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Le spectre de M. Imberger

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UN VOLEUR

Il était plus de minuit. M. Fallaire, étendu, en pyjama mauve, dans un fauteuil, fumait un cigare devant la fenêtre de la chambre à coucher de sa villa. Le store était baissé et la lumière éteinte. Dans l'ombre M. Fallaire rêvassait, se disait qu'il est agréable de vivre quand on est jeune encore, riche, bien portant, célibataire et aimé d'une femme exquise... Sa pensée s'envola, émue et tendre, vers la villa voisine, mais bientôt se noya dans une heureuse somnolence...

M. Fallaire sursauta soudain. On frappait.

—Monsieur, monsieur! Est-ce que monsieur n'a pas entendu? Que monsieur n'allume pas. Il y a un voleur dans le jardin!

M. Fallaire bondit vers la porte non sans se heurter cruellement à un meuble. Sur le palier, qu'éclairait faiblement la lanterne de l'escalier, il vit son domestique, à demi vêtu et blême.

—Il y a un voleur dans le jardin, monsieur. J'ai entendu comme un cri et puis des pas sur le gravier.

M. Fallaire avait de l'énergie. Rentrant à tâtons dans sa chambre, il endossa vite un long caoutchouc sur son pyjama, prit son revolver et revint.

—Allons-y! dit-il d'une voix brève.

—Oui, monsieur, répondit Justin sans enthousiasme. Mais je n'ai pas de revolver, moi. Je vais prendre la hachette à l'office. Je suis monsieur.

M. Fallaire préférait être accompagné. Il attendit Justin pour entre-bâiller, sans bruit, la porte sur le jardin... Il entendit le gravier crier faiblement, entrevit, dans la nuit douteuse, une ombre qui, d'un buisson, se traînait vers un autre.

Il s'élança, son revolver à la main. Justin brandissait sa hachette. Se voyant découverte, l'ombre sortit de son buisson:

—Halte ou je tire! Saisissez-le, Justin! Haut les mains, canaille!

—Oui monsieur, oui monsieur, bégaya une voix étranglée.

L'homme avait levé les bras. Justin, voyant qu'il n'y avait pas de danger, le saisit au corps.

M. Fallaire braquait sur lui son revolver.

—Avez-vous des complices?

—Non, monsieur. Je ne suis pas ce que vous croyez. Je voudrais m'expliquer...

—Assez, canaille! Tenez-le bien, Justin!

—Oui monsieur, mais que monsieur prenne garde à son revolver. Ça part des fois sans qu'on s'y attende et je suis juste devant...

—Monsieur, reprit le prisonnier, ma situation, je le sais, est suspecte, mais accordez-moi quelques minutes d'entretien... Je vous expliquerai... à vous seul... Que votre domestique me ligote si vous voulez...

—Soit, dit M. Fallaire, que la curiosité saisissait. Rentrons.

Justin poussa l'homme.

—Doucement, s'il vous plaît, gémit celui-ci. J'ai un pied foulé.

Quelques minutes plus tard, M. Fallaire, dans sa salle à manger, son revolver devant lui, sur la table, se trouvait seul avec le prisonnier dont Justin avait lié les mains et que la lumière éclairait en plein. C'était un jeune homme de vingt-huit à trente ans, brun, d'aspect élégant et distingué, malgré son actuelle détresse. M. Fallaire eut l'impression de l'avoir déjà vu.

—J'attends vos explications, dit-il.

—Monsieur, je viens de sauter de la fenêtre du petit pavillon qui fait partie de la propriété voisine et qui est adossé au fond de votre jardin... Dois-je vous en dire plus?

—Il me semble! Je ne comprends pas. La propriété voisine est celle de M. et Mme Marrois dont je suis l'ami...

—Je le sais bien. J'ai dîné chez eux avec vous l'hiver dernier, monsieur Fallaire. C'était un grand dîner, vous ne m'avez pas remarqué, sans doute. Je m'appelle Paul Beuvron... Mes cartes sont dans mon portefeuille.

—Je persiste à ne pas comprendre, dit M. Fallaire, qui semblait contenir une émotion violente. Que faisiez-vous dans ce pavillon? Pourquoi vous enfuir comme un voleur?

