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Dans l'ombre chaude de l'Islam

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L’ENTRÉE A LA ZAOUÏYA

Où allons-nous, vers quelle retraite, vers quelle ombre propice à la méditation, au repos, au rêve, à l’oubli ?

J’aime les ruelles dont je ne connais pas l’issue. A les suivre, il me semble toujours qu’il va se passer quelque chose dans ma vie.

L’esclave s’est arrêté, il a pris mon cheval par la bride, il m’a fait signe de mettre pied à terre. Nous franchissons une dernière porte, nous sommes dans la zaouïya.


Les marabouts Ziania sont réputés pour leurs sentiments favorables à la France. Ce sont des gens paisibles et humains qui saluent une puissance de justice. Ils apportent tous les jours des preuves nouvelles de leur sentiment de déférence et de respect de la parole donnée.

Kenadsa est située hors frontière et reconnaît la suzeraineté du sultan de Fez. Nous voici donc en territoire marocain, à vingt-cinq kilomètres de Béchar, terre française.

En réalité, où est la frontière ? où finit l’Oranie, où commence le Maroc ? Personne ne se soucie de le savoir.

Mais à quoi bon une frontière savamment délimitée ? La situation actuelle, hybride et vague, convient au caractère arabe. Elle ne blesse personne et contente tout le monde…


Trois ou quatre esclaves noirs nous reçoivent. Mon guide leur répète ce que Kaddour ou Barka lui a dit : je suis Si Mahmoud ould Ali, jeune lettré tunisien qui voyage de zaouïya en zaouïya pour s’instruire…

On me fait donc asseoir sur un sac de laine plié, par terre, pendant qu’on va avertir le marabout actuel, Sidi Brahim ould Mohamed, à qui je fais tenir une lettre d’introduction de l’un de ses khouans d’Aïn-Sefra.

Rangés contre le mur, les esclaves attendent, muets. Deux d’entre eux sont des kharatine. Jeunes, imberbes, ils portent la « djellaba » grise des Marocains et un chiffon de mousseline blanche autour de leur crâne rasé. Le troisième, plus noir, plus grand, en vêtements blancs, est un Soudanais, et son visage porte de profondes entailles au fer rouge. Tous trois sont armés de la koumia, le long poignard à lame courbe, à fourreau de cuivre ciselé, retenu par un beau cordon en fils de soie de couleur vive, passé en bandoulière.

Enfin, après un bon quart d’heure d’attente, un grand esclave noir, d’une laideur bizarre, avec de petits yeux vifs et ronds et fureteurs, vient baiser respectueusement les cordelettes de mon turban.

Il m’introduit dans une vaste cour silencieuse et nue, dont le sol s’abaisse en pente douce.

Déjà je respirais une atmosphère de paix un peu inquiétante. Cette succession de portes qui se refermaient sur moi ajoutait à la distance que je venais de parcourir.

Encore une petite porte basse, et nous entrons dans une grande pièce carrée qui ressemble à l’intérieur d’une mosquée. Le jour atténué s’y diffuse par une ouverture quadrangulaire dans un plafond fait de poutrelles disposées avec goût.

On étend des tapis ; je suis chez moi. C’est là que j’habiterai… Dieu sait combien de temps.

Tandis que les nègres vont me chercher du café et de l’eau fraîche, mes yeux s’habituent à la pénombre, et j’examine mon logement — un peu au point de vue de la sécurité.

Un escalier étroit et raide, en pierre noire, conduit sur la terrasse. A gauche, un renfoncement profond, garni d’un brasero en fer servant à préparer le thé et dont la fumée s’échappe par un trou dans le plafond. Au milieu de la pièce, un petit bassin carré, et, au bord, une cruche en terre pleine d’eau : le nécessaire pour les ablutions. L’eau tranquille dans le bassin peut servir de miroir. Quatre colonnes faisant corps avec la muraille étayent le plafond. Au fond de la pièce, une porte en bois, au panneau peint, étale des fleurs naïves en couleurs éteintes.

Cette chambre des hôtes doit être très ancienne, car la toub des murs et les poutres du plafond ont pris une teinte d’un noir vert. Les colonnes, à hauteur d’homme, sont douces et luisantes, comme polies par le frottement des mains et des vêtements…

Après tant d’autres voyageurs, je m’assoupirai dans cette retraite.

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