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Chronique du crime et de l'innocence, tome 5/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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Fouquier-Tinville, cet accusateur public si dévoué aux ardeurs sanguinaires des Robespierre et des Couthon, venait d'être condamné à mort avec plusieurs jurés du tribunal révolutionnaire, pour la manière atroce dont il avait exercé ses fonctions. Le supplice de ce misérable avait poussé l'irritation des soi-disans patriotes au plus haut degré. Ils étaient décidés à une tentative désespérée.

Le 1er prairial an III (20 mai 1795), fut choisi pour porter ce coup qui devait être décisif. Il s'agissait, comme dans tous les mouvemens de ce genre, d'une insurrection à organiser. On mit les femmes en avant, parce que, disait-on, la force armée n'oserait pas tirer sur des femmes; on les fit suivre par un rassemblement immense. On voulait entourer la convention d'une telle multitude qu'elle ne pût être secourue, et la forcer de rappeler Billaud-Varennes, Collot-d'Herbois et Barrère, tous trois les dignes compagnons des plus fameux terroristes; en un mot, exiger l'élargissement de tous les patriotes renfermés et la remise en vigueur de la constitution de 1793, avec tous ses accessoires.

Le tumulte était général dans les faubourgs et dans plusieurs quartiers. Les patriotes sonnaient le tocsin de tous les côtés, battaient la générale et tiraient le canon. Les sections qui étaient dans le complot s'étaient formées de grand matin, et marchaient déjà en armes bien avant que les autres eussent été averties. Bientôt la salle de l'assemblée est assiégée; toutes les issues sont fermées. Les députés, accourus en toute hâte, étaient à leurs places. En voyant la convention ainsi entourée, un membre s'écria qu'elle saurait mourir à son poste. Aussitôt tous les députés se levèrent en répétant: Oui! oui! En même temps la foule croissait sans interruption au-dehors; un essaim de femmes se précipite dans les tribunes, en foulant aux pieds ceux qui les occupent, et en criant: Du pain! du pain! les unes montrent le poing à l'assemblée, les autres rient de sa détresse. Le tumulte devient général; on couvre de huées la voix du président, qui s'efforce vainement de rétablir le silence. La multitude armée enfonce une des portes de l'assemblée. Une escorte de fusiliers et plusieurs jeunes gens, qui s'étaient munis de fouets de poste, escaladent les tribunes, et en font sortir les femmes, en les chassant à coups de fouet. Elles fuient, en poussant des cris épouvantables.

Mais bientôt la foule armée, qui vient d'enfoncer une porte, pénètre au sein de la convention; d'abord elle est refoulée, puis elle revient à la charge. Enfin, on parvient à repousser sans blessure la multitude des assaillans, qui cèdent à la vue du fer.

