Derrière le voile : $b roman
TROISIÈME PARTIE
A PAS LENTS
I
Vevey, 12 septembre 1919.
« Amie chérie,
« Aujourd’hui sonnent mes dix-neuf ans. Et, pour fêter l’anniversaire, tout m’est sourires et joies.
« D’abord à l’aube, ce matin, j’ai pu embrasser ma chère petite mère.
« Ensuite, cette aube qui s’épanouit en pleine lumière, c’est sur la terre suisse que je l’admire. Ce qui me rappelle que les hostilités sont enfin closes ! Le monde va respirer ! Et il me semble que la nature même reflète la quiétude rendue à l’univers. Je t’assure que les Dents du Midi, à cette heure, paraissent animées d’une humeur espiègle et jouent à cache-cache à travers les dernières brumes matinales.
« Où et quand te parviendront ces joyeusetés, ma Lynette ?
« Peut-être es-tu lancée déjà dans l’excursion de vacances que préméditait le docteur — sans en avoir encore déterminé le but — lorsque je suis partie de Saint-Germain-en-Laye pour rejoindre maman et miss Marwell ?
« Où que vous soyez, quand t’arrivera ce billet, dis bien à ton cher père que je ne goûte pas un agrément sans reporter vers lui ma reconnaissance.
« Qu’il ne se récrie pas, suivant son habitude, quand j’entonne mes hymnes de remerciements ! Mais si je remonte vers l’origine de mes chances… alors, alors, il me faut, de toute nécessité, inscrire son nom !… Oui, comme dans la vieille chanson : « Le feu ne veut pas brûler le bâton, le bâton ne veut pas battre le chien, » etc…
« N’est-ce pas en suivant ses instructions que ma mère chérie raffermit sa santé ? N’est-ce pas à Lézins, où il la persuada de séjourner encore une année, qu’elle connut cette délicieuse miss Daisy Marwell, qui, obligée aux mêmes précautions, la prit pour compagne et lui permit de mener, sous des cieux cléments, une existence aussi douce que le permettaient les horribles cahots de la guerre ?
« Et c’est grâce à miss Marwell que, depuis cinq années, je puis passer trois semaines de vacances, près de maman, dans une intimité charmante.
« Miss Marwell est une fée, et mon tuteur, un saint ! Comment ne pas s’estimer bénie quand on est gratifiée de tels patronages et qu’on possède un petit ange de vitrail pour amie ?
« Mille baisers, Lynette, dont tu donneras une part au gent Loys ! Il ne manque que toi à ma félicité de ce matin ! Du moins ai-je voulu t’évoquer !
« Ton démon familier,
« Raymonde. »
L’épistolière ferma vivement l’enveloppe, bondit sur ses pieds, et saisit le feutre léger déposé sur le guéridon. Le soleil, le lac, les palmiers du jardin, les hirondelles, tout l’appelait au dehors. Quatre à quatre, elle descendit un étage et tambourina doucement à une porte.
— Rosalinde !
— Come in, darling ! répondit une voix claire et rieuse.
Le panneau poussé, Raymonde aperçut, contre la fenêtre, sa mère, penchée vers une table où s’éparpillaient des cartes illustrées et des feuillets.
— Je dérange ! Pardon ! Je m’en vais !
Mais, d’un vaste fauteuil, couvert de cretonne à ramages, la voix rieuse s’éleva, entre des volutes de fumée bleuâtre, fleurant une fine odeur de tabac oriental.
— Plaignez votre maman, Rosalinde ! J’avais le cerveau débrouillé, au réveil ! Alors nous en sommes à la douzième lettre ! Tante Daisy devait beaucoup de réponses. Mme Airvault va prendre en grippe les Marwell de toutes les générations. Si mes yeux étaient moins mauvais, je n’abuserais pas ainsi de sa complaisance !
— Et que ferais-je alors ? dit Madeleine affectueusement. Vous vous ingéniez à m’éviter toute peine.
— Eh bien ! darling, à mon exemple, vous apprécieriez le far niente ! Far niente ! Il faut avoir vécu en Italie pour comprendre ce délice. Far niente ! Boire le soleil, s’engourdir, ne plus penser ! Presque le nirvana !
Et miss Marwell éclata de son joli rire, si juvénile qu’on s’étonnait de voir des cheveux de neige à la créature fantastique, frêle et mignonne, qui jetait ces trilles perlés.
Raymonde s’approcha et baisa respectueusement la main fluette, pendante sur la cretonne fleurie.
— Far niente ! Je doute, princesse Titania, que vous vous donniez souvent ce loisir, car cessez-vous jamais de chercher quel bienfait commettra cette main-là ?
