Keetje Trottin
A DOUZE ANS
En parlant avec un apprenti tonnelier de nos voisins, il me raconta que son patron perdait beaucoup de clients parce que les transports se faisaient maintenant surtout par sac. J’en fus très inquiète : je me figurais déjà le voisin affamé par le manque de commandes. Et, chaque fois que je passais par chez lui, je regardais avec angoisse, je me penchais vers la cave pour voir s’il y avait beaucoup de tonneaux et, quand il se démenait en marchant en rond et en tapant le cercle autour des douves, j’étais contente ou je soupirais : « Ah ! Dieu, bientôt il n’aura plus à taper, et il sera assis tristement sur l’un des tonneaux qu’il n’aura pas vendus, et chaque personne qui entrera dans sa cave, il la prendra pour un client, et il jurera ou se lamentera quand ce sera pour autre chose que pour commander ou acheter des tonneaux… » Et ma gorge se serrait d’émotion.
Un jour, nous avions fait réparer notre petit seau de bois. L’apprenti le rapporte avec, dessus, la couleur verte encore mouillée. Mon père le prend et a les mains remplies de couleur.
— Enlève ce seau ou je le jette dans le canal, et rapporte-le quand il sera sec.
L’apprenti le reprend, effrayé.
— Oh ! père, le voisin l’a fait rapporter mouillé pour avoir plus vite l’argent, parce qu’il n’a presque plus de commandes.
J’allai chez le tonnelier dire de revenir avec le seau aussitôt qu’il serait sec.
— Père a mal à la tête et l’odeur de couleur le dérange.
C’est moi que l’odeur de couleur dérangeait, mais je voulais excuser mon père.