Pelléastres. Le poison de la littérature. Crimes de Montmartre et d'ailleurs. Une aventure.
HISTOIRE DE BRIGANDS
La curieuse affaire Jeannolle, l'homme aux évasions, dont les étourdissantes jongleries avec la police et M. Goron lui-même défrayèrent jadis toutes les conversations parisiennes, m'a remis en mémoire une des plus piquantes aventures de Cartouche, ce Jeannolle du dix-huitième siècle.
Cartouche était chef de bande, d'une véritable bande organisée et disciplinée de cent-cinquante hommes; ces mauvais garçons, embusqués dans les bas quartiers de Paris, inspiraient une telle terreur aux Parisiens, que beaucoup de familles qui n'avaient pas la ressource de s'aller réfugier à Versailles, étaient en disposition de s'en aller dans leurs terres, quoiqu'on fût au cœur de l'hiver.
Le guet de Paris était sur les dents. Or, la maison du chevalier du guet avait été si bien dévalisée par Cartouche en personne, que ledit chevalier du guet, chef de la police de nuit, se voyait réduit à manger son fricot avec du fer et de l'étain. Tous les jours on apprenait quelque nouvel exploit de Cartouche, et les pauvres personnes dont les valets n'étaient pas assez nombreux ou aguerris, s'arrangeaient, quand elles avaient à passer les ponts la nuit, pour ne marcher qu'en caravane et de concert avec plusieurs autres voitures.
A cette différence près que la fameuse bande des Habits noirs de Jeannolle se composait d'un seul bandit, Jeannolle lui-même, opérant en personne comme Pierre Petit, Cartouche et le joli fanfaron du vice qui me le remémore, ont plus d'une lointaine et même parfois prochaine ressemblance.
Même goût du luxe et du soigné, de la recherche dans la mise et dans l'extérieur. Les journaux ont donné jadis le menu détail de la garde-robe de Jeannolle, de ses dix-sept gilets, de ses vingt-trois paires de bottines et de ses trois chapeaux gris, étourdissante toilette de ce chef unique de la bande des Habits Noirs où, parmi tant de gilets et de jaquettes variées, l'habit noir est le seul vêtement essentiel qui manque.
Un quotidien affirma que ledit Jeannolle aimait tellement en toutes choses la grâce et les bonnes manières qu'il s'était procuré la plus élégante des pinces-monseigneur.
Jeannolle d'ailleurs affectait de n'opérer que dans la noblesse; c'était un voleur du faubourg Saint-Honoré et du faubourg Saint-Germain; ses victimes habitaient toutes les beaux quartiers et étaient plus ou moins inscrites dans l'armorial de France; et quand il y avait quelques pieuses restitutions d'objets inutiles et sans valeur à faire, c'est au rédacteur-en-chef de la feuille la mieux pensante et la mieux cotée dans les milieux mondains, à Francis Magnard lui-même (pends-toi, Arthur Meyer!) que Jeannolle s'adressait.
Voulez-vous les noms des victimes auprès desquelles il voulut bien faire à Magnard l'honneur de le prendre pour mandataire?
Comtesse Butler, rue de la Boétie, 119.
Comte de Lambel, 226, boulevard Saint-Germain.
De Favières, boulevard Saint-Germain, 227.
M. Collas, 33, avenue des Champs-Elysées.
Comte de Bertier, 11, boulevard Malesherbes.
En vérité, on croirait lire la liste d'abonnement du Gaulois.
Rue des Ecuries-d'Artois, chez la comtesse de Puységur, il lui arriva, en dévalisant un secrétaire, d'emporter, par mégarde, pêle-mêle avec cinquante mille francs de valeurs, le testament de la comtesse. Louis Jeannolle était un voleur, mais un galant homme!
Il s'empressa de garder les valeurs, mais de rendre le testament à qui de droit et, pour cette opération délicate, c'est encore à Magnard, au Figaro, qu'il s'adressa.
D'où cette lettre:
Monsieur Magnard,
Il y a environ un mois, vous avez eu l'obligeance de faire remettre à leurs propriétaires des objets contenus dans ce fameux carton à chapeau que vous reçûtes des mains d'un brave et digne Auvergnat.
Aujourd'hui, j'ai encore recours à vous pour vous prier de remettre, avec mes sincères salutations, à Mme la comtesse de Puységur, 36, rue des Ecuries-d'Artois, le testament ci-joint, dont j'ai bien voulu me déclarer exécuteur. Les légataires dépossédés ne devant pas connaître le montant de la succession, il est inutile d'entrer dans aucun détail.
La Bande des Habits-Noirs existera toujours; le milieu que fréquentent ses membres est interdit aux gros souliers ferrés de policiers ineptes et grossiers, et tant qu'ils seront recrutés, comme ils le sont, dans une secte aussi mal élevée que sans courage, ils devront se borner à arrêter ceux qui, plus bêtes qu'eux, leur auront paru plus lâches.
Si ces choses vous intéressent, je me ferai un plaisir de vous informer de mes autres aventures.
On n'est à la fois ni plus méprisant pour la canaille, ni plus ironiquement courtois: un talon rouge, ce Jeannolle!
Charmants de défi et de fanfar…onnades, ces envois! Adressés au Gaulois au lieu du Figaro; Jeannolle était invité aux raouts de la duchesse, et à l'heure qu'il est, il se serait partagé avec Buffalo-Bill's et quelques autres, les faveurs des belles dames du faubourg Saint-Germain.
