← Retour

Le roman d'un mois d'été

16px
100%

CHAPITRE XXVII

Dernier chapitre.

Il était remonté dans sa chambre, très agité et très malheureux. Il se déshabilla, mit un pijama et vint s'accouder à la fenêtre. Il n'était pas question de se coucher. Il ne dormirait pas. Il fallait ouvrir la fenêtre toute grande, rêver, tel Rolla, devant la nuit immense, et tâcher de mettre un peu d'ordre dans ses tumultueuses pensées.

... Non. Il ne pouvait pas en rester là. Antoinette, le lendemain, ce soir peut-être, ferait le bilan de cette journée. Après lui avoir payé un tribut de gratitude pour l'avoir ainsi ramenée au logis selon ses vœux, elle le trouverait un peu bête, et le mépriserait.

C'était fatal.

«C'était fatal!» se dit Julien avec véhémence. Quand il se parlait avec tant d'agitation et de force, il croyait toujours ce qu'il se disait. Au bout d'un instant, il ne put supporter ses reproches. Il fallait absolument revoir Antoinette, lui dire n'importe quoi, mais modifier l'impression qu'elle avait de lui. Il trouverait à sa conduite de nobles raisons qui le sauveraient à jamais du ridicule...

Le meilleur était de descendre au jardin, puis de remonter l'escalier qui conduisait au couloir de la bibliothèque. C'était assez imprudent. Mais, après tout, le matin, ils en avaient fait bien d'autres. Chemin faisant, il se demandait sous quel prétexte il allait entrer chez la marquise: se concerter sans doute sur ce que l'on dirait au marquis au sujet de leur expédition? Ce prétexte, un peu mince, à sa visite nocturne, ne servirait qu'au cas où cette brusque intrusion la mettrait de mauvaise humeur. Car il avait un peu peur d'elle, depuis qu'elle n'était plus la petite Antoinette fugitive de l'après-midi, et qu'elle avait repris sa place au château.

Il arriva sans encombre dans le couloir de la bibliothèque. Frapperait-il à la porte d'Antoinette? La porte était là; c'était le moment de se décider...

Il entra sans dire gare. Antoinette était assise dans son lit, et commençait à se coiffer pour la nuit. Elle eut un sursaut en le voyant. Mais il lui fit un signe vaguement rassurant, comme pour dire qu'il venait en parlementaire.

Il s'approcha du lit. Il voulut parler. Il voulut dire qu'il ne fallait pas le juger mal, se tromper sur le sens de sa conduite, et aussi qu'il était très malheureux de l'avoir ramenée. Mais il dit simplement:

—Je n'ai pu me coucher sans vous revoir.

Il dit encore des mots comme: «Je t'aime!» ou «Je t'aime trop!», des mots confus qu'il crut dire ou qu'elle crut entendre. Il s'approcha d'elle, et la prit dans ses bras, et, pour la première fois, sentit la chaleur de son corps. Elle lui rendait ses baisers...; mais il n'osait encore aller plus loin: il voulait être sur, sûr de n'être pas repoussé. Ce fut quand il sentit qu'elle soupirait très fort, et qu'il l'entendit dire: Non, non! d'une voix mourante, qu'il s'étendit sur le lit, se déshabillant avec une rapidité magique... Et c'était son corps à elle qu'il tenait contre le sien! Cette femme, cette femme nue de partout, c'était Antoinette! Antoinette tout entière était à lui maintenant!

Ils restèrent ensemble jusqu'au jour. Ils ne dormirent pas un seul instant. Ils ne cessèrent, que pour s'étreindre, de se parler à voix basse. Ils se dirent cette nuit-là des quantités de choses, ils ne surent jamais par la suite ce qu'ils avaient pu se raconter; mais ils se souvinrent d'avoir été charmés continûment. Vers cinq heures, la lampe s'éteignit avec bruit. Alors ils s'aperçurent qu'il faisait jour. Antoinette, joyeuse, donna des coups de pied à Julien pour le faire partir. Il chercha ses vêtements qui avaient fui à des distances invraisemblables. Il fila sans dire au revoir à sa maîtresse. Mais ça n'avait aucune importance. Désormais, quand ils s'éloignaient l'un de l'autre, ils ne se quittaient pas.

Heureusement, personne au château n'était matinal. Il regagna sans encombre son lit un peu froid. Mais il ne tarda pas à s'endormir pesamment, pendant qu'Antoinette, de son côté, loin de lui et toute à lui, sombrait aussi dans le sommeil, comme une petite brute.

Le valet de chambre préposé au service de Julien, la femme de chambre d'Antoinette purent entrer dans les chambres à huit heures, tirer les rideaux, Antoinette et Julien, à demi-morts, dormaient aussi paisiblement dans le grand jour aveuglant que dans la clarté tamisée du jour matinal. Quand ils s'éveillèrent entre midi et une heure, ils eurent le même regard pour se chercher, et se sourirent du même sourire à travers les murailles. Puis ils se retrouvèrent sur la terrasse, devant tout le monde. Il s'inclina avec une politesse parfaite et joyeuse. Elle eut pour lui un bonjour aimable, de l'hypocrisie la plus charmante. Elle, qui avait si peur de mentir, s'aperçut à ce moment-là que le mensonge peut devenir très facile, quand il est imposé par la nécessité.

Chargement de la publicité...