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Dans l'ombre chaude de l'Islam

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RÉFLEXIONS DU SOIR

Le soir — encore un soir — tombe sur la zaouïya somnolente. Des théories de femmes drapées, flammées de couleurs vives, s’en viennent à la fontaine comme depuis deux siècles d’autres y sont venues, avec la même démarche souple et forte des reins, les pieds nus bien posés à plein sur le sol poudreux, d’autres qui passèrent ici et qui ne sont plus aujourd’hui qu’un peu d’ingrate poussière perdue sous les petites pierres du cimetière de Lella Aïcha.

Le vent léger frissonne dans les palmes dures d’un grand dattier héroïque, dressé derrière le mur comme un buisson de lances. De tous les arbres, le dattier est celui qui ressemble le plus à une colonne de temple. Il y a de la guerre et du mysticisme, une croyance en l’Unique, une aspiration, dans cet arbre sans branches. L’Islam naquit, comme lui d’une idée de droiture et de jaillissement dans la lumière. Il fut l’expression dans le domaine divin des palmes et des jets d’eau.

… Je sens un calme infini descendre dans le trouble de mon âme lasse. Ma légèreté vient de moi-même, du poids d’un jour brûlant enfin soulevé et de la douceur de l’ombre naissante sur mes paupières sèches.

C’est l’heure charmante où, dans les villes du Tell, des alcools consolateurs exaltent les cerveaux paresseux… Quand le ciel chante sur les villes, l’homme a besoin de se mettre à l’unisson et, manquant de rêve, il boit, par besoin d’idéal et d’enthousiasme.

Heureux celui qui peut se griser de sa seule pensée et qui sait éthériser par la chaleur de son âme tous les rayons de l’univers !

Longtemps j’en fus incapable. Je souffrais de ma faiblesse et de ma tiédeur. Maintenant, loin des foules et portant dans mon cœur d’inoubliables paroles de force, nulle ivresse ne me vaudra celle qu’épanche en moi un ciel or et vert. Conduite par une force mystérieuse, j’ai trouvé ici ce que je cherchais, et je goûte le sentiment du repos bienheureux dans des conditions où d’autres frémiraient d’ennui…


Un jour, une jeune femme délicate, qui voyait s’évaporer son sang trop pâle sous le ciel d’Alger, me disait, alanguie aux coussins de sa chaise longue, en écoutant les bandes bruyantes qui descendaient des hauteurs de Mustapha un soir de dimanche : « Faut-il que la vie soit triste pour qu’on y chante si fort ! »

Hélas ! nous avons tous plus ou moins fait du bruit. C’était notre sauvagerie d’étudiant qui se dépensait.

Les souffrances de l’amour devaient ennoblir notre destinée. La chance nous fut donnée de ne pas jeter l’ancre sur un bas-fond de bonheur où notre existence aurait passé, balancée sur les molles petites lames de la vie quotidienne. Applaudissons-nous d’avoir connu la terre et d’avoir su la place toute petite que pouvait y occuper la plus grande pensée. Ici nous avons touché un coin du monde où la soif des innovations n’altère personne. La vie matérielle s’y marque cependant en empreintes fortes…

Quels sont donc les événements qui passionnent ces nomades, représentants du passé le plus ancien, et ces marabouts pleins de sérénité qui, dédaignant le travail, baignent leur front dans une lumière d’avenir ?

Leur vie passe sous mes yeux et je m’y réfléchis.

Je veux encore ce soir me mirer dans cette belle eau du Sud. Je veux encore boire l’eau que les femmes vont chercher à la fontaine du désert, la sentir couler sur mes mains que la fièvre échauffait, la voir s’égrener entre mes doigts comme le chapelet de la plus haute sagesse…

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