Chronique du crime et de l'innocence, tome 5/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
La désastreuse journée du 10 août, qui venait de renverser le trône, et de voir la royauté foulée aux pieds, devait ouvrir la porte à une foule d'autres calamités. Les audacieux qui avaient détrôné leur roi, qui l'avaient constitué prisonnier dans la tour du Temple, s'arrogèrent bientôt le droit de le juger comme un criminel. A peine lui accorda-t-on le temps qui était nécessaire pour compulser les immenses matériaux sur lesquels sa défense devait être établie. Le vénérable et fidèle Malesherbes, Tronchet et Desèze, s'illustrèrent à jamais par leurs courageux efforts pour faire triompher la cause de leur monarque, accusé par ses sujets.
Louis XVI parut devant la convention, avec un front calme et tranquille. Desèze, qui était chargé de porter la parole, parla avec force de l'inviolabilité de la personne du roi; il déclara que, si on refusait à Louis XVI les droits de roi, il fallait lui laisser au moins ceux de citoyen. Il ajouta avec une hardiesse qui ne rencontra qu'un silence absolu qu'il cherchait partout des juges et ne trouvait que des accusateurs. Puis, il passa à la discussion des faits, et s'acquitta de cette tâche avec avantage, parce qu'on avait amassé une foule de faits insignifians, à défaut de la preuve précise des intelligences avec l'étranger. Il repoussa ensuite victorieusement l'accusation d'avoir versé le sang français au 10 août. Enfin, il termina par ces mots: «Louis était monté sur le trône à vingt ans; et, à vingt ans, il donna sur le trône, l'exemple des mœurs; il n'y porta aucune faiblesse coupable, ni aucune passion corruptrice; il y fut économe, juste, sévère, et il s'y montra toujours l'ami constant du peuple. Le peuple désirait la destruction d'un impôt désastreux qui pesait sur lui, il le détruisit; le peuple demandait l'abolition de la servitude, il commença par l'abolir lui-même dans ses domaines; le peuple sollicitait des réformes dans la législation criminelle, pour l'adoucissement du sort des accusés, il fit ces réformes; le peuple voulait que des milliers de Français, que la rigueur de nos usages avait privés jusqu'alors des droits qui appartiennent aux citoyens, acquissent ces droits, ou les recouvrassent, il les en fit jouir par ses lois; le peuple voulut la liberté, et il la lui donna! Il vint même au-devant de lui par ses sacrifices, et cependant c'est au nom de ce même peuple, qu'on demande aujourd'hui..... Citoyens, je n'achève pas..... Je m'arrête devant l'histoire; songez qu'elle jugera votre jugement, et que le sien sera celui des siècles!»
Après cette plaidoirie, et Louis XVI ayant été reconduit au Temple, un orage violent s'éleva au sein de l'assemblée. Lanjuinais s'élança à la tribune, et, au milieu des cris qu'excitait sa présence, il demanda, non pas un délai pour la discussion, mais l'annulation même de la procédure. Il s'écria que le temps des hommes féroces était passé; qu'il ne fallait pas déshonorer l'assemblée, en lui faisant juger Louis XVI; que personne n'en avait le droit en France, et que l'assemblée, particulièrement, n'avait aucun titre pour le faire. Les girondins, et notamment l'éloquent Vergniaud, leur principal orateur, proposèrent avec force l'appel au peuple, qui fut repoussé par Robespierre, Saint-Just, Barrère, et tout le parti de la montagne. La discussion se prolongea depuis le 27 décembre 1792, jusqu'au 7 janvier suivant. Le 14 janvier fut fixé pour la position des questions et l'appel nominal. L'assemblée se composait de sept cent quarante-neuf membres; six cent quatre-vingt-trois d'entre eux, déclarèrent Louis XVI, coupable de conspiration contre la liberté de la nation, et d'attentats contre la sûreté générale de l'État. L'appel nominal pour la question décisive, celle de l'application de la peine, dura toute la nuit du 16, et toute la journée du 17, au milieu d'une agitation menaçante, qui se manifestait fréquemment dans les tribunes. Sept cent vingt-un députés étaient présens à cette séance; la majorité absolue était de trois cent soixante-une voix, et il y eut trois cent soixante-une voix pour la mort sans condition. Les autres voix s'étaient partagées entre le bannissement, les fers, et la mort avec sursis.
