← Retour

Chronique du crime et de l'innocence, tome 5/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

16px
100%

Dans toutes les insurrections, le peuple croit agir de son propre mouvement, tandis qu'il est l'aveugle instrument de quelques ambitieux ou de quelques factions qui ont intérêt à le faire agir. Dans toutes les mémorables journées de la révolution, il est facile de reconnaître que tels ou tels événemens avaient été préparés à l'avance par des meneurs qui, travaillant pour leur propre compte, ou pour celui de riches et puissans patrons, exploitaient les passions violentes et la misère des classes inférieures; pour les soulever au nom de l'intérêt général, d'abord on avait toujours sous la main un certain nombre de séditieux à gages, de ces hommes à figure sinistre qui ne se montrent que dans les jours néfastes, et qui sont au service de qui veut les payer. Ces condottieri de la sédition apparaissaient criant à la trahison, et vomissant des imprécations de patriotique fureur; les masses s'ébranlaient par imitation, par sympathie, et se mettaient à l'œuvre par entraînement. Dans de pareilles circonstances, ce sera toujours l'histoire des moutons de Panurge.

Les saturnales du 20 juin 1792 furent le résultat, d'ailleurs prévu par ses auteurs, de la faction démagogique; on avait tenu des conciliabules, harangué plusieurs sections des faubourgs. On avait parlé d'une fête pour le 20 juin, anniversaire du serment du jeu de paume; il s'agissait, disait-on, de planter un arbre de la liberté sur la terrasse des Feuillans, et d'adresser une pétition à l'assemblée ainsi qu'au roi. Cette pétition, qui avait pour principal objet le rappel de trois ministres girondins, devait être présentée en armes. On voit assez par là que l'intention véritable du projet était de jeter l'épouvante dans le château par la vue de quarante mille piques.

Le 19 juin, le bruit courut dans Paris qu'une émeute allait éclater. Comme ce mouvement était favorisé par les mécontens de tous les partis, l'assemblée, lorsqu'on lui dénonça les préludes de la révolte, feignit de n'y point ajouter foi, et passa à l'ordre du jour, alléguant qu'elle croyait à la sagesse du peuple; aucune précaution ne fut prise: aussi, dès le lendemain, le tocsin sonna-t-il dans toutes les sections de Paris. Le faubourg Saint-Antoine se mit en marche. Le prétexte était comme nous l'avons dit, la présentation d'une pétition. Les pétitionnaires, au nombre de huit mille seulement, envahirent la salle de l'assemblée; leur orateur prononça un discours diffus sur les droits de l'homme et les trahisons de la cour; après cette harangue, ils défilèrent dans l'enceinte de la représentation nationale, aux acclamations d'une partie des députés. Ce cortége étrange était, en ce moment, de trente mille individus au moins. On se figure facilement tout ce que peut enfanter l'imagination du peuple livrée à elle-même. D'énormes tables portant la déclaration des droits de l'homme ouvraient la marche; des femmes, des enfans dansaient autour de ces tables, en agitant des branches d'olivier et des piques, c'est-à-dire la paix ou la guerre au choix de l'ennemi; ils répétaient en chœur le fameux ça ira. Cette foule de gens ivres et couverts de haillons, offrait un spectacle dégoûtant. On y voyait pêle-mêle des forts de la halle, des ouvriers de toutes les classes, avec de mauvais fusils, des sabres et des fers tranchans placés au bout de gros bâtons. Des bataillons de la garde nationale suivaient en bon ordre pour contenir le tumulte par leur présence; après venaient encore des femmes suivies d'autres hommes armés. Beaucoup de ces individus portaient des emblêmes grossiers et terribles à la fois. Sur des banderolles flottantes on lisait: La Constitution ou la Mort! Des culottes déchirées étaient élevées en l'air aux cris de Vivent les Sans-Culottes! D'autres avaient écrit sur leurs bonnets ou sur des drapeaux: Tremblez, tyrans, le Peuple est debout! Enfin un signe atroce vint ajouter la férocité à la bizarrerie du spectacle: au bout d'une pique était porté un cœur de veau, ou, selon d'autres, de cochon encore saignant, avec cette inscription horrible: Cœur d'aristocrate! La douleur et l'indignation éclatèrent à cette vue: sur-le-champ l'emblême affreux disparut, mais ce fut pour reparaître encore aux portes des Tuileries, où ce formidable rassemblement se rendit aussitôt.

