans vouloir rien entendre. Tous comparaissent devant la commission révolutionnaire, qui ne daigne pas même les interroger. En vain des réclamations se font entendre, même de la part de ceux qui ont été pris pour d'autres; on ne les écoute point, ils sont tous traînés au supplice. Cependant les hommes chargés de l'exécution, comptent les victimes sur le Pont-Morand, pour s'assurer si le nombre de deux cent huit est complet; il s'en trouve deux cent dix. On va consulter Collot d'Herbois.—«Qu'importe, répond-il, qu'il y en ait deux de plus; s'ils passent aujourd'hui, ils ne passeront pas demain.» Tous sont traînés alors au lieu de l'exécution. Leurs mains sont liées derrière le dos par une corde qu'on attache à un cable fixé à chacun des arbres d'une longue allée de saules; ils ont en face les soldats qui vont les fusiller, et deux canons prêts à vomir la mort sur eux. Le signal est donné, leurs membres sont dispersés; les cables qui les retiennent sont brisés, et quelques malheureux, quoique mutilés, peuvent fuir encore; la cavalerie les atteint, et les hache à coups de sabre. Les crosses, les baïonnettes, tout est en mouvement pour achever ce que n'ont pu exterminer le plomb et la mitraille; et cette exécution elle-même demeura cruellement incomplète; plusieurs des victimes respiraient encore le lendemain.

Dans ces expéditions en masse qui eurent lieu à plusieurs reprises, quelques personnes parvinrent à s'échapper par d'heureux hasards, et parvinrent à se réfugier en Suisse.

Nous allons citer quelques traits particuliers qui excitent la pitié, l'horreur ou l'admiration, et quelquefois ces trois sentimens à la fois. Un officier municipal, nommé Laurenson, avait été mis sur la liste des condamnés, quoique sa commune eût réclamé sa liberté avec énergie. On le conduisait au supplice, malgré ses réclamations; déjà le bourreau l'étendait sur la fatale planche, lorsqu'un gendarme apporta sa grâce. Aussitôt Laurenson est détaché; mais l'infortuné avait perdu la raison. Ma tête n'est-elle pas à terre? disait-il dans son égarement. Ah! qu'on me la rende..... Ne voyez-vous pas mon sang qui fume? Il coule près de moi et sur mes souliers..... Voyez ce gouffre ou sont entassés tous ces corps..... Retenez-moi, je vais y tomber.

Une femme octogénaire, nommée Martinon, malade au point de ne pouvoir se soutenir sur la voiture qui conduisait au supplice, y fut jetée comme un ballot, et, au moyen de cordes, on l'attacha avec force, de crainte qu'elle ne vînt à rouler à terre. Plus elle faisait entendre ses cris plaintifs, plus on la serrait violemment. Après quelques instans de marche, la voiture ayant éprouvé une secousse, le ventre de la malheureuse s'ouvrit, ses entrailles en sortirent, et elle expira.

Au milieu de ce délire féroce, on voyait éclater des actes du plus grand courage, même dans le sexe le plus faible et dans l'âge le plus tendre. Une jeune fille de seize ans, nommée Marie Adriam, s'était habillée en homme, et avait servi dans l'artillerie pendant le siége de la ville. «Comment, lui dirent les juges, as-tu pu braver le feu, et tirer le canon contre ta patrie?—C'était au contraire pour la défendre, répondit-elle.» Une autre jeune fille du même âge refusait de porter la cocarde nationale; on l'interrogeait sur son refus.—Ce n'est point, dit-elle, la cocarde que je hais; mais, comme vous la portez, elle déshonorerait mon front.» Un des juges fait signe au guichetier d'attacher une cocarde au bonnet de la jeune fille. «Va, lui dit-il ensuite, en portant celle-là tu es sauvée.» La courageuse prisonnière se lève avec sang-froid, détache la cocarde, ne répond que par ces mots: Je vous la rends, et marche au supplice.

Une autre jeune fille, dans les transports du désespoir, entra dans la salle du tribunal, en s'écriant: «Mes frères sont fusillés, vous venez de faire périr mon père, je n'ai plus de famille; que faire seule au monde? Je m'y déteste: mettez un terme à mon malheur; de grâce, faites-moi périr.» Elle était aux genoux des juges, en leur adressant cette prière. Ils ne purent rester insensibles à sa douleur, et la firent retirer.

On vit aussi des traits du plus généreux dévoûment. Des billets, dits papier obsidional, avaient été fabriqués pendant le siége dans l'imprimerie des frères Bruyset, et portaient la signature de l'aîné. Il fut dénoncé, et mis en jugement; mais, comme il était malade, son frère se présenta pour lui. Quand on lui demanda si la signature portée sur les billets était bien la sienne, il se contenta de répondre, sans autre explication: «C'est bien la signature Bruyset!» et, par cette équivoque généreuse, sauva son frère, en se sacrifiant pour lui.

Un autre Lyonnais, nommé Badger, avait un frère malade des blessures qu'il avait reçues pendant le siége; il fut arrêté à sa place, et conduit en prison. Un mot, un seul mot pouvait lui sauver la vie; il se tut, fut condamné, et marcha gaîment au supplice.

On admira aussi le courage résigné de quelques prêtres: on exterminait impitoyablement tous ceux que l'on pouvait saisir. «Si votre devoir est de nous condamner, disait l'un d'eux, obéissez à votre loi; la mienne m'ordonne de mourir et de pardonner à mes ennemis.» «Crois-tu à l'enfer? disait le président au curé d'Amplepuy.—Comment en douter, dit-il, puisque je vous vois?»

L'énergie de toutes ces innombrables victimes de la plus odieuse tyrannie étonnait même ceux qui présidaient aux exécutions. Collot d'Herbois, le plus farouche de tous, se plaignait de ce que les Lyonnais avaient puisé, dans l'habitude des périls, l'indifférence de la vie et même le mépris de la mort.

Les mêmes horreurs, à quelques variantes près, furent exercées à Bordeaux, à Marseille et dans les principales villes de France. A Toulon, lorsque cette place eut été reprise sur les Anglais, le 19 décembre 1793, un grand nombre de citoyens de cette ville furent réunis sur une place, où, d'après des ordres donnés, on tira sur eux à mitraille. Le député Fréron, qui assistait à cette terrible exécution, se promenait froidement sur ce champ de carnage, et, s'étant aperçu que quelques-unes des victimes avaient échappé à la mitraille, il s'écria tout haut: Que ceux qui ne sont pas morts se relèvent, la république leur pardonne. Quelques-uns de ces malheureux se relevèrent en effet, et l'ordre fut sur-le-champ donné de les fusiller.


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