Alors Vergniaud, qui présidait en ce moment l'assemblée, déclare, avec l'accent de la douleur, que la peine prononcée contre Louis Capet est la mort.
Louis XVI attendait depuis quatre jours ses défenseurs, et demandait en vain à les voir. Le 20 janvier, à deux heures de l'après-midi, il entend le bruit d'un cortège nombreux; il s'avance, et aperçoit les envoyés du conseil exécutif. Il s'arrête avec dignité sur la porte de sa chambre, et ne paraît point ému. On lui annonce qu'on vient lui communiquer les décrets de la convention. Le premier de ces décrets déclare Louis XVI coupable d'attentat contre la sûreté générale de l'État; le second le condamne à mort; le troisième rejette tout appel au peuple; le quatrième enfin ordonne l'exécution sous vingt-quatre heures. Louis, promenant sur tous ceux qui l'entouraient un regard tranquille, prit l'arrêt, le mit dans sa poche, et lut à Garat, ministre de la justice, une lettre dans laquelle il demandait à la convention trois jours pour se préparer à la mort, un confesseur pour l'assister dans ses derniers momens, la faculté de voir sa famille, et la permission pour elle de sortir de France. Garat se chargea de remettre sur-le-champ cette lettre à la convention, et Louis XVI rentra avec beaucoup de calme, demanda à dîner, et mangea comme à l'ordinaire. Comme on avait retiré les couteaux, et qu'on refusait de lui en donner: «Me croit-on assez lâche, dit-il avec dignité, pour attenter à ma vie? Je suis innocent, et je saurai mourir sans crainte.» Il acheva son repas sans couteau, rentra dans son appartement, et attendit avec sang-froid la réponse à sa lettre. La convention refusa le sursis, mais on accorda toutes les autres demandes. Garat envoya chercher M. Edgeworth de Firmont, le prêtre que Louis XVI avait choisi. En apprenant le rejet de la demande du sursis, le malheureux prince montra une magnanimité si tranquille, que le ministre, qui lui apportait cette triste nouvelle, en fut et surpris et touché.
Quand l'abbé Edgeworth eut été introduit auprès du roi, il voulut se jeter à ses pieds, mais le prince l'en empêcha, et versa avec lui des larmes d'attendrissement. Il lui demanda ensuite, avec une vive curiosité, des nouvelles du clergé de France, de plusieurs évêques, et surtout de l'archevêque de Paris, et le pria d'assurer ce dernier prélat qu'il mourait fidèlement attaché à sa communion.
Il était huit heures du soir. Le roi se leva, pria M. Edgeworth d'attendre, et sortit avec émotion, en disant qu'il allait voir sa famille. Les municipaux, ne voulant pas perdre de vue la personne du roi, même pendant qu'il serait avec sa famille, avaient décidé qu'il la verrait dans la salle à manger, qui était fermée par une porte vitrée, et dans laquelle on pouvait apercevoir tous ses mouvemens, sans entendre ses paroles. Le roi s'y rendit, et fit placer de l'eau sur une table, pour secourir les princesses, si elles venaient à perdre connaissance. Il attendit avec anxiété le moment de cette douloureuse et dernière entrevue. A huit heures et demie, la porte s'ouvrit; la reine, tenant le dauphin par la main, madame Élisabeth, Madame Royale, se précipitèrent dans les bras de Louis XVI, en versant des torrens de larmes. La porte fut fermée, et ce ne fut, pendant le premier moment, qu'une scène déchirante de confusion et de désespoir. Enfin la conversation devint plus calme, et les princesses, tenant toujours le roi embrassé, lui parlèrent quelque temps à voix basse. Après un entretien assez long, interrompu fréquemment par des momens de silence et d'abattement, Louis XVI se leva pour s'arracher à cette situation pénible, et promit de les revoir le lendemain matin à huit heures. «Nous le promettez-vous? lui demandèrent avec instance les princesses.—Oui, oui, répondit le roi, le cœur brisé de douleur.» Ces femmes infortunées ne pouvaient se séparer de celui qu'elles allaient perdre à jamais. Madame Royale tenait son père embrassé par le milieu du corps. Au moment de sortir, elle tomba évanouie; on l'emporta aussitôt, et le roi, accablé de cette scène cruelle, retourna auprès de M. Edgeworth, et ce ne fut qu'après quelques instans qu'il recouvra tout son calme. Le roi se coucha vers minuit, en recommandant à Cléry, son fidèle valet de chambre, de le réveiller à cinq heures. Nous allons emprunter à M. Thiers le funèbre récit qui forme le dénoûment de ce drame épouvantable qui n'était pourtant, en quelque sorte, que le prologue d'un massacre universel.