— C’est la gauche ! Elle n’est utile qu’à manier la fourchette et à tenir le violon ! s’écria miss Marwell. Ah ! my dear, j’ai pitié de vos jambes, trop souvent au repos, entre nous ! Exercez-les en portant ce fatras à la poste ! Vous avez une grande heure libre jusqu’au lunch ! Mais…
Raymonde, rappelée par ce mot, s’arrêtait sur le seuil :
— Mais, recommandait emphatiquement miss Daisy, n’écoutez ni Faust, ni Don Juan, s’ils se trouvent sur votre passage et vous proposent leur bras !
— Si ! J’écouterai pour répondre : Messeigneurs, bien obligée je vous suis ! Mais on voit bien que vous sortez d’un autre siècle ! Vous êtes des vieux messieurs très démodés. Les hommes et les femmes ne se donnent plus le bras que dans les cortèges de noces, ou pour passer du salon dans la salle à manger. Et dans la rue, je préfère de beaucoup marcher à mon pas !
Là-dessus, la jeune fille esquissa une bouffonne révérence, qui redoubla l’hilarité de miss Daisy, et elle sortit, suivie par le regard tendre et heureux de sa mère.
Raymonde eut vite fait de traverser le jardin et de gagner le quai ; là elle ralentit son allure. Pouvait-on se rassasier du tableau où s’épandaient encore les douceurs de l’été ?
Les voiles triangulaires, les cygnes, les mouettes, éparpillaient des blancheurs errantes entre l’azur du ciel et celui du lac. Et pour cerner l’horizon, les montagnes dressaient des crêtes déchiquetées, transparentes comme du cristal, tandis que les hauteurs plus proches de la rive découpaient les lignes sévères de leurs pentes, boisées ou rocheuses.
Les rues de la vieille ville, qui gardent si heureusement un archaïsme local malgré les inévitables transformations modernes, intéressaient aussi la flâneuse. Elle se complut à muser quelque temps entre les éventaires fleuris du grand marché. Cependant, les lettres englouties dans une boîte, Raymonde biaisa de nouveau vers le lac, attirée irrésistiblement par la magie de l’eau et des mouvants mirages.
Une grande paix l’enveloppait — la paix heureuse où la pensée se tait, voluptueusement inerte. Tout ce que son regard rencontrait l’amusait, lui paraissait aimable et ami, même le voiturier jovial charriant des futailles, même ce chien jaune assoupi devant une porte, ces pigeons, ces moineaux, mendiants de terre, et les hardies corsaires ailées, les mouettes, poursuivant de leurs tourbillons et de leurs cris rapaces le steamer qui s’éloignait de la Tour-de-Peilz, sous un panache de fumée.
Chaque ombre des nuées variait la scène, faisant courir des frémissements colorés sur les cimes et les eaux profondes. Raymonde s’accouda au parapet, ravie dans sa contemplation. Des gens passèrent, d’autres s’approchèrent, sans qu’elle daignât y prendre garde. Tout à coup, elle tressaillit violemment. Une voix lui soufflait à l’oreille :
— Ne mange pas tout le paysage avec tes énormes yeux, gourmande ! Laisses-en pour les autres !
— Évelyne ! cria-t-elle, dans l’émerveillement d’un prodige.
C’était bien le délicieux visage, nimbé d’or fin, qui frôlait sa joue ! Et le petit Loys déjà lui tiraillait énergiquement le bras.
Raymonde, interdite, en se détournant, ne découvrit pas ceux qui eussent pu accompagner le frère et la sœur, c’est-à-dire M. et Mme Davier, mais deux grandes fillettes, grimaçantes et rougissantes, Mariette et Suzie Desroches, et un jeune homme, brun de cheveux, bronzé de peau, portant à la boutonnière le ruban vert et rouge de la croix de guerre, qui se tenait droit et sérieux durant l’accostage.
— Je viens de t’écrire, Évelyne ! Cinquante centimes de perdus ! Comment te trouves-tu ici sans crier gare ?
— Par le bon plaisir de nos papas docteurs, qui ont voulu visiter certain ami de la Faculté de Lausanne ! Je crois, entre nous, qu’ils étaient enchantés de mettre le pied hors des frontières !
— Et nous donc ! firent les petites Desroches.
— Alors, par faveur grande, malgré les passeports exigés, les marmots des deux familles ont été admis à visiter les bords du Léman, pendant quatre jours. Oh ! ajoutait Évelyne, suis-je étourdie ! Le plaisir de la surprise me fait négliger l’étiquette ! Au fait, M. Valentin Clozel a peut-être déjà rencontré Mlle Raymonde Airvault chez notre amie commune, Mme Forestier ?
— J’ai eu cet honneur ! dit le jeune homme, s’inclinant.
— Je m’en souviens, en effet ! murmura Raymonde, répondant au salut.
Un carillon annonçait midi. La jeune fille laissa dans le vague les réminiscences :
— Ah ! mