Dans l'ombre chaude de l'Islam
LÉGIONNAIRES ET MOKHAZNI
Sur la hauteur, la redoute de Béchar avec ses murs bas en pisé, ses larges portes toujours gardées et, à l’intérieur, des matériaux, des tas de pierres, tout le chaos d’une bourgade en construction.
Nous entrons dans la grande cour où les petits chevaux maigres du Makhzen français, entravés, mâchent paresseusement l’alfa dure. Sous les gourbis, les mokhazni couchés par terre, la tête sur l’arçon de leur selle, le fusil à portée de la main, la cartouchière serrée sur la gandoura terreuse… Ils rient, ils plaisantent, ils chantent, attendant avec insouciance l’ordre de partir, et — qui sait ? — peut-être pour ne jamais revenir.
Qu’importe ! Ils ont confiance, ils se reposent sur la destinée, ils pensent que ce qui est écrit doit arriver quoi qu’on fasse, et ils vivent leur vie. Le fatalisme n’est pas toujours une faiblesse. Ils ne pensent à la mort que pour composer des complaintes.
L’Arabe connaît l’honneur viril, et il veut mourir en brave, face à l’ennemi, mais il ignore absolument le désir de la gloire posthume ; ceux-là surtout, ces hommes simples, ces frustes nomades ignorent l’aventure de la renommée. Ils apportent volontairement au service de la France leur vaillance, leur belle audace et leur endurance inlassable ; ils « servent » en loyauté, et cela leur suffit.
… A côté des mokhazni, d’autres insouciants, d’autres enfants perdus, mais bien plus compliqués ceux-là, — les légionnaires — construisaient à Béchar, quand nous y passâmes, les bâtiments du Bureau arabe.
Partout, dans tous les postes du Sud-Oranais, ce sont les légionnaires qui ont élevé les premiers murs, qui ont, à force d’énergie et de patience, semé les premières graines dans les petits jardins apparus comme par magie. Ils ont bâti aux jours troublés où il fallait se défendre contre les pillards, après les nuits passées aux écoutes, dans l’angoisse des surprises probables.
Il n’est pas un mur, pas une cagna en toub, à Béchar ou ailleurs dans le pays, qui ne soit l’œuvre de la Légion, œuvre anonyme, peut-être plus ardue et plus méritoire que les beaux actes de courage accomplis tous les jours dans le pays profond et sans échos.
Il y a, me semble-t-il, dans l’exaltation de la gloire, quelque chose qui diminue le courage et qui lui enlève une partie de sa beauté. Le vrai courage est aussi fait d’inconscience et de ténacité. Sa récompense est dans la joie de l’action. C’est en ce sens que les bons ouvriers ont du courage, du vrai courage, doublé d’un esprit de sacrifice qui sauve le monde sans le savoir.