L'amour prodigue
IX
L'été de la Saint-Martin se prolongeait, semblait quelque adieu de tendresse où la nature mettait toute son âme dolente et blessée.
Un soleil pâle avivait les nuances merveilleuses des buissons, des labours et des boqueteaux de rouvres, irisait les volutes des vagues, les flancs des falaises, les nuées fugaces dont le ciel bleuâtre était ouaté comme de flocons et de duvet.
Les vastes herbages avaient l'éclat d'une mosaïque d'émeraude.
D'innombrables alouettes tireliraient par les chaumes roux et autour des meules. De fatidiques corbeaux sautelaient de sillon en sillon, ployaient les branches nues des pommiers ainsi que des fruits trop lourds.
La route large et lumineuse, les chemins couverts à peine tracés et qui mènent on ne sait où attiraient Flossie.
Elle se promenait durant des après-midi entiers, sans but, sans pensée, pour se donner l'illusion d'être libérée, pour détendre ses nerfs et aussi pour infliger une corvée pénible et éreintante au boiteux qui la surveillait âprement, qui la suivait de loin, pas à pas.
Elle marchait alerte, fanfaronne, sifflotant ou fredonnant des scies de café-concert, jouant à cache-cache avec son impitoyable limier, se blottissant dans un trou de haie ou une brèche de mur afin qu'il eût un surcroît de fatigue et un accès de rage, qu'il s'époumonât à la traquer et à la vitupérer, et réapparaissait tout à coup, lui tirait la langue, claironnait, impertinente :
« Cou-cou! la voilà! Allume! Allume! Vieux canasson! »