«Le lendemain, 21 janvier, cinq heures avaient sonné au Temple. Le roi s'éveille, appelle Cléry, lui demande l'heure, et s'habille avec beaucoup de calme. Il s'applaudit d'avoir retrouvé ses forces dans le sommeil. Cléry allume du feu, transporte une commode dont il fait un autel. M. Edgeworth se revêt des ornemens pontificaux, et commence à célébrer la messe; Cléry la sert, et le roi l'entend à genoux, avec le plus grand recueillement. Il reçoit ensuite la communion des mains de M. Edgeworth, et, après la messe, se relève plein de forces, et attendant avec calme le moment d'aller à l'échafaud. Il demande des ciseaux pour couper ses cheveux lui-même, et se soustraire à cette humiliante opération faite de la main des bourreaux, mais la Commune les lui refuse par défiance.
«Dans ce moment, le tambour battait dans la capitale. Tous ceux qui faisaient partie des sections armées se rendaient à leurs compagnies avec une complète soumission; ceux qu'aucune obligation n'appelait à figurer dans cette terrible journée se cachaient chez eux. Les portes, les fenêtres étaient fermées, et chacun attendait chez soi la fin de ce triste événement. On disait que quatre ou cinq cents hommes dévoués devaient fondre sur la voiture, et enlever le roi. La convention, la Commune, le conseil exécutif, les jacobins étaient en séance.
«A huit heures du matin, Louis XVI, en entendant le bruit, se lève et se dispose à partir. Il n'avait pas voulu revoir sa famille, pour ne pas renouveler la triste scène de la veille. Il charge Cléry de faire pour lui ses adieux à sa femme, à sa sœur et à ses enfans; il lui donne un cachet, des cheveux et divers bijoux, avec commission de les leur remettre. Il lui serre ensuite la main, en le remerciant de ses services. Après cela, il s'adresse à l'un des municipaux, en le priant de transmettre son testament à la Commune. Ce municipal était un ancien prêtre, nommé Jacques Roux, qui lui répond brutalement qu'il est chargé de le conduire au supplice, et non de faire ses commissions. Un autre s'en charge, et Louis, se retournant vers le cortége, donne avec assurance le signal du départ.
«Des officiers de gendarmerie étaient placés sur le devant de la voiture; le roi et M. Edgeworth étaient assis dans le fond. Pendant la route, qui fut assez longue, le roi lisait, dans le bréviaire de M. Edgeworth, les prières des agonisans, et les deux gendarmes étaient confondus de sa piété et de sa résignation tranquille. Ils avaient, dit-on, la commission de le frapper si la voiture était attaquée. Cependant aucune démonstration hostile n'eut lieu depuis le Temple jusqu'à la place de la Révolution. Une multitude armée bordait la haie; la voiture s'avançait lentement et au milieu d'un silence universel. Sur la place de la Révolution, un grand espace avait été laissé vide autour de l'échafaud. Des canons environnaient cet espace; les fédérés les plus exaltés étaient placés autour de l'échafaud, et la vile populace, toujours prête à outrager le génie, la vertu, le malheur, quand on lui en donne le signal, se pressait derrière les rangs des fédérés, et donnait seule quelques signes extérieurs de satisfaction, tandis que partout on ensevelissait au fond de son cœur les sentimens qu'on éprouvait. A dix heures dix minutes, la voiture s'arrête. Louis XVI, se levant avec force, descend sur la place. Trois bourreaux se présentent; il les repousse, et se déshabille lui-même. Mais, voyant qu'ils voulaient lui lier les mains, il éprouve un mouvement d'indignation, et semble prêt à se défendre. M. Edgeworth, dont toutes les paroles furent alors sublimes, lui adresse un dernier regard, et lui dit: «Souffrez cet outrage comme une dernière ressemblance avec le Dieu qui va être votre récompense.» A ces mots, la victime, résignée et soumise, se laisse lier et conduire à l'échafaud. Tout-à-coup, Louis fait un pas, se sépare des bourreaux, et s'avance pour parler au peuple. «Français, dit-il d'une voix forte, je meurs innocent des crimes qu'on m'impute; je pardonne aux auteurs de ma mort, et je demande que mon sang ne retombe pas sur la France.» Il allait continuer, mais aussitôt l'ordre de battre est donné aux tambours; leur roulement couvre la voix du prince, les bourreaux s'en emparent, et M. Edgeworth lui dit ces paroles: «Fils de saint Louis, montez au ciel!» A peine le sang avait-il coulé, que des furieux y trempent leurs piques et leurs mouchoirs, se répandent dans Paris, en criant: vive la République! vive la Nation! et vont, jusqu'aux portes du Temple, montrer la brutale et fausse joie que la multitude manifeste à la naissance, à l'avènement et à la chute de tous les princes.»
