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Derrière le voile : $b roman

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Le dîner s’achevait chez le docteur Davier quand retentit le coup de sonnette d’Airvault.

Ce jour-là, justement, Stany honorait de sa plaisante présence la table de famille et Fulvie, charmée de cette condescendance, avait convié quelques amis à prendre le thé pour animer la soirée.

Le valet remit une carte au docteur qui se dressa avec un tressaillement.

— Hé ! mon Dieu, cher ami, quel grand personnage s’annonce pour vous causer une telle commotion ! badina Mme Davier, décidée à la belle humeur.

Mais le médecin, une barre en travers du front, jetait, d’une voix brève, un ordre au domestique :

— Introduisez dans mon cabinet !

— Un client, à cette heure ! s’exclama Fulvie, contrariée.

Son regard tomba sur le carton que le médecin avait déposé près de lui. Elle eut une moue dédaigneuse.

— Raymond Airvault ! fit-elle négligemment, en pliant sa serviette dans l’enveloppe brodée. Cet individu, suspecté de vol chez M. de Terroy ? J’ai les oreilles rebattues de ce nom !

— Il est donc relâché ? observa Stany.

— Apparemment, puisque le voici !

— Eh bien ! pauvre diable, nous ne pouvons qu’en être enchantés ! déclara Stany avec sérénité. J’ai horreur de savoir les gens dans la peine !

Fulvie éclata de rire.

— Oh ! toi, mon grand, tu es d’une indulgence… large comme l’Océan ! Avec toi, toujours : à tout péché miséricorde ! N’empêche que tout désignait cet homme pour le coupable. Situation médiocre, habitudes de jeu, coquetterie de la femme — d’après ce que l’on dit.

Davier se mit debout d’un air impatient. Fulvie ajoutait avec malice :

— Mais oui, coquetterie de la femme, je le répète ! Et si j’étais portée à la jalousie, mon cher époux ?… Vous êtes-vous assez occupé de cette petite dame Airvault ? Son nom figurait journellement sur votre liste de visites ! Et voici l’homme, de plus, qui se précipite chez vous ! Ne vous laissez pas envahir par ces gens-là. Naturellement, vous nous retrouverez au salon ! conclut-elle avec grâce. Et un bon bridge vous délassera de vos obsessions médicales… et des taquineries conjugales !

Davier, nerveux, sourit à peine. Dès qu’il eut quitté la pièce, il rencontra dans le vestibule Évelyne, qui s’était faufilée inaperçue, telle qu’un petit furet, hors de la salle à manger.

— Papa, chuchota la fillette, Raymonde est avec son père. Je l’ai vue par la fenêtre. J’espère qu’elle n’est pas malade. Je vais rester dans le jardin. Si tu causes un peu longtemps avec M. Airvault, tu lui diras que je serais bien contente de me promener un petit instant avec sa petite fille ? Tu y penseras, dis !

— Oui, chérie. Égaye-la ! C’est une brave enfant ! Et elle me parle toujours de toi !

Le cabinet de consultation et les salles d’attente étaient établis dans un bâtiment adossé à la muraille du jardin, et indépendant de l’hôtel. En pénétrant dans la première pièce, le docteur trouva l’homme et l’enfant. Il pinça affectueusement la joue de la fillette.

— Cette jeune demoiselle a-t-elle besoin que je constate si la Faculté doit lui ouvrir la gorge ou la supplicier au pied ou à la tête ? Non ! Je le supposais bien ? Alors, mon cher Airvault, permettez que je la mette dehors. Elle retrouvera ici, tout près, une petite personne qui brûle du désir de converser avec elle.

Il rouvrit la porte. Évelyne s’avança, radieuse, vers Raymonde Airvault et lui prit la main :

— Je suis bien heureuse de vous retrouver ! Voulez-vous venir voir les poules de Barbarie et les poissons dorés ?