Cependant la foule augmentait sans cesse autour de la salle; elle ne tarde pas à faire un nouvel effort. Le combat s'engage au milieu même de l'assemblée; les défenseurs de la convention croisent la baïonnette; de leur côté, les assaillans font feu, et les balles viennent frapper les murs de la salle. Les députés se lèvent en criant: Vive la république! Les coups de feu redoublent; on charge, on se mêle, on sabre. Un jeune député, plein de courage et de dévoûment, Féraud, récemment arrivé de l'armée du Rhin, et courant depuis quinze jours autour de Paris pour hâter l'arrivage des subsistances, vole au devant de la foule, et la conjure de ne pas pénétrer plus avant. «Tuez-moi, s'écrie-t-il en découvrant sa poitrine; vous n'entrerez qu'après avoir passé sur mon corps.» En effet, il se couche à terre, pour essayer de les arrêter; mais ces furieux, sans l'écouter, passent sur son corps, et courent vers le bureau. Des femmes ivres, des hommes armés de sabres, de piques, de fusils, portant sur leurs chapeaux ces mots: Du pain! la constitution de 93, inondent la salle; les uns vont occuper les banquettes inférieures, abandonnées par les députés; les autres remplissent le parquet; quelques-uns se placent devant le bureau, ou montent par les petits escaliers qui conduisent au fauteuil du président. Un jeune officier des sections, nommé Mally, placé sur les degrés du bureau, arrache à l'un de ces hommes l'écriteau qu'il portait sur son chapeau. On tire aussitôt sur lui, et il tombe blessé de plusieurs coups de feu. Dans ce moment, toutes les baïonnettes, toutes les piques se dirigent sur le président; on enferme sa tête dans une haie de fer; c'était Boissy-d'Anglas; il demeure calme et ferme. Au même instant, les factieux couchent en joue le président. Féraud veut escalader la tribune, et s'élance pour faire à Boissy-d'Anglas un rempart de son corps. Un des factieux essaie de le retenir par l'habit; un officier, pour dégager Féraud, assène un coup de poing à l'homme qui le retenait; ce dernier répond au coup de poing par un coup de pistolet qui atteint Féraud, à l'épaule. L'infortuné jeune homme tombe dangereusement blessé; les rebelles s'emparent de sa personne, l'accablent de coups; on l'entraîne, on le foule aux pieds, on l'emporte hors de la salle, et on livre son corps à la populace. Un écrivain, témoin oculaire de cette horrible scène, assure que Féraud fut victime d'une méprise de noms. On le prit pour Fréron, que les prétendus patriotes regardaient comme le chef des réactionnaires.

Boissy-d'Anglas demeura calme et impassible au milieu de cette scène de violence et d'atrocités. Plusieurs fois sa voix courageuse entreprit de se faire entendre, mais soudain elle était couverte par des cris mille fois répétés: Du pain, du pain! Coquin, qu'as-tu fait de notre argent? La constitution de 1793! Plusieurs députés veulent parler; ils ne peuvent obtenir la parole; le tumulte recommence et dure encore plus d'une heure. Pendant cet intervalle, on apporte une tête au bout d'une baïonnette; on la regarde avec effroi, on ne peut la reconnaître. Les uns disent que c'est celle de Fréron, d'autres disent que c'est celle de Féraud. C'était celle de Féraud en effet, que les brigands avaient placée au bout d'une baïonnette. Ils promènent cet horrible trophée dans la salle, au milieu des hurlemens de la multitude; ils la présentent au président Boissy-d'Anglas, qui devient de nouveau l'objet de leur fureur. Boissy-d'Anglas s'incline avec respect devant la tête de son malheureux collègue. Il est de nouveau en péril; sa tête est entourée de baïonnettes; on le couche en joue de tous côtés; mille morts le menacent.

Cette périlleuse présidence dura six heures entières. Boissy-d'Anglas, épuisé de fatigues, céda le fauteuil à son collègue Vernier. La salle ne put être évacuée entièrement qu'à minuit et à force ouverte. Plusieurs des représentans qui avaient favorisé cette insurrection furent sévèrement punis par la convention, qui dès lors, n'eut plus rien à craindre du parti patriote. Aucune journée de la révolution n'avait présenté un spectacle si terrible. Jamais jusque là, le siége de la représentation nationale n'avait été envahi, ensanglanté par un combat, traversé par les balles, et souillé par l'assassinat d'un représentant du peuple.

Nous terminerons ici cette suite de tableaux qui nous ont été fournis par l'histoire de nos troubles révolutionnaires. Il nous eût été facile de les multiplier à l'infini; car nous n'avons pu signaler que quelques faits entre des milliers. Il nous aurait fallu plusieurs volumes pour mentionner tout ce qui mériterait de l'être. Divers ouvrages existent, où l'on trouvera les détails les plus minutieux sur les malheurs de chaque famille, à cette désastreuse époque; nous citerons entre autres, les Martyrs de la Révolution, ouvrage publié par un respectable ecclésiastique.

Du reste, les scènes que nous avons détachées de ce grand drame donneront quelqu'idée des forfaits qui ont accompagné notre régénération politique; on peut les regarder comme des monumens épouvantables de nos désordres, et l'on ne saurait trop les mettre en lumière, dans un moment où toutes les jeunes têtes ne rêvent que changemens et révolutions.


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