Le château était entouré de nombreux détachemens de la garde nationale. La porte du jardin ayant été ouverte par l'ordre du roi, la foule s'y précipita, et défila devant les fenêtres du palais, sans aucune démonstration hostile, mais en criant: A bas le Véto! Vivent les Sans-Culottes! Cependant quelques individus ajoutaient en parlant du roi: «Pourquoi ne se montre-t-il pas?... Nous ne voulons lui faire aucun mal.» La multitude sortit par la porte du château qui donne sur le Pont-Royal, et vint, en traversant les guichets du Louvre, occuper la place du Carrousel. Le peuple inonda bientôt tous les environs, et se présenta à la porte royale. L'entrée lui en fut défendue; les flots de cette foule tumultueuse furent long-temps contenus par des officiers municipaux; mais, la consigne ayant été levée tout-à-coup, le peuple se précipita pêle-mêle dans la cour et delà dans le vestibule du château, qui en un instant fut envahi par tous les escaliers. On transporta à force de bras une pièce de canon jusqu'au premier étage, et les assaillans se mirent à attaquer, à coups de sabres et de haches, les portes qui s'opposaient à leur passage.

Une partie de la garde préposée à la défense du château, avait d'abord paru disposée à repousser les assaillans; mais, par un de ces changemens subits qu'on ne peut expliquer, plusieurs des volontaires qui étaient de garde à la porte royale et dans les appartemens, non-seulement refusèrent de faire feu, mais encore se mêlèrent avec le peuple.

Dans cette circonstance si périlleuse, Louis XVI se comporta d'une manière qui ne s'accordait guère avec la faiblesse et la pusillanimité dont ses ennemis l'ont tant de fois accusé. Il avait fait retirer un assez grand nombre de nobles qui voulaient défendre sa personne jusqu'à la dernière extrémité. Il était resté avec le vieux maréchal de Mouchy, le chef de bataillon Acloque, quelques serviteurs de sa maison et plusieurs officiers dévoués de la garde nationale. Quand on entendit les cris du peuple et le bruit des coups de hache, les officiers de la garde nationale entourèrent le roi, le suppliant de se montrer, en lui jurant de mourir à ses côtés. Le roi n'hésite pas, et ordonne d'ouvrir; au même instant, le panneau de la porte vient tomber à ses pieds sous un coup violent; un canon était pointé devant le roi; près de ce canon étaient groupés une foule d'hommes furieux qui passaient les pointes menaçantes de leurs piques à travers les ouvertures qu'on venait de faire à la porte.

«Me voici,» dit Louis XVI, en se montrant à la foule déchaînée. Ceux qui l'entourent, se pressent autour de lui, et lui font un rempart de leurs corps. «Respectez votre roi,» s'écrient-ils; et la multitude, qui n'avait certainement d'autre but qu'une invasion menaçante, ralentit son irruption. Plusieurs voix annoncent une pétition, et demandent qu'elle soit écoutée. Ceux qui entourent le roi l'engagent alors à passer dans une salle plus vaste, afin de pouvoir entendre cette lecture. Le peuple, satisfait de se voir obéi, suit le prince, qu'on a l'heureuse idée de placer dans l'embrasure d'une fenêtre. On le fait monter sur une banquette; on en dispose plusieurs devant lui; on y ajoute une table: tous ceux qui l'accompagnent se rangent autour. Les personnes dévouées au roi se pressent autour de lui pour le garantir des fureurs individuelles auxquelles il pouvait être en butte. Certes, si Louis XVI avait eu des torts aux yeux de la nation, l'agonie d'une telle journée en était une bien cruelle vengeance. Le spectacle qui s'offrait alors à lui était horrible: du milieu de cette foule hétérogène, composée en grande partie de gens ameutés, il voyait s'élever trois espèces d'enseignes; l'une formée d'un fer qui ressemblait au couperet de la guillotine, avec cette inscription: Pour le tyran! La seconde représentait une femme à une potence, avec ces mots: Pour Antoinette! Sur la troisième, on voyait un morceau de chair en forme de cœur, cloué à une planche avec cette inscription: Pour les prêtres et les aristocrates!