—Parce que M. Marrois est rentré de Paris à l'improviste. Est-il besoin d'insister, monsieur? Dans ce pavillon... je suis déjà venu plusieurs fois... «On» gagne le parc par la serre. «On» vient m'ouvrir la petite porte de la ruelle et je sors par le même chemin. Ce soir, au bruit de la voiture de M. Marrois, «on» m'a quitté précipitamment sans songer que je ne pouvais sortir, n'ayant pas la clé... Que faire? J'ai attendu que tout soit apaisé un peu, puis j'ai sauté par la fenêtre pour gagner la route en traversant votre jardin... Mais j'ai sauté si malheureusement que je me suis foulé un pied.

—«On» vous rejoint souvent dans ce pavillon, dites-vous... Mais... qui... vous rejoint? demanda M. Fallaire d'une voix sourde.

—Qui?... Eh bien! monsieur... c'est... c'est Mme Lehallier, la cousine de M. Marrois. Mais ce nom que vous m'arrachez, ensevelissez-le...

—Ah! ah! ah! pas possible! hurla M. Fallaire, pris d'une joie convulsive. Comment, cette grosse veuve sans coquetterie, qui ne semble s'intéresser qu'aux repas? Ça, par exemple, c'est drôle! Elle est inflammable!... Excusez-moi, monsieur, je plaisante, c'est une femme charmante et elle est bien libre... Ah! ah! ah! Mais laissez-moi vous débarrasser de ces liens ridicules... Et acceptez un verre de vieux cognac. Ça vous remettra.

Il ôta son caoutchouc qui le gênait, puis, empressé, délia les poignets du jeune homme et servit le cognac, riant toujours.

—Là... encore un petit verre... Il est bon, n'est-ce pas?

—Excellent, vous êtes trop aimable.

—Je ne vous ai pas mortifié, au moins, tout à l'heure?... Ah! ah! ah! cette bonne Mme Lehallier... Et c'est pour elle que, comme un héros de roman, vous courez la campagne, franchissez les murs et risquez de recevoir des coups de revolver?... Ah! ah! ah! qui aurait cru ça!...

Soudain il tressaillit, devint blême, reposa son verre.

—Monsieur, dit-il, vous mentez! Oui, vous mentez! Mme Lehallier est partie ce tantôt. Je l'ai vue comme elle entrait dans la gare. Je m'en souviens tout à coup. Alors, comme je ne pense pas que c'est avec la cuisinière, qui a cinquante ans, ni avec la femme de chambre, qui est nouvelle d'avant-hier, que vous avez des rendez-vous, c'est avec... Parlez! répondez! c'est avec Mme Marrois?

—Monsieur, dit le jeune homme avec dignité, j'ai menti, en effet. J'ai essayé de dissimuler. La fatalité ne l'a pas voulu. J'ignorais le départ de Mme Lehallier... Vous avez mon secret... Notre secret, devrais-je dire. Mais je sais qu'il est bien placé... Plusieurs fois Suzanne m'a parlé de vous avec une vive amitié... Je me flatte, puisque vous savez tout, que vous consentirez à ce que, dorénavant, ce soit par votre jardin...

—Assez! cria M. Fallaire, bouleversé par la fureur, ce qui formait avec le pyjama mauve un contraste singulier. Assez! C'est à moi, l'ami de M. Marrois, que vous osez venir demander d'être complice!... Et cette Suzanne, cette misérable!...

—Monsieur, je ne vous permettrai pas... Mme Marrois est la plus honnête des femmes, mais elle m'aime... L'amour est plus fort que cette morale bourgeoise dont vous vous faites si violemment le champion. Vous m'avez arraché mon secret, je compte au moins sur votre honneur de galant homme... Veuillez m'ouvrir la porte.

Digne, il sortit, boitant. M. Fallaire, qui sans un mot l'avait conduit à la porte, revint et s'écroula sur une chaise, atterré:

—C'est donc pour ça que je la voyais si peu depuis quelque temps... bégaya-t-il.

Il se redressa, repris de rage:

—La misérable!... Et cet imbécile de Marrois, son mari, qui n'a jamais rien vu, rien su, rien deviné, rien soupçonné! Qui dort tranquille, béat, satisfait!... pendant que moi je souffre!... Ce n'est pourtant pas à moi à la surveiller!...

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