Pendant toute cette journée si funestement mémorable, Paris ressembla à une vaste solitude; les rues étaient désertes, et l'on ne rencontrait que des piquets ou des patrouilles armées. Un ordre sévère avait prescrit de tenir les croisées fermées; on devait faire feu sur ceux qui auraient osé se trouver en contravention. Un temps nébuleux, un brouillard froid, ajoutaient à la tristesse, à l'inquiétude générale.
Aussitôt après le procès de Louis XVI, des pétitionnaires salariés avaient demandé à la convention que la reine fût mise en jugement. Deux fois, Robespierre avait dit à la tribune, qu'il fallait que cette princesse fût envoyée au tribunal révolutionnaire; et le 1er août 1793, Barrère fit décréter cette proposition, à la suite d'un long rapport où le ridicule le dispute à l'atrocité. «Est-ce l'oubli des crimes de l'Autrichienne, dit-il, est-ce notre indifférence pour la famille Capet, qui a abusé nos ennemis? Eh bien! il est temps d'extirper tous les rejetons de la royauté.»
Le 5 novembre suivant, le même homme annonça aux royalistes qui, selon lui, demandaient du sang, le supplice prochain de la reine. Déjà, cette princesse avait été impitoyablement séparée de sa famille, pour être transférée à la Conciergerie, où elle fut plongée dans un cachot humide et mal-sain; rien ne fut oublié pour remplir d'amertume les derniers jours de la reine. Le 3 octobre, Billaud-Varennes fit ordonner au tribunal révolutionnaire de s'occuper sans délai, et sans interruption du procès de la veuve Capet; et le 11 du même mois, le comité de salut public, envoya les pièces à l'accusateur public, en lui recommandant de seconder son zèle. Le lendemain, Marie-Antoinette fut interrogée secrètement dans une salle obscure, où plusieurs témoins l'entendirent sans qu'elle pût les apercevoir: «C'est vous, lui dit le président Hermann, qui avez appris à Louis Capet l'art de la dissimulation avec laquelle il a trompé le peuple?—Oui, répondit la reine, le peuple a été trompé; mais ce n'est ni par mon mari, ni par moi.—Vous n'avez jamais cessé, dit encore le président, de vouloir détruire la liberté. Vous vouliez remonter au trône sur les cadavres des patriotes?—Nous n'avons jamais désiré que le bonheur de la France, répondit la reine; nous n'avions pas besoin de remonter sur le trône, nous y étions.....»
Le 14 octobre, elle parut devant le tribunal révolutionnaire. Parmi les jurés qui devaient prononcer sur son sort, se trouvaient un perruquier, un peintre, un tailleur, un menuisier et un recors. L'acte d'accusation fut digne d'un pareil tribunal. «A l'instar des Brunehaut et des Frédegonde, disait Fouquier-Tinville, Marie-Antoinette a été le fléau et la sangsue des Français.» Cet acte d'accusation était un assemblage honteux d'iniquités et de mensonges; il se terminait par la monstrueuse accusation dont Hébert et ses ignobles collègues étaient allés demander le témoignage aux propres enfans de l'illustre accusée. Cet Hébert, rédacteur de la dégoûtante feuille intitulée le Père Duchêne, et auparavant vendeur de contremarques à la porte des spectacles, rapporta, dans les termes les plus grossiers, les horribles questions qu'il avait faites à ces enfans. Il dit que Charles Capet (le dauphin) avait raconté à Simon, son précepteur, le voyage à Varennes et désigné Lafayette et Bailly comme en étant les coopérateurs. Puis, il ajouta que cet enfant avait des vices funestes et bien prématurés pour son âge; que Simon l'ayant surpris et l'ayant interrogé, avait appris qu'il tenait de sa mère les vices auxquels il se livrait. Hébert ajouta que Marie-Antoinette voulait sans doute, en affaiblissant de bonne heure la constitution physique de son fils, s'assurer le moyen de le dominer, s'il remontait sur le trône. La reine contenant d'abord son indignation, s'abstint de répondre; mais, pressée par un des jurés sur les mêmes faits, elle se retourna vers le public avec dignité, et prononça ces paroles remarquables: «Je croyais que la nature me dispenserait de répondre à une telle imputation; mais j'en appelle au cœur de toutes les mères ici présentes.» Cette réponse si noble, si simple, remua tous les assistans.
