L'amour prodigue
IV
Il ne s'était pas trompé.
Au bout d'une semaine, Flossie gouverna cette plage familiale, qu'irrévérencieuse elle avait d'abord comparée à un banc de moules.
Ce furent des promenades aux lanternes vers les rochers du Calvados par les nuits chaudes où des reflets d'étoiles illuminaient la mer, des courses bouffonnes de crabes sur quoi s'engageaient des paris, tandis que descendait la marée, des régates dont Santa Venere payait les prix, des parades de forains recueillis de droite et de gauche dans les fêtes de village, un essai de théâtre de verdure, des jeux et des bals rustiques sous les ormes du préau communal, des batailles de confettis.
Chaque matin, par plaisir, en jupe courte et en chemisette, coiffée d'un bonichon de tricot rouge d'où s'envolaient, légers, ses cheveux couleur de champagne, répondant par des sourires à tous les saluts, portant un panier, lorsque les barques déchargées carguaient leurs voiles, la Parigote accourait acheter elle-même des soles, des homards, des grondins, devant la pierre de la criée.
Elle s'arrêtait ensuite de porte en porte, causait familière avec l'un ou avec l'autre, acceptait sans se faire prier le moins du monde un verre de cidre, prenait les petits enfants dans ses bras, les câlinait, leur glissait dans les doigts une pièce de cinquante centimes ou quelques sous, consolait d'une phrase d'espoir et de promesse les malades et les endeuillées.
Elle accompagnait au large les pêcheurs, bravant les embruns, le cœur solide, prenant au besoin la barre et aidant à la manœuvre, de même qu'un mousse de renfort. Elle se délectait à faire la charité. Elle était compatissante et fraternelle aux humbles par une sorte d'instinct. Il lui semblait qu'ils devaient avoir leur part de sa chance et de son bonheur. Elle quêtait, le dimanche, à la grand'messe. Le vieux curé lui eût donné le bon Dieu sans confession, les dévotes de la confrérie des Saints Anges la bénissaient ; les Sœurs de l'Ouvroir l'offraient en exemple à leurs élèves.
On ne l'appelait dans tout le pays que la bonne princesse.
Ce qui aurait pu la perdre et susciter des soupçons avait, au contraire, augmenté son prestige.
La liberté de ses allures, l'extravagance de ses toilettes, les phrases d'argot qui pimentaient son langage accoutumé, paraissaient le comble du chic. Loin de s'en étonner et d'en être choquées, les petites bourgeoises, qui à peu près élégantes et moins réduites que le commun à éviter les faux frais faisaient à Fontenailles bande à part et y jouaient de leur mieux à la femme du monde, s'évertuaient à la singer.
Elles employèrent les moyens les plus imprévus pour que Flossie les remarquât et les invitât. Elles ne cessaient de l'aduler, de la courtiser.
La théâtreuse se moquait de ces prétentions ridicules. Elle comparait ses amies passagères aux dindons qui gonflent leurs plumes à en avoir un coup de sang et éploient leur queue afin de ressembler au paon. Elle riait de leur empressement et de leur sottise et s'exclamait avec son sourire de travers :
« Crois-tu, chéri, qu'elles s'aplatissent et qu'elles m'en collent de la pommade?… Ce que c'est fagoté, ce que c'est moche, jusqu'à la gauche!… Tu ne te figures pas comme ça me démange de leur lâcher le paquet dans le nez… On se paiera la scène pour la bonne bouche, dis, au goûter d'adieu… Je t'assure, je n'aurais jamais supposé qu'on se confectionnait si facilement un salon…
— Tu en verras bien d'autres, poverina, vaticinait Ettore dans une bouffée de cigarette, la mine ambiguë. Les voyages forment la jeunesse! »