Au milieu du tumulte et des vociférations, on entend ces mots souvent répétés: Point de véto! Point de prêtres! Point d'aristocrates! Le camp sous Paris! Le boucher Legendre s'approche, et demande, dans son langage populaire, la sanction du décret.—Ce n'est ni le lieu ni le moment, répond le roi avec fermeté; je ferai tout ce qu'exigera la constitution.—Cette noble résistance produit son effet: Vive la nation! Vive la nation! s'écrient les assaillans.—Oui, reprend Louis XVI, Vive la nation! Je suis son meilleur ami.—Eh bien! faites-le voir, lui dit un de ces hommes, en lui présentant un bonnet rouge au bout d'une pique. Pour prouver sa résignation, le roi se laisse placer le bonnet rouge sur la tête, et l'approbation est générale. On lui présente une bouteille, en lui proposant de boire aux patriotes.—Cela est empoisonné, lui dit tout bas un de ses voisins.—Eh bien! réplique le prince, je mourrai sans sanctionner; et il boit sans hésiter, quoiqu'il eût depuis long-temps la crainte d'être empoisonné.—On a voulu seulement effrayer Votre Majesté, lui dit quelque temps après un grenadier de la garde nationale, croyant qu'il avait besoin d'être rassuré.—Vous voyez qu'il est calme, lui dit le roi, en lui prenant la main, et la mettant sur son cœur: On est tranquille en faisant son devoir.

Pendant cette pénible scène, madame Élisabeth, qui aimait tendrement son frère, était accourue, et s'était placée derrière lui, pour partager ses dangers. Le peuple, en la voyant, la prit pour la reine. Les cris: Voilà l'Autrichienne! retentirent de toutes parts, d'une manière effrayante. Les grenadiers de la garde nationale, qui avaient entouré la princesse, voulaient détromper le peuple.—Ah! laissez-les dans l'erreur, dit vivement cette sœur généreuse, et sauvez la reine.

Cependant Marie-Antoinette, entourée de ses enfans, faisait tous ses efforts pour joindre son époux. Elle voulait se réunir à lui, et demandait avec instance qu'on la menât dans la salle où il se trouvait. On était parvenu à l'en dissuader, et rangée derrière la table du conseil, avec quelques grenadiers, elle voyait défiler le peuple, l'effroi dans le cœur. A ses côtés, sa fille versait des pleurs; son jeune fils, effrayé d'abord, s'était bientôt rassuré, et souriait avec l'heureuse ignorance de son âge. On lui avait présenté un bonnet rouge, que la reine avait mis sur sa tête.

En apprenant les dangers du château, des députés étaient accourus auprès du roi, et parlaient au peuple, pour l'inviter au respect. L'assemblée nationale, sur la proposition du parti des constitutionnels, envoya une députation aux Tuileries, pour préserver le roi de la fureur populaire. Le maire de Paris à cette époque, Pétion, qui n'était pas étranger à l'insurrection, et qui lui avait laissé tout le temps de se développer, arriva enfin au château, et après s'être excusé de son retard auprès du roi, monta sur un fauteuil, et s'adressant à la foule, lui dit, qu'ayant fait des représentations au roi, il ne lui restait plus qu'à se retirer sans tumulte, et de manière à ne pas souiller cette journée. En effet, la multitude s'écoula paisiblement, et avec ordre. Il était environ sept heures, et il y en avait plus de trois que durait cette scène horrible de désordre.

Aussitôt, le roi, la reine, sa sœur, ses enfans, se réunirent en versant des torrens de larmes. Le roi, étourdi de ce qui venait de se passer, avait encore le bonnet rouge sur la tête; il s'en aperçut pour la première fois, et il le rejeta avec indignation. Parmi les députés accourus au château, Merlin de Thionville, ardent républicain, était présent. La reine aperçut des larmes dans ses yeux. «Vous pleurez, lui dit-elle, de voir le roi et sa famille traités si cruellement par un peuple qu'il a toujours voulu rendre heureux.—Il est vrai, madame, répondit Merlin, je pleure sur les malheurs d'une femme belle, sensible, et mère de famille; mais ne vous y méprenez point, il n'y a pas une de mes larmes pour le roi, ni pour la reine; je hais les rois et les reines Réponse qui exprime, en quelques mots, l'aveuglement du fanatisme politique.

De cette fatale journée du 20 juin, où la royauté fut avilie, à celle du 10 août, où elle fut anéantie, la transition n'était pas difficile à prévoir. Les partis qui avaient poussé le peuple à violer la demeure des rois pour obtenir de force la sanction de deux décrets, ne devaient pas se faire plus de scrupule de ruer de nouveau ce peuple sur l'enceinte royale, pour faire proclamer la déchéance du roi, qu'ils désignaient comme l'ami avoué des ennemis de la patrie. La coalition formée contre la France par tous les princes de l'Europe, favorisait leur audace, et servait de prétexte à leurs desseins de renversement. On montrait au peuple l'ennemi extérieur qui le menaçait, et il était facile de le convaincre qu'il avait dans la cour un ennemi non moins redoutable, allié secret du premier. Les partis étaient en présence. Celui de la Gironde méditait une insurrection républicaine. Les fédérés des départemens arrivaient, surtout ceux de Marseille, qui se sont fait une si triste célébrité dans la boucherie du 10 août. L'orage grossissait de jour en jour. Déjà, à la fête solennelle de la fédération, Louis XVI avait à peine échappé à la fureur du peuple, qui, d'un autre côté, prodiguait toutes les marques de son affection à Pétion, son ancien maire, et l'agent fidèle des factieux.

