Le roman d'un mois d'été
CHAPITRE XXV
La passion continue à parler.
Le grand souci de Julien, c'était de n'être pas un pleutre. Or, il avait fait la cour à une femme, sans savoir exactement comment l'aventure tournerait. Maintenant que la conquête était faite, il fallait en subir toutes les conséquences, et les responsabilités. Il allait offrir à Antoinette une existence beaucoup plus modeste que celle à laquelle elle était habituée. Certes, il ne s'était jamais dit, quand il avait souhaité conquérir la marquise de Drouhin, qu'il lui ferait perdre sa haute situation mondaine. L'avait-il aimée à cause de son titre? Non, non, cent fois non! Il ne voulait même pas se poser cette question...
Il l'aimait pour elle-même et il l'aimait avec toutes les obligations que ce noble mot comporte.
En présence de cette chose grande et magnifique, un amour partagé, qu'est-ce que pouvait bien peser son goût naturel de la tranquillité?
Ce qu'il voulait bien s'avouer cependant, c'était sa crainte d'entraîner cette pauvre Antoinette dans cette aventure hasardeuse. Il garantissait ses sentiments, à lui. Mais pouvait-il être sûr de ceux de la jeune femme? Étaient-ils assez puissants, seraient-ils assez durables pour que la joie de cet amour partagé compensât dans le cœur de la marquise la perte de tant d'avantages matériels considérables, et les lui fît oublier pendant des semaines, des mois, des années?
Mais, même cet argument, honorable en somme, Julien ne voulait pas l'examiner. Quand l'amour commande, il n'y a pas à discuter: il faut lui obéir, et ne pas se demander où il vous conduira. Julien s'en allait vers l'inconnu. Il bouleversait la vie de plusieurs êtres. Le scandale évidemment serait affreux.
Voilà pourtant quelle était l'œuvre indirecte de Lorgis et de sa femme! Ils avaient voulu détourner de la famille de Drouhin un événement fatal, et leur intervention, non seulement n'empêchait rien, mais avait pour résultat de donner à cet événement un retentissement énorme! En somme, c'était bien fait pour eux!
Julien revint lentement vers la terrasse, où Antoinette était déjà repartie. Il marchait dans l'allée, tête baissée. En levant les yeux, il aperçut la marquise, qui semblait regarder de son côté. Mais il était loin d'elle, et eut le temps de l'aborder avec un visage paisible, le visage tout à fait remis d'un amant confiant et ingénu.
Hubert, assis sur un fauteuil d'osier, parlait avec une animation joyeuse. Comme cet homme était heureux! Et comme tout semblait heureux aussi autour de lui! Julien aperçut, à gauche du château, une pelouse creusée en son milieu d'un petit vivier très poissonneux. Comme on passerait de bonnes heures au bord de cette pièce d'eau à regarder les poissons glisser dans l'eau, se poursuivre et se disputer les miettes qu'on leur jetterait!
Mais, en dépit des conseils du sage, on ne sait jouir du présent que lorsqu'on est menacé par l'avenir...