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Keetje Trottin

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Je voudrais savoir, Wouter, si tu es blond — nous sommes tous blonds chez nous — et si tu as des yeux bleus : nous avons tous des yeux bleus. Père est Frison ; là-bas les yeux sont bleus comme le ciel. Je suis beaucoup plus à l’aise avec les gens qui sont blonds et qui ont des yeux bleus. Je crois qu’ils sont comme moi, et qu’ils aiment et détestent ce que j’aime et déteste.

Puis, es-tu grand ou petit ? Père est grand et mince et peut sauter à pieds joints sur la table quand il se trouve devant. Je voudrais beaucoup que tu ne sois pas petit et gras. Ah non, ah non ! Nous sommes tous comme sur des échasses et montons les escaliers quatre à quatre… Peut-être que cela vient aussi de ne pas trop manger… Quand Mina a un service où elle mange beaucoup, elle devient plus grosse et plus mauvaise, et ses poings s’abattent sur nous plus brutalement. Nous avons des voisins diamantaires : ils sont dix fois plus insolents que les autres, et osent tout, et ont moins pitié, quand nos enfants crient de faim et de froid, que ceux qui ont quelquefois faim et froid eux-mêmes.

Oui, si tu as des yeux bleus, alors de loin, en venant vers toi, je verrai déjà ce que tu penses de moi ou ce que tu vas me dire. Avec père, je peux causer sans parler ; avec mère, moins, ses yeux sont bruns ; et père également me comprend et me répond quand je lève le regard vers lui. Ainsi il y a moyen de tout se dire sans que personne s’en aperçoive. J’adore cela. Si, devant ta mère et ton frère Stoffel, je puis te parler ainsi, ce sera bien, car, si je dois parler haut, ils ne m’aimeront pas et ils sentiront bien que, de vous tous, je t’aime toi seul. Que ce sera délicieux, Wouter, quand, toi et moi, nous sentirons de même l’impression que nous font les gens et les choses ! Ah ! que je t’attends, que je voudrais que tu viennes !

Quand je me promène avec Mina et que je dévisage tout d’un coup un jeune homme pour voir si c’est toi, elle me dit : « Créature enfantine, pense plutôt à te moucher qu’à regarder les garçons ; du reste aucun homme ne voudra jamais de pareille sauterelle ! » Cette menteuse ! Je suis sûre que tu me voudras tout de suite et que tu regardes, comme moi, autour de toi, si je n’arrive pas…

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