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Yves Kerhélo

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ÉPILOGUE

Les cloches tintent, sonnent, carillonnent dans le clocher de Fouesnant. Cette fois c’est pour un mariage. Voici le cortège qui s’avance en bon ordre sous les rayons d’un brillant soleil de juin.

Le marié, un bel homme dans la force de l’âge, porte avec aisance l’uniforme des premiers maîtres de la marine. La mariée, jolie blonde aux yeux bleus, à l’air raisonnable et gracieux, paraît très fière de s’appuyer à son bras ; ils ont signé sur le registre à la sacristie : Alain Le Pennec et Yvonne Le Bihan. Derrière eux, nous voyons défiler une longue suite de visages connus : la mère de la mariée d’abord, Corentine Le Bihan, née Kerhélo, institutrice en titre à Fouesnant, mariée à M. Le Bihan, clerc de notaire, fort honorablement posé dans le pays. Elle donne le bras au père Le Pennec, tout blanc de barbe et de cheveux, mais encore bien tourné dans sa robuste vieillesse. Elle a gardé ses beaux yeux et sa physionomie grave et douce, Corentine, et c’est plaisir de la voir si heureuse et si prospère. Derrière elle, Yves, M. Kerhélo, sert de chevalier à la sœur du marié, une belle Bretonne, dont la taille élégante fait ressortir le splendide costume des Fouesnantaises. Mme Kerhélo, richement vêtue, vient ensuite au bras d’un lieutenant de vaisseau qui a bien voulu accepter d’être le témoin d’Alain. Ses fils ont trouvé dans le joli troupeau des cousines de tout degré, des partenaires assorties à leur âge et Corentine, le bijou de la noce, tout pimpante au milieu d’un froufrou de soie crème et de dentelles, prend des airs d’importance tant elle est ravie de son garçon d’honneur, un joli lycéen de quinze ans, fils de M. Le Bihan.

Le repas, très nombreux, a lieu dans une maison de modeste apparence, mais décorée pour la circonstance avec un grand luxe de fleurs et de draperies blanches et rouges. Deux longues tables, brillamment éclairées, sont chargées des mets les plus appétissants, et la dimension des gâteaux bretons fait ouvrir de grands yeux de convoitise à la jeune partie de l’assistance. On se dit, entre voisins de table, que c’est M. Kerhélo qui s’est chargé des frais de la noce et qu’il a bien fait les choses.

Au dessert, un peu avant le champagne, Yves se leva. Un profond silence s’établit aussitôt, et, d’une voix distincte, malgré l’émotion contenue qui la faisait un peu trembler au début, il prononça les paroles suivantes :

Mes chers parents et amis,

Bien des années se sont écoulés depuis le jour où je franchissais le seuil de cette maison, entre ma mère désolée et ma sœur orpheline. La mort de mon père nous avait réduits à la plus noire misère, puisque, pour payer ce que nous devions, il avait fallu tout vendre. Ma sœur s’en souvient, je lui dis : « Ne pleure pas, Corentine, quand je serai grand, je deviendrai riche, je rachèterai tout : la maison, les meubles et l’armoire de mariage de notre mère. » L’armoire ! la voici, — il l’indiqua de la main, — j’ai eu la bonne chance de la retrouver dans le village ; demain, elle sera portée chez Mme Yvonne Le Pennec (et il sourit à la jeune mariée). La maison : nous venons de célébrer sous son toit l’heureuse fête qui fait entrer mon plus cher ami dans ma famille. Elle m’appartient depuis hier, M. Quinio, son propriétaire, ayant bien voulu me la vendre, ce dont je le remercie.

Avec l’assentiment de ma femme, de ma sœur, de mes enfants, j’en fais le don à la commune de Fouesnant, à condition qu’elle serve à loger gratuitement une veuve chargée d’enfants orphelins dont le père aura péri en mer.

La Providence a béni mes efforts et mon travail, je reviens dans mon pays riche et heureux. Je veux, avant de le quitter pour retourner dans cette nouvelle France, devenue ma patrie d’adoption, laisser ici un souvenir durable d’Yves Kerhélo ; ce nom-là rappellera aux enfants du pays que : A cœur vaillant rien d’impossible !

FIN

Paris. — E. Kapp, imprimeur, 83, rue du Bac.

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