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L'amour prodigue

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III

Jusque-là, dénué plus souvent qu'à son tour de l'indispensable autant que du superflu, contraint pour se tirer d'affaire soit à roucouler de salon en salon la romance napolitaine, soit à allumer la partie dans ces cercles aléatoires qui changent malgré eux, chaque semaine, de nom et de local et que la police ne se lasse pas de déménager, Ettore, en fait de villégiature, avait dû se contenter d'une chambre dans un hôtel garni de Bois-Colombes.

Du 1er août au 15 septembre, il y faisait philosophiquement la retraite, dans le plus strict incognito, usant ses vieilles jaquettes et ses vieux souliers vernis, ne recevant ni lettre ni dépêche, effaçant les jours, un par un, se donnant pour un tenorino italien que la morte-saison condamnait à se serrer la courroie, déchiffrant du matin au soir sur la mandoline des valses lentes et les dernières chansons de Piedigrotta, ne se promenant qu'à la tombée des ténèbres, lorsque à l'horizon, dans le ciel étoilé, par-dessus les toits et les arbres, rougeoie, telle une immense lueur d'incendie, la buée de Paris.

Ses principales distractions se réduisaient à des levages de femme de chambre, à des poules au billard et à des manilles souvent orageuses, dans le même café.

Et quand il se décidait à réintégrer l'élégante garçonnière où un de ses camarades de fête, le comte Ottaviani, pour déjouer les soupçons d'une femme fort jalouse et trop disposée au divorce, l'avait prié de lui servir de paravent, quand il paonnait à nouveau dans le Sentier de la Vertu, les promenoirs de music-hall et les bars, si quelque fâcheux méfiant s'avisait de lui dire à brûle-pourpoint : « On ne vous a vu nulle part, cet été, mon prince! Où diable vous êtes-vous si bien caché? » il prenait un air avantageux et discret, chuchotait du bout des lèvres, dans une bouffée de cigarette :

« Ne me demandez rien, mio caro! Diletto d'amore, diletto secreto! »

Mais presque remis à flot par une série de coups heureux à Auteuil et dans divers tripots, muni de quelques billets de mille francs, le « boscar » avait résolu d'avoir réellement sa tendre aventure, de s'amuser et de s'illusionner, à corps perdu, au moins pendant tout l'été. Et cela sans accroc ni surprise, sous un masque de respectable, dans un de ces petits ports dont le nom ne figure même pas sur les cartes des atlas, loin des Trouville et des Cabourg inquiétants où il n'eût pas manqué d'être aussitôt brûlé, condamné, comme à Paris, à payer ses dettes en monnaie de singe.

« En pareil endroit, s'était-il dit, dupeur perspicace et roué qui adapte ses tours aux milieux où il travaille, de jeunes mariés sont certains d'être sympathiques, surtout s'ils semblent se chérir, si la femme est jolie, délurée et aimable, si le mari a l'habitude du monde et l'allure séductrice, s'entend à doser l'esbroufe, à donner du prix à ses moindres condescendances. Cherchons donc l'associée passagère qui trouvera la comédie de son goût, qui aura suffisamment d'esprit, de toupet, de fantaisie et d'élégance pour me lancer la réplique, au pied levé, pour entrer dans la peau de son personnage. »

Et, jugeant que Flossie Joy, demi-acteuse, demi-cocotte, possédait ces diverses qualités, il l'avait engagée pour cette tournée soi-disant conjugale.

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