Dans l'ombre chaude de l'Islam
MONTAGNE DE LUMIÈRE
La « Barga » est cette étrange dune qui domine Kenadsa, et que couronnent des blocs de pierre, avec, çà et là, quelques éperons de roc en forme de pyramide.
J’y vais me promener par un clair matin frais.
Je traverse les cimetières. Derrière la koubba de Lella Aïcha qui se pare de teintes roses, comme d’une ombre de pudeur, je grimpe par le sentier de sable, qui passe parfois sous des entablements de pierre prêts à rouler dans le vide.
Les lointains se prolongent en des transparences infinies. A l’horizon, vers l’est, le Djebel Béchar monte, très bleu, commandant tout le pays, de Ben-Zireg à Kenadsa.
Le soleil s’élève lentement. Il nage en un océan de lueurs carminées qui se fondent insensiblement dans l’or vert du zénith. Je pense à des toiles de Noiré, le seul peintre qui ait compris toute la délicatesse des matins du Sud.
Tout ici chante en couleur, s’anime graduellement d’émotion solaire. Le sable se dore et les pierres s’irisent. Des reflets verts, des reflets orangés ou rouges mettent une floraison de lumière sur l’aridité de cette colline. J’y vois vivre la lumière. Elle devient ma palette de rêve.
Et puis, derrière cet écran merveilleux, il y a encore tant de choses. C’est d’abord une vallée étroite comme un ravin. Je m’y suis promenée, j’en ai remué du pied les écailles de pierre noire avec le frisson de marcher sur une peau de serpent. Après, viennent les sebkha salées, coupées de palmeraies sombres ; puis des dunes s’enchevêtrent et c’est la route de l’oued Guir…
Quand je monte sur ma petite montagne de lumière, je vois à mes pieds toute la douce vie colorée. Le ksar me semble bâti pour mes yeux, j’en aime la teinte d’ensemble chaude et foncée, tenant du violet sombre et du rouge brun, avec quelques murailles plus neuves, où la terre a encore des teintes d’or mat ou de chamois argenté, comme le sable des dunes.
Deux ou trois hautes maisons à fenêtres grillagées, habitées par les marabouts, se dressent au-dessus du chaos des demeures ksouriennes.
A l’extrémité du ksar, au milieu d’une sorte de place où il y a des tombeaux, voici la koubba de Lella Keltoum (encore une sainte de la descendance de Sidi Ben Bou-Ziane).
Je voudrais pouvoir la montrer, cette koubba musulmane, mais ce n’est qu’un cube de terre. Elle est très vieille et porte, aux angles, des ornements en forme de cornes pointues. Au milieu de sa terrasse s’élève une petite coupole à huit pans. Une femme en « mlahfa » rose fané, une mendiante sans doute, est assise sur le seuil. Le minaret d’un blanc jaune, patiné par le temps et le soleil, s’élance vers la lumière blonde d’en haut… Quelques Ouled Djerir, loqueteux et armés de fusils, s’en vont vers le Guir, poussant devant eux une vingtaine de chameaux pelés, chargés de longs sacs en laine noire pleins de blé.
A cette place revient l’heure éternelle, celle qui brilla à l’aube du monde, celle qui passa il y a quelque deux cents ans, quand le bienheureux cheikh M’hammed professait là ses doctrines humanitaires et ésotériques.