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Pelléastres. Le poison de la littérature. Crimes de Montmartre et d'ailleurs. Une aventure.

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CRIMES D'AMOUR

L'article homme est en hausse, si l'article femme est offert, donné. Le cours de la Bourse de la galanterie fait toujours des écarts en faveur du sexe laid: nous arrivons (frisons donc nos moustaches, messieurs!), nous arrivons bons premiers au poteau du Succès, et dans le handicap de l'Amour c'est nous qui sommes favoris et outsiders.

L'histoire des mœurs d'une époque, nous la retrouvons dans la correspondance et les mémoires de cette époque, qui nous sont autant de précieux documents. Aujourd'hui, grâce à la presse quotidienne, nous avons le fait-divers, le fait-divers dont les quelques lignes ont une bien autre éloquence que les plus brillantes fantaisies du plus fantaisiste chroniqueur. Voici quelques faits-divers retrouvés tout à notre honneur messieurs.

Aux étrangers d'abord; à tout seigneur tout honneur.

C'est de l'Autriche que nous vint la nouvelle.

Deux grandes dames de la haute société austro-hongroise y renouvelèrent, en 1889, les exploits musqués et poudrés de la duchesse de Polignac et de la marquise de Nesles,—deux des plus jolies femmes de Vienne: la comtesse de Schœnborn et la comtesse Irma Kinsky.

Et à l'épée, comme dans le tableau de Bayard, et non plus au pistolet, comme dans le célèbre duel des duchesses du dix-huitième siècle.

La rencontre eut lieu à Ischl, dans un petit bois avoisinant la villa de l'empereur. C'était un friand spectacle, je veux le croire, dans cette transparente atmosphère de fin d'été, que ces deux sveltes viennoises, les chairs fouettées de rose, les seins droits et crêtés, le torse nu, se cherchant de la pointe de l'épée avec, pour toile de fond, le grand parc d'Ischl et ses ombrages dormants.

Un Bayard, je l'ai déjà écrit.

A la seconde reprise, la comtesse Schœnborn fut légèrement blessée au sein droit et la comtesse Kinsky à l'avant-bras droit.

Motif de la rencontre: la moustache d'or mousseux d'un bel officier de la garde impériale.

Retroussons donc la nôtre, messieurs, et un hip, hip, hurrah! pour la vie viennoise.

Je sais bien que la vie parisienne avait eu, le précédent automne, son duel de femmes, dans la rencontre au bois de Meudon des demoiselles Juliette Kessler et Anna Debry; mais si charmantes que fussent les combattantes du 10 octobre 1888, elles ne pouvaient pas, néanmoins, se réclamer tout à fait du fameux duel poudré de mesdames de Nesles et de Polignac, lesquelles étaient de chez d'Hozier et non de chez Peters.

Si entichés que nous soyons aujourd'hui des mœurs du dix-huitième siècle, nous ne pouvions pas confondre ainsi de gaieté de cœur un écho du baron de Vaux avec une anecdote de Mme de Créquy; et les belles Clorindes du bois de Meudon étaient, au su et au vu de la galerie, beaucoup trop Cythère pour ne pas être un peu Réclame aussi. En mettant flamberge au vent et en allant jusqu'à se fendre et se pourfendre pour repêcher du bout de l'épée le cœur d'un amant, Mlles Kessler et Debry ne pouvaient ignorer qu'une petite rencontre sur le pré ne nuirait pas à leur prestige de jolies filles et à leur réputation de vaillantes dans l'Armée de Cythère; ces coups d'estoc et de taille devaient attirer forcément l'attention de la clientèle. De plus, la vérité nous force à dire que l'amoureux si chaudement disputé par nos guerrières parisiennes était quelque peu millionnaire: fils d'un riche banquier du boulevard Haussmann, il personnifiait pour la blonde et la brune attachées à ses pas, l'amour, le superflu, et l'argent, le nécessaire.

C'était plus qu'une affaire de cœur, une question de vie et de mort, que vidaient à Meudon nos belliqueuses beautés.

A Ischl, ce fut tout autre chose.

C'est pour les seuls beaux yeux d'un svelte officier, à taille de guêpe et aux muscles d'acier, que ferraillaient les blondes escrimeuses de Vienne!

A Ischl, à quelques pas même de la retraite où une veuve royale, l'archiduchesse Stéphanie elle-même essayait de distraire son chagrin et son deuil en exerçant son réel talent de peintresse à illustrer de sa main l'ouvrage alors en préparation à la cour impériale sur la vie du héros de Meyerling: l'archiduc Rodolphe.

Le duel féminin d'Ischl, le double suicide de Meyerling, et dans les deux drames d'amour éclatant à sept mois de distance, des coins de nudité de femme, de frêles chairs blanches et nacrées trouées de rouge par le revolver ou déchirées sous la pointe acérée de l'épée de combat!

