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Chronique du crime et de l'innocence, tome 5/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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Il serait impossible d'énumérer toutes les têtes innocentes qui tombèrent sous la hache révolutionnaire. On pourra s'en faire une idée par approximation, quand on saura qu'à une époque où sur tous les points de la France, les échafauds avaient fait couler des flots de sang français, peu de temps avant le supplice de Robespierre, le nombre des détenus, tant à Paris que dans les provinces, s'élevait encore à près de quatre cent mille. Ce fait était attesté par les listes et les registres qui étaient alors au comité de sûreté générale. Comment serait-il possible de raconter en détail toutes les infortunes privées dont se composait le malheur général? Il faudrait plusieurs volumes pour narrer les horreurs qui se commirent sur toute l'étendue de notre malheureux pays; et, malgré l'intérêt que nous inspirent naturellement les martyrs de cette époque de crimes et de gloire, il serait bien difficile d'éviter l'écueil de la monotonie. Aussi, nous bornons-nous à reproduire les scènes les plus capitales par l'importance et l'illustration des personnages qui y figuraient, ou celles dont les détails méritent une mention particulière.

A ce dernier titre, le fait suivant est bien digne d'être recueilli. Trente-huit habitans de Verdun furent traînés à Paris et traduits devant le tribunal révolutionnaire. Parmi ces victimes se trouvaient des femmes qui n'avaient d'autre tort que d'avoir porté des fleurs au roi de Prusse, lors de son entrée dans cette ville. Tous les yeux s'arrêtaient avec attendrissement sur Henriette, Hélène, Agathe Watterin, jeunes, aimables et vertueuses sœurs, filles d'un militaire parvenu aux grades supérieurs par de longs et importans services: leur innocence, leur candeur et leur beauté intéressèrent leurs bourreaux eux-mêmes. Leur crime était d'avoir prêté de l'argent aux émigrés. Fouquier-Tinville, ce farouche accusateur public qui, par ses réquisitoires sanguinaires, seconda si efficacement la faction des égorgeurs, fut néanmoins touché à leur vue, et tenta de les sauver. Il leur insinua qu'elles n'avaient qu'à nier le fait dont on les accusait, et qu'elles obtiendraient leur liberté. Bien convaincues d'avoir fait une bonne action, ces jeunes filles refusèrent de se prêter à un désaveu; leur mort fut un des crimes de cette époque révolutionnaire, qui excita le plus d'indignation, et qui prépara la chûte des tyrans.

Sophie Tabouillot, fille de l'ancien procureur-du-roi au bailliage de Verdun, et Barbe Henri, fille d'un président au même tribunal, furent aussi comprises dans cette horrible procédure. Comme elles avaient à peine quatorze ans, elles ne furent point condamnées à mort, mais seulement à une exposition de six heures sur la place publique, et à vingt années de détention à la Salpêtrière. L'odieux de ce jugement remplit d'indignation le côté modéré de la convention, qui parvint à s'emparer de l'autorité. Après la chûte de Robespierre, ces deux jeunes infortunées furent rendues à la liberté.

Delille en célébrant le courage héroïque déployé par les femmes pendant l'effroyable régime de la terreur, s'est plu à décerner un poétique hommage aux admirables jeunes filles dont nous venons de parler; voici quelques-uns des beaux vers qu'il a consacrés à leur mémoire.

O vierges de Verdun! jeunes et tendres fleurs,
Qui ne sait votre sort, qui n'a plaint vos malheurs?
Hélas! lorsque l'hymen préparait sa couronne,
Comme l'herbe des champs, le trépas vous moissonne;
Même heure, même lieu vous virent immoler.
Ah! des yeux maternels quels pleurs durent couler!
Mais vos noms sans vengeur, ne seront pas sans gloire;
Non: si ces vers touchans vivent dans la mémoire,
Ils diront vos vertus. C'est peu: je veux un jour
Qu'un marbre solennel atteste notre amour.
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Mais s'il est quelque lieu, quelques vallons déserts,
Épargné des tyrans, ignoré des pervers,
Là, je veux qu'on célèbre une fête touchante,
Aimable comme vous, comme vous innocente.
De là, j'écarterai les images de deuil,
Là ce sexe charmant dont vous êtes l'orgueil,
Dans la jeune saison, reviendra chaque année,
Consoler par ses chants votre ombre infortunée;
«Salut, objets touchans, diront-elles en chœur,
Salut, de notre sexe irréparable honneur!
Le temps qui rajeunit et vieillit la nature,
Ramène les zéphirs, les fleurs et la verdure;
Mais les ans, dans leur cours, ne ramèneront pas
Une vertu si rare unie à tant d'appas.
Espoir de vos parens, ornement de votre âge,
Vous eûtes la beauté, vous eûtes le courage;
Vous vîtes sans effroi le sanglant tribunal;
Vos fronts n'ont point pâli sous le couteau fatal.
Adieu, touchans objets, adieu. Puissent vos ombres
Revenir quelquefois dans ces asiles sombres!
Pour vous le rossignol prendra les plus doux sons,
Zéphyr suivra vos pas, Écho dira vos noms.
Adieu: quand le printemps reprendra ses guirlandes,
Nous reviendrons encor vous porter nos offrandes;
Aujourd'hui recevez ces dons consolateurs,
Ces hymnes, nos regrets, nos larmes et nos fleurs.»

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