Lui en fit-il assez de concessions, d'ailleurs, à ce faubourg Saint-Germain, qui finit par l'asseoir sur le banc de la correctionnelle, ce Louis Jeannolle, dit Alfred de Joly, dit comte de Valneuse, Valneuse, presque un homme de lettres, l'auteur de Proh Pudor et de Stérile comme un figuier, un pseudonyme, d'ailleurs,—heureusement pour l'auteur, dit Rœderer comme on dit Chandon-Briailles; dit comte de Marsan (un nom de Paul Bourget), dit baron Adolphe de… Ronchery, dit baron de Loncherski, naturellement, ses aventures l'ayant rendu, lui aussi, polonais!
Mais tous ces pseudonymes élégants et sonores n'étaient-ils pas autant d'hommages rendus à une caste privilégiée qu'il aimait jusqu'au crime: la passion folle a des égarements!
Cartouche avait aussi de ces faiblesses! Tout en dévalisant le cardinal de Gesvres, il rossait d'importance un de ses affiliés qui avait eu l'air de croire que l'abbé Cerutti, le secrétaire du cardinal, pouvait bien être une demoiselle en soutane, et lui appliquant un furieux coup de poing sur la tête: «Voilà pour t'apprendre à manquer de respect à Nosseigneurs du clergé! faisait-il en rugissant. Et voyez donc ce porc endiablé qui va s'attaquer au cardinal de Gesvres! Et si Monseigneur ne veut avoir près de lui que de jolis visages? ne sais-tu point qu'il ne veut pas recevoir ses dîmes quand ses censitaires sont grêlés!» Et les coups de pleuvoir sur le crâne du mauvais garçon.
Son aventure avec Mme de Bauffremont, qui fit grand bruit alors, n'est pas moins marquée du sceau de la plus parfaite courtoisie.
Laissons parler les mémoires du temps.
Mme de Bauffremont était rentrée cette nuit-là à deux heures du matin, et quand ses femmes l'eurent déshabillée, elle ne manqua pas de les renvoyer pour écrire et pour veiller tout à son aise au coin de son feu.
Tant il y a que, pendant cette nuit-là, elle entendit premièrement un bruit étouffé dans la cheminée et qu'elle aperçut bientôt après, dans un nuage de suie, des nids d'hirondelles et des plâtras, qui dégringolèrent pêle-mêle avec un homme armé jusqu'aux dents. Comme il avait fait rouler la bûche avec des tisons jusqu'au milieu de la chambre, la première chose qu'il fit, ce fut de prendre les tenailles et de replacer méthodiquement tous les tisons dans la cheminée; il repoussa du pied quelques charbons enflammés, sans les écraser sur le tapis, puis il se tourna du côté de la marquise, à qui il fit la révérence.
—Madame, oserais-je vous demander à qui j'ai l'honneur de parler?
—Monsieur, je suis Mme de Bauffremont, mais comme je ne vous connais pas du tout, que vous n'avez pas la physionomie d'un voleur, et que vous avez les procédés les plus soigneux pour mon mobilier, je ne saurais deviner pourquoi vous arrivez dans ma chambre au milieu de la nuit par la cheminée.
—Madame, je n'avais pas l'intention d'entrer dans votre appartement. Auriez-vous la bonté de m'accompagner jusqu'à la porte de votre hôtel? ajouta-t-il en tirant un de ses pistolets de sa ceinture et en prenant une bougie allumée.
—Mais, monsieur…
—Madame, ayez la complaisance de vous dépêcher, poursuivit-il en armant son pistolet. Nous allons descendre ensemble et vous ordonnerez au suisse de tirer le cordon.
—Parlez plus bas, monsieur, parlez plus bas. Le marquis de Bauffremont pourrait nous entendre, reprit cette malheureuse femme en tremblant d'effroi.
—Mettez votre mantelet, madame, et ne restez pas en peignoir; il fait un froid extraordinaire.
Enfin tout s'arrangea suivant le programme, et Mme de Bauffremont en demeura si troublée qu'elle fut obligée de s'asseoir un moment dans la loge du suisse, aussitôt que ce diable d'homme eût passé la porte de la maison. Alors elle entendit qu'on frappait à la fenêtre de la porte qui donnait sur la rue.
—«Monsieur le suisse, j'ai fait cette nuit une ou deux heures sur les toits parce que j'étais poursuivi par les mouchards. N'allez pas dire à votre maître que ce soit une affaire de galanterie ni que je sois l'amant de Mme de Bauffremont: vous avez affaire à Cartouche et, du reste, on aura de mes nouvelles demain matin par la petite poste.»
En effet, deux ou trois jours après, Mme de Bauffremont recevait une lettre d'excuses et de remerciements tout à fait respectueuse et très bien tournée, dans laquelle était inclus un sauf-conduit pour Mme de Bauffremont, avec un acte d'autorisation pour en délivrer à sa famille. La lettre avait été précédée par une petite boîte qui renfermait un beau diamant sans monture. La pierre fut estimée, chez Mme Lempereur, à deux mille écus, que le marquis de Bauffremont fit déposer pour les malades de l'Hôtel-Dieu, entre les mains du trésorier de Notre-Dame. On voit que dans cette affaire-là tout le monde se conduisit en perfection.
La bande des Habits Noirs avait donc eu comme précédent la bande des Talons Rouges. Rien n'est nouveau sous le soleil, mais je suis heureux de constater que si la courtoisie et l'élégance disparaissent de jour en jour de nos mœurs américanisées, la vieille galanterie française fleurit encore parfois chez les voleurs.