Keetje Trottin
KEETJE TROTTIN
A QUATRE ANS
— Ote-toi de là, petite, je veux m’y mettre. Tu peux bien rester debout.
— Non, laisse-la avec son petit dos au soleil. Hier, elle a encore eu la fièvre, et le soleil lui fait du bien, dit une autre grande.
Combien de fois, depuis, ne me suis-je souvenue de la voix douce et ferme de cette fillette, et combien de fois n’ai-je pas senti, vivante encore, la caresse de cette exquise commisération !
A CINQ ANS
Ma mère m’avait prise avec elle pour rapporter un col de dentelle chez une dame. Le petit garçon de la dame voulait m’embrasser. Je refusais obstinément : j’avais entendu dire par des grandes qu’on ne pouvait pas embrasser les garçons. Je poussais cela jusqu’à ne plus embrasser mes petits frères. Quelques gifles m’en guérirent.
* *
— Je ne les trouve plus !
Ma mère fouilla fiévreusement tous les tiroirs.
— Mes beaux rubans bleus !… C’est toi, Keetje, qui les a troqués contre des chiffons pour tes poupées ! De qui tiens-tu la loque dont tu habilles ta poupée ?
— De la demoiselle d’en bas.
— Tu vois, tu lui as donné mes rubans en échange, avoue !
— Mais non, ce n’est pas moi.
— Si, c’est toi ! si, c’est toi !
Et je reçus une bonne raclée.
Cette injustice ne m’est jamais sortie de la mémoire : c’est la première rancune qui a aigri mon âme d’enfant.