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Dans l'ombre chaude de l'Islam

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GITANES DU DÉSERT

J’aime à noter le caractère des races indigènes si diverses et qui savent se garder à peu près pures.

Voici, par exemple, des femmes étranges, même ici, qui nous arrivent d’un campement de Douï-Menia-Ouled-Slimane, installé pour quelques jours au pied de la Barga, à l’est de Lella Aïcha.

Les Meniaï sont plus grandes et plus sèches que les ksouriennes, plus robustes aussi sous leurs voiles d’un bleu sombre. Leur élégance difficile consiste dans ce qu’on pourrait appeler « l’art de porter les haillons ».

Qu’une femme avec des bijoux, du clinquant, des rubans, des apprêts de coiffure, des coupes de vêtements, des afféteries, des parfums violents, toute la science de la couturière, puisse avoir l’air d’un paquet de chiffons, c’est ce que montrent la plupart des juives d’Alger, qui ont renoncé à leur costume traditionnel pour s’habiller à la française. Au contraire, sous les loques de laine dont elles se drapent, les femmes des nomades pillards ont une brusquerie d’allure qui ne manque pas d’analogie avec certaines allures sportives. Ce sont, peut-être, les seules femmes d’Afrique qui sachent marcher d’un pas relevé. Les misérables étoffes dont elles voilent leur nudité semblent faire corps avec leur architecture de bronze. Quand le vent cinglant les amincit encore et plaque leur tunique contre les formes nerveuses de leurs jambes, elles se profilent comme des louves maigres sur les ciels de cuivre et la pâleur des terres mortes. On dirait qu’elles viennent du fond des âges et qu’elles rapportent, elles aussi, à la caverne, leur part du butin de guerre…

Les croisements berbères ont un peu déformé le type de leurs visages minces et tannés, mais il y reste pourtant une certaine expression sémitique, qui semble héritée d’une Asie farouche. J’imagine que les guerrières de Sémiramis devaient avoir de ces galbes sans morbidesse et des yeux pareils, longs et fauves comme ceux des sloughi noirs.

Ces femmes ont des gestes que je n’ai pas vus aux femmes des Arabes, encore moins aux Mauresques : elles marchent sans timidité et sans balancement devant les hommes des autres tribus. Elles semblent n’avoir aucune coquetterie, et pourtant le sourire de leurs lèvres rouges est plus fort que la sensualité soudanaise et que la complaisance des bouches juives.

Pour l’homme du Sud la juive est impure. Jamais les nomades n’ont remarqué la beauté blanche un peu souffreteuse des filles du Mellah. Les deux races se côtoient et se tolèrent sans jamais se mêler ni même se rapprocher. Le pasteur et le pillard ont souvent besoin du juif et ils peuvent disputer avec lui âprement ; mais, passé le moment de leur négoce, aucun autre intérêt, aucune autre pensée ne les rassemble.

Ces femmes Douï-Menia sont, avec plus d’imprévu, les gitanes du désert. Elles ont une beauté farouche qui se laisse voir par les trous de leurs tuniques couleur de terre. La pauvreté est pour elles une chose naturelle, ce n’est pas une déchéance. Elles s’imaginent que tout le luxe tient dans la beauté d’un cheval ou dans le manche d’un poignard.

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