Raymonde, rougissante, céda à la douce attirance. La conjonction opérée, les souples bras s’enlacèrent. Le docteur suivit de l’œil les deux mignonnes, vaguant entre les buissons de roses et d’hortensias.

— Quel heureux âge ! dit-il, introduisant le mari de Madeleine dans son cabinet. Comme les cœurs se prennent vite !

— Hélas ! soupira Airvault, que ne reste-t-on toujours enfants ! Ah ! docteur, tout ce que je viens de subir ! Et retrouver ma chère femme si changée, si livide, avec ces roses factices aux pommettes ! Et cela en dépit des soins que vous lui avez prodigués ! Que de grâces je vous dois ! Je ne sais pas par où commencer ! C’est votre témoignage, le juge me l’a dit, qui a fait enfin pencher la balance du côté de la vérité.

— Ne parlons plus de cela, fit le médecin, mettant en ordre, machinalement, quelques papiers. Revenons à votre malade. Oui, elle m’inquiète, je ne vous le cache pas… Elle est encore guérissable… Mais… cette guérison s’accélérerait dans certaines conditions d’hygiène, de climat, etc…

— Que je ne puis lui procurer ! achevait Airvault avec découragement.

… Dans le jardinet, les deux fillettes erraient autour de la volière et du bassin, en échangeant ces mille puérilités délicieuses qui rapprochent les âmes jeunes et les esprits innocents.

Évelyne adorait les bestioles de toutes espèces. Elle-même, autant que possible, soignait ses petits pensionnaires : les deux couples de poulettes blanches, et les ménages des pigeonniers. A cette heure tardive, les pigeons étaient rentrés dans leurs alcôves et mesdames poules dormaient, roulées en boule sur leurs perchoirs — semblables à des houppes à poudre de riz, définissait Évelyne.

Mais au seuil de la cuisine, madame Sans-Gêne, une belle chatte tigrée, jouait avec ses minets. Évelyne posa l’un d’eux en cravate, sur son cou.

— Quelle jolie fourrure ! n’est-ce pas ? Ne dirait-on pas du velours gris ? Et jamais ces chers petits ne font sentir leurs griffes ! Seulement, je ne puis parvenir à les empêcher de croquer les moineaux ! Voilà ce qui me désole ! Aimez-vous les oiseaux, Raymonde ?

— Oui, nous avons un petit chardonneret dans une cage. Il est très bien apprivoisé. Pendant les repas, il sort et vient sur mon épaule me tirer les cheveux !

— Oh ! que c’est mignon ! Mais s’il s’échappait ?

— Je fais attention de fermer la fenêtre… Cependant…

Raymonde plissa un pan de sa jupe et murmura, en baissant la tête :

— Ces derniers temps, j’ai pensé… que c’était bien méchant, bien tyrannique de retenir en cage un petit être que le bon Dieu créa pour voler. J’ai eu l’idée de rendre la liberté à Très-Petit. Mais Philomène m’en a empêchée. Elle m’a dit que mon oiseau ne saurait pas trouver sa nourriture, et qu’il serait sûrement mangé par les éperviers.

Au nom de Philomène, Évelyne retint une exclamation. Ses grands yeux bleus s’ouvrirent largement, et très bas, la fille du docteur demanda à sa petite compagne :

— Philomène, n’est-ce point ma Philomène à moi, Raymonde ?

— Oui ! Nous causons bien souvent de vous ensemble ! Elle vous aime tant !

— Tu lui diras, oh ! tu lui diras que moi, je l’aime toujours, quoiqu’il me soit défendu de lui parler ! dit Évelyne, sans s’apercevoir du tu échappé à son émotion. Et je ne l’oublierai jamais… Tu lui diras tout ça ?

La porte du cabinet s’ouvrait, laissant passer le médecin et son visiteur. Évelyne, cédant à son élan affectueux, saisit aux épaules la fille aux yeux noirs, et les deux enfants s’embrassèrent avec effusion :

— Au revoir, Raymonde. Nous ne sommes plus seulement camarades, mais amies, bien amies !

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