Enfin le moment de la crise arriva. Tout était prêt pour porter le coup décisif. Le 9 août, le président du club des Cordeliers, foyer de la sédition, avait dit à ses gens, qu'il ne s'agissait plus, comme au 20 juin, d'une simple promenade civique. On avait éloigné de la capitale les régimens dont les dispositions avaient paru favorables au roi pendant la dernière fédération. Le château des Tuileries avait pour toute défense huit ou neuf cents Suisses, et un peu plus d'un bataillon de la garde nationale. A ces défenseurs du château, il faut joindre une foule de vieux serviteurs qui s'étaient pourvus, à la hâte, de toutes les armes qu'ils avaient pu se procurer.

Tous les membres du directoire du département s'étaient rendus au château, aux premiers tintemens du tocsin. On y manda Pétion, qui arriva avec deux officiers municipaux. On lui fit signer l'ordre de repousser la force par la force, et il le signa, pour ne pas paraître le complice des insurgés. On voulait le retenir au château, comme une sorte d'ôtage, mais le roi s'y opposa.

Il eût été, peut-être, un moyen de conjurer le danger qui menaçait; c'était de prévenir l'attaque, en dissipant les insurgés, qui n'étaient pas encore très-nombreux. On ne s'y arrêta point, par respect pour la légalité.

Une nouvelle municipalité s'était formée à l'Hôtel-de-Ville. Mandat, commandant en chef les forces destinées à la défense du château, est sommé par cette municipalité insurrectionnelle, de comparaître à l'Hôtel-de-Ville. Il ignorait la composition de cette nouvelle commune; il hésite un moment, puis il remet à son fils l'ordre de repousser la force par la force, signé de Pétion, et se rend à la sommation de la municipalité. Il était quatre heures du matin. A peine est-il arrivé à l'Hôtel-de-Ville, qu'il est surpris d'y trouver une autorité nouvelle. On l'entoure, on l'interroge sur les ordres qu'il a donnés; on le renvoie ensuite, et, en le renvoyant, le président fait un signe sinistre qui devient un arrêt de mort. En effet, le malheureux commandant est à peine sorti, qu'on s'empare de lui, et qu'il est renversé d'un coup de pistolet; on le dépouille de ses vêtemens, et l'on jette son corps dans la rivière, où tant d'autres cadavres allaient bientôt le suivre.

Par ce meurtre, tous les moyens de défense du château furent paralysés. Les insurgés se réunirent de tous les points de la capitale. Le château fut assiégé au milieu d'une confusion extraordinaire. Dès le point du jour, on découvrit leurs bandes, occupant toutes les avenues du palais; on aperçut leur artillerie pointée sur le château; on entendit leurs cris confus, et leurs chants menaçans. La plus grande division régnait dans les rangs de la garde nationale; un grand nombre de citoyens faisant partie de cette garde, s'était réuni aux assaillans. Le roi et la reine avaient passé plusieurs fois la revue des défenseurs du château; la reine, surtout, les encourageait par des discours vifs et animés. Arrachant vivement un pistolet de la ceinture d'un officier suisse, elle le présenta à Louis XVI, en lui disant avec chaleur: «Allons, monsieur, voilà l'instant de vous montrer.» Mais quelque courage qu'eût le roi, car il en montra encore beaucoup dans cette désastreuse journée, il lui manquait celui de l'offensive.

Rœderer, le procureur-syndic de la commune, vivement alarmé des événemens qui se préparaient, et de la défection qui se manifestait dans les rangs des gardes nationaux restés jusque là fidèles, vint conseiller au roi de se réfugier au sein de l'assemblée nationale.

La reine s'opposa vivement à ce projet. «Madame, lui dit Rœderer, vous exposez la vie de votre époux et celle de vos enfans: Songez à la responsabilité dont vous vous chargez.» L'altercation fut assez vive; enfin le roi se décida à se retirer dans l'assemblée; et d'un air résigné: Partons, dit-il à sa famille, et à ceux qui l'entouraient. «Monsieur, dit la reine à Rœderer, vous répondez de la vie du roi et de mes enfans.—Madame, répliqua le procureur-syndic, je réponds de mourir à leurs côtés, mais je ne promets rien de plus.»

