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Dans l'ombre chaude de l'Islam

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BÉCHAR

A Béchar, au pied de la dune, la vallée s’incline insensiblement vers la ceinture verte de l’oued.

Sur la rive, derrière les grands cimetières où le vent et le pas des chameaux effacent peu à peu les tombes, le vieux ksar de Taagda, flanqué de tours carrées, ceinturé de hautes murailles grises sans une brèche, où l’on pénètre par de basses portes voûtées, Taagda a des airs farouches de citadelle.

… A l’intérieur, sur la terre douce et silencieuse, nous suivions des ruelles en ruines, de longs passages couverts, si obscurs qu’en plein jour il fallait y marcher à tâtons. Où sont les beaux alignements et les courbes pleines de Figuig ? Ici, c’est un fouillis. Les hautes maisons en toub, dont quelques-unes ont deux étages, se pressent les unes contre les autres, enjambent les rues.

A Béchar, comme dans tous les ksour, tout dort et tout croule. L’activité ksourienne épuisée s’éteint lentement, les sources d’énergie sont taries, et une lourde somnolence d’agonie pèse sur ces essais avortés de vie sédentaire et laborieuse, au milieu des déserts voués aux nomades.

« Kharatine » noirs, pour la plupart, mais de langue arabe, les gens de Béchar sont silencieux et méfiants. Ils ont déjà un peu de morgue marocaine, de la répulsion pour les gens de l’Est, les « M’zanat » ; pourtant ce sont des ksouriens, des jardiniers paisibles, et non des hommes de poudre.


L’an dernier, lors de l’occupation de Béchar, Taagda et Ouagda ont été razziés par le Makhzen et les tirailleurs. Cette année, rassurés un peu, les ksouriens reprennent courage et retournent à leurs jardins.

Le centre de Collomb n’est encore qu’un chaos de bâtiments inachevés, de matériaux et de plâtras. Encore les laides « cagnes » en toub, blanchies à la terre blafarde, de tous les postes du Sud-Oranais, réduits construits à la hâte pour abriter les cantines, le bric-à-brac et les cafés maures.

L’élément espagnol et juif domine, ici comme partout ailleurs, dans le pays nouveau.

Les juifs de Kenadsa, vêtus d’oripeaux verts et noirs, viennent y dresser leurs tentes loqueteuses, et vite ils allument leurs petites forges pour transformer les « douros » des officiers et des spahis en bijoux.

J’ai retrouvé, dans les jardins de Béchar, des sensations éprouvées jadis dans le lit de l’oued de l’inoubliable Bou-Saâda, la perle du Sud.

Là, accroupies sur les galets, des femmes en « mlahfa », bleue ou noire, lavent des loques qu’elles battent avec des tiges de palmes… oui, ce sont bien les souvenirs charmants de l’oued Bou-Saâda, aux jours lumineux de l’été, mais avec une note plus lointaine, plus sombre — la note marocaine — qu’évoque ce décor des palmeraies dormantes de Béchar.

Dans les jardins, sous les grenadiers touffus et dans l’ombre malsaine des figuiers, s’offrent des coins délicieux, auxquels la voûte glauque des dattiers donne quelque chose du mystère des vraies forêts. Des séguia d’irrigation chuchotent dans l’herbe rase et, de toutes parts, monte la petite voix triste des crapauds du Sud, une note unique, répétée à l’infini, jusqu’aux dunes arides de la route de Kenadsa, dans les dernières séguia à moitié ensablées.

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