Charmantes et d'une saveur particulièrement capiteuse et étrange, ces aventures galantes de la haute vie viennoise, où les fins de soupers mêlent à la mousse rose et sucrée du champagne la pourpre salée des gouttes de sang! Toutes sanglantes qu'elles soient, les coupes n'en sont pas moins gaiement vidées à notre honneur; retroussons donc encore une fois nos moustaches et poitrinons, messieurs!

Et d'un pour l'Autriche.

A la France maintenant.

Le fait-divers y est tout, aussi passionné, mais il pèche par l'élégance; il est de trottoir et non de cour, mais tout aussi tragique.

Chez nous, c'est une simple pierreuse de banlieue parisienne généralement qui, mordue d'une rouge fantaisie pour un ouvrier mécanicien et repoussée avec perte, renouvelle de dépit le romanesque exploit d'Antony et donne tranquillement du surin dans les côtes de l'homme qui lui résistait.

«Il me résistait, je l'ai assassiné.

«Il se f… de ma fiole: pour lorsse j'ai tapé.»

Du Dumas père adapté à l'esthétique du Théâtre Libre ou au goût des lecteurs du Gil Blas d'antan, sauce Méténier.

Voici d'ailleurs le fait-divers-type dans sa concluante simplicité:

«Au mois d'août dernier, un ouvrier mécanicien du nom de Queroz, passant avenue de Saint-Ouen, était accosté par une jeune femme et frappé par elle, à la poitrine, de deux coups de couteau.

«A la suite des investigations faites par le service de la Sûreté, la coupable a été découverte hier et mise en état d'arrestation.

«C'est une fille publique nommée Pauline Dombret. Elle a déclaré que depuis longtemps elle était amoureuse folle de Queroz. Comme celui-ci la repoussait brutalement lorsqu'elle lui faisait des propositions, elle avait mieux aimé qu'il mourût plutôt que de le voir donner à une autre son affection.

«Pauline Dombret a été écrouée au Dépôt.»

Madame Putiphar assassin!

Si la chose est flatteuse pour notre sexe, elle ne contient pas moins un symptôme alarmant pour la sauvegarde publique.

Abandonnées par nous, ces dames pour se venger avaient le vitriol et le revolver au choix. Nous n'avons pas ici à établir la statistique des innombrables attentats perpétrés sur les visages mâles depuis le trop brillant début de Marie Bière: les scandaleux acquittements des jurys nous ont depuis longtemps convaincu de l'immoralité de la vieille fable de Lafontaine.

Le droit du faible est toujours le meilleur.

Un bon averti en vaut deux.

Nous savions naguère à quoi nous en tenir. Nous n'apporterons plus, nous étions-nous dit, que la plus grande prudence dans de courtes et sensationnelles relations; mais voilà qu'on nous force aujourd'hui dans nos dernières réserves, et qu'à la moindre velléité de refus on nous occit comme des lapins!

C'est d'une injustice et d'une immoralité criante, et les demoiselles Dombret me paraissent avoir, égarées qu'elles étaient par la passion, complètement oublié que la constitution physique du mâle n'est pas du tout celle de la femelle.

La femelle, elle, que la demande lui agrée ou non, peut toujours y accéder et sans grand effort d'imagination.

Allons, Babet, un peu de complaisance,
Un lait de poule et mon bonnet de nuit!

La passivité même de son rôle au déduit lui rend faciles les pires corvées d'amour; témoin le joli mot de Sophie Arnoult: «Ça me coûte si peu et ça leur fait tant de plaisir!»

La femme en pareil cas est un peu l'hôtel garni de l'Amour; le visiteur, quel qu'il soit, peut toujours entrer dans les chambres inoccupées.

Mais il n'en est pas de même de nous. Allez donc demander à un homme non amoureux de vous prouver qu'il ne vous hait pas: pas mèche!

Pas de mensonge possible en ce cas où, pareil alors à Mlle de Maupin auprès de l'entreprenante Rosette, l'homme aimé, penaud et confus, baisse la tête et ne sait, le pauvre sot, de quel bois faire flèche.

Hercule lui-même devient impuissant sans désir. Le Désir, voilà le grand levier des preuves convaincantes, et en bonne conscience, le moyen d'en vouloir à un malheureux impertinent malgré lui? La nature est seule coupable, cette mère nature, un peu marâtre aussi, dont la sagesse paysanne de mon pays a résumé l'injuste cruauté dans ce joli proverbe villageois:

La poule dit: «Je fais quand je veux.»
Le coq dit: «Je fais quand je peux.»

A Cythère, comme partout, à l'impossible nul n'est tenu.

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