Une difficulté restait, celle de traverser les bataillons des assiégeans, pour se rendre à la salle du Manége, où se tenait l'assemblée. Rœderer parla au nom de la loi; les rangs s'ouvrirent; mais on ne voulait laisser passer que le roi, et sacrifier Marie-Antoinette à la vengeance publique. On eut bien de la peine à calmer cette effervescence. Un homme du peuple prit la main du roi, et lui promit, en termes grossiers, sa protection. Un autre prit le jeune prince dans ses bras; aussitôt les cris: Point de femme! à bas madame Véto! se firent entendre. Mais Rœderer, par sa fermeté, imposa à cette multitude déchaînée, et parvint à introduire saine et sauve la famille royale dans l'assemblée. Louis XVI et tous les siens furent placés dans la loge d'un journaliste, d'où ils assistèrent aux tristes délibérations dont ils devaient être l'objet.

A peine la famille royale était-elle en sûreté, qu'une affreuse décharge d'artillerie, suivie de coups de fusils répétés sans intervalles, se fit entendre. Ce combat avait lieu au château. Après le départ du roi, toute résistance avait paru inutile; aussi les commandans du château n'avaient-ils pas cherché à défendre les portes extérieures. Les Marseillais, les bataillons des faubourgs, étaient entrés sans coup férir dans les cours. Les canonniers, les gendarmes, une partie des gardes nationaux s'étaient déclarés pour eux. On parlementait avec les Suisses. Tout annonçait une pacification immédiate; les Suisses remettaient même leurs baïonnettes dans le fourreau, quand tout-à-coup, la décharge d'une arme à feu, partant du château, fit crier des deux côtés à la trahison. On ignore de quelle main partit ce coup fatal; quoiqu'il en soit, les suites en furent terribles. Les Suisses, auxquels on présenta ce coup de feu comme une trahison du parti populaire, s'emparèrent de plusieurs canons, les tirèrent sur les Marseillais, et ajoutèrent à l'effet terrible de la mitraille celui d'un feu de file bien nourri: ils repoussèrent pendant quelques instans le peuple et les fédérés. Mais bientôt la masse populaire, qui répare si facilement ses pertes, revint à la charge, et, après une héroïque défense, les malheureux Suisses tombèrent accablés sous le nombre; presque tous périrent dans cette sanglante catastrophe, ou sous le canon des Marseillais, ou sous les coups de la populace, qui les suivait.

Alors le château fut envahi; le feu, mis aux casernes, gagna bientôt tous les bâtimens: les appartemens du roi furent dévastés, ses fidèles serviteurs poursuivis, arrêtés ou massacrés. Un peloton de dix-sept Suisses s'était réfugié dans la chapelle, où quelques femmes s'étaient également sauvées. Bourdon de l'Oise, armé d'une espingole, enfonce la porte, et dit en riant, dans un baragouin dérisoire, à plusieurs personnes qui étaient auprès de lui: Tirerai-je t'y où ne tirerai-je t'y pas? et à l'instant il lâche la détente. La foule se précipite, et tout est égorgé. Un mauvais acteur tragique se barbouilla le visage du sang d'un Suisse. Le nommé Arthur, riche manufacturier, arracha le cœur à un de ces malheureux, et l'emporta; on a dit, mais le fait est si atroce qu'on se refuse à le croire, qu'il trempa ce cœur dans de l'eau-de-vie brûlée et le dévora. Les domestiques du château, quoique tous d'une opinion révolutionnaire, ne furent pas épargnés. Quelques-uns furent précipités dans les feux des cuisines, d'autres furent égorgés.

Il se trouva quelques vainqueurs généreux: «Grâce aux femmes, s'écria l'un d'entre eux; ne déshonorez pas la nation!» Et il sauva des dames de la cour qui étaient à genoux, en présence des sabres levés sur leur tête.

Cette terrible et déplorable journée se termina par le décret de déchéance que rendit l'assemblée. Le roi fut déclaré déchu de la royauté et la convention nationale convoquée. C'était le dernier jour de la couronne. «La monarchie suspendue, dit M. Thiers, allait être bientôt la monarchie détruite. Elle allait périr, non dans la personne d'un Louis XI, d'un Charles IX, d'un Louis XIV, mais dans celle de Louis XVI, l'un des rois les plus honnêtes qui se soient assis sur le trône.»


Chargement de la publicité...