Cependant Marie-Antoinette reçut de courageux hommages de la part de plusieurs témoins qu'on avait tirés de leurs prisons pour les faire comparaître. Quand le vénérable Bailly fut amené, Bailly qui autrefois avait si souvent prédit à la cour les maux qu'entraîneraient ses imprudences, il parut douloureusement affecté, et comme on lui demandait s'il connaissait la femme Capet:—Oui, dit-il, en s'inclinant avec respect; oui, j'ai connu madame.—Il déclara ne rien savoir, et soutint que les déclarations arrachées au jeune prince, relativement au voyage à Varennes, étaient fausses. En récompense de sa déposition, il reçut des reproches outrageans, augure certain du sort qui lui était réservé.
Dans toute la suite des débats, le ridicule ne cessa d'être joint à la barbarie. On entendit reprocher à la reine de France, le nombre de souliers qu'elle avait usés; on l'accusa d'avoir accaparé pour quinze cent mille francs de sucre et de café, d'avoir dépensé des fonds conséquens pour un rocher, d'avoir tenu un conciliabule le jour où le peuple fit l'honneur à son mari de le décorer du bonnet rouge, d'avoir porté des pistolets dans ses poches, etc.
Dans son résumé, le président parla de bouteilles vides trouvées sous le lit de Marie-Antoinette, après le massacre du 10 août; il déclara que le peuple avait été trop long-temps victime des machinations infernales de cette moderne Médicis; et il parla de justice impartiale, de conscience, même d'humanité.
Pendant trois jours et trois nuits que durèrent les débats, l'auguste victime n'eut pas un seul instant de repos. Elle fut constamment sublime par sa constance, et par toutes ses réponses simples, précises, pleines de calme et de noblesse.
La terreur était tellement à son comble, que personne n'avait osé se présenter pour défendre la reine. Le tribunal nomma d'office Tronson-du-Coudray et Chauveau Lagarde, qui remplirent cette tâche périlleuse avec tout le courage et le dévoûment que permettaient les circonstances, et persuadés, comme ils l'étaient, de l'inutilité de leur ministère.
Marie-Antoinette fut condamnée à l'unanimité; elle entendit son arrêt de mort sans effroi, le 16 octobre 1793, à quatre heures du matin. Rentrée dans sa prison, elle écrivit à madame Élisabeth, une lettre touchante, qui ne devait pas parvenir à son adresse. Un prêtre constitutionnel s'étant présenté pour lui offrir les derniers secours de la religion, elle refusa de l'entendre; et lorsque les bourreaux entrèrent, cet homme lui ayant dit: «Voilà le moment de demander pardon à Dieu.....» «De mes fautes, reprit-elle; mais de mes crimes, je n'en ai pas commis.» A onze heures, elle sortit de la Conciergerie, vêtue de blanc, témoigna quelque étonnement de ce qu'on ne la conduisait pas au supplice comme Louis XVI, dans une voiture fermée, et monta dans un tombereau, avec l'exécuteur et le prêtre. Elle avait elle-même coupé ses cheveux; ses mains étaient liées derrière le dos. Son dernier vœu, ainsi qu'elle venait de l'écrire à madame Élisabeth, était de mourir avec autant de fermeté que son époux.
La garde nationale formait une double haie sur son passage; l'armée révolutionnaire suivait, et un histrion précédait le cortége, exhortant le peuple à applaudir à la justice nationale. Cette exhortation ne fut que trop entendue; le cortége prit le chemin le plus long, passa dans les rues les plus populeuses, et fut plus de deux heures avant d'arriver au lieu du supplice, sur la place fatale où, dix mois auparavant, avait succombé Louis XVI. Partout sur son passage, on entendit des cris féroces et des injures dégoûtantes. Les marches du grand escalier de Saint-Roch étaient couvertes de spectateurs; ils applaudirent avec fureur, lorsque la fatale charrette passa devant eux, et voulant considérer à loisir les traits de la victime, ils la firent arrêter. Elle promenait avec indifférence ses regards sur ce peuple qui, tant de fois, avait applaudi à sa beauté et à sa grâce. Arrivée au pied de l'échafaud, elle aperçut les Tuileries, et parut émue; alors elle se hâta de monter la fatale échelle, et se livra avec courage aux bourreaux. L'infâme exécuteur montra la tête au peuple, comme il faisait toujours, après l'immolation d'une victime illustre.
Madame Élisabeth, sœur de Louis XVI, survécut sept mois à son infortunée belle-sœur. On l'envoya à la mort le 10 mai 1794. Ce meurtre ne saurait pas trouver un seul motif d'excuse, même en politique. Madame Élisabeth était un ange de bonté; elle n'était connue que par ses bienfaits et ses vertus; et sa condamnation ne put pas même être établie sur les prétextes vulgaires dont on se servait alors. Cette princesse fut jugée et conduite au supplice le même jour, dans une charrette, avec une foule d'autres condamnés qui furent exécutés avant elle. On eût dit que les bourreaux voulaient rendre plus cruels, les derniers momens de la plus innocente victime, en la faisant mourir ainsi la dernière de sa famille et de ses compagnons d'infortune.
Il restait encore entre les mains des tyrans de la France, une personne de la famille royale, qui, trop jeune pour être traitée en criminel et conduite à l'échafaud, devait subir la mort en détail, pour le repos des consciences des bourreaux, ou plutôt (car la conscience des hommes pervers saurait-elle jamais être tranquille?) pour assurer la consommation de leurs projets; c'était le jeune dauphin, fils de Louis XVI. Cet enfant était resté dans la tour du Temple. On avait placé d'abord auprès de lui, à titre de précepteur, un cordonnier, nommé Simon. Cet homme, aidé de sa femme, forçait son élève à chanter la Carmagnole et d'autres chansons du même genre.
Après la retraite de Simon, qui fut rappelé au conseil de la Commune, en janvier 1794, deux autres hommes de cette Commune, veillaient jour et nuit autour du cachot du jeune prince. Dès qu'il faisait nuit, on lui ordonnait de se coucher, parce qu'on ne voulait pas lui donner de lumière. Quelque temps après, lorsqu'il était plongé dans son premier sommeil, un de ces Cerbères lui criait d'une voix effroyable: Capet, où es-tu, dors-tu?—Me voilà, disait l'enfant à moitié endormi, et tout tremblant.—Viens ici que je te voie.—Et le petit malheureux d'accourir tout suant et tout nu: «Me voilà, que voulez-vous?—Te voir; va, retourne te coucher, housse, décanille!» Deux ou trois heures après, l'autre brigand recommençait le même manége, et le pauvre enfant était forcé d'obéir.
Ce royal enfant était dans un lit que l'on ne remuait jamais, et qu'il n'avait pas la force de faire. Son linge et sa personne étaient couverts de puces et de punaises. On ne le changea ni de chemise, ni de bas, pendant plus d'un an. Ses ordures restaient dans la chambre; sa fenêtre, fermée en dedans avec des verroux, n'était jamais ouverte, et l'on ne pouvait tenir dans sa chambre à cause de l'odeur infecte.
Ce jeune prince mourut en juin 1795; son corps était couvert d'ulcères. On crut d'abord qu'il avait été empoisonné; mais il paraît certain que le régime de vie qu'on lui faisait subir, fut la principale cause de sa mort. «Ce malheureux enfant, dit un écrivain, avait une figure céleste; mais il avait le dos courbé dans les derniers momens de sa vie, et il avait perdu presque toutes ses facultés morales; le seul sentiment qui lui restât était la reconnaissance, non pas pour le bien qu'on lui faisait, mais pour le mal qu'on ne lui faisait pas. Sans prononcer une seule parole, il se précipitait au-devant de ses gardiens, leur serrait les mains, et baisait le pan de leur habit.»