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Dans l'ombre chaude de l'Islam

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L’ÉTALON NOIR

Le soir, un soir rouge aux lourdes vapeurs sanglantes, sur le vide de la plaine. Au delà de l’oued, sur les confins du désert, un monceau de ruines rousses, des pans de murs, des assises de tours foudroyées, l’ancien ksar de Zekkour, détruit par le Sultan noir, et dont les décombres durent ainsi indéfiniment, achevant lentement de s’effriter au soleil et servant de repaires aux tribus venimeuses des scorpions et des vipères.

Nous passons lentement devant cette désolation, et tout à coup une autre vision surgit, qui me secoue d’une sensation étrange.

Sur le bord de la route, une masse noire s’agitait, souffrait. Quand nous passâmes, cette carcasse se dressa dans un effort saccadé : c’était un cheval, les deux pieds de derrière brisés, qui agonisait là, tout seul, dans le soir mourant.

L’étalon noir s’arc-bouta sur ses deux jambes nerveuses, lancées en avant ; son poitrail tremblait, et il tendait ses naseaux sanglants vers nos juments.

Soudain, son grand œil déjà terni se rallume, et il pousse un long hennissement, dernier appel tendre vers les frémissantes femelles, comme un cri de révolte et de douleur.

Djilali décroche son fusil, ajuste la bête mourante, un coup part, sec, brutal : l’étalon noir roule sur le sol rouge, foudroyé, avec son regard troublé, avec son dernier cri d’amour.

Et inconsciemment Djilali me dit, dans un rire sain et puéril : « Il a de la chance, celui-là, il est mort amoureux. »

La nuit tombe sur les ruines de Zekkour la dévastée et sur le cadavre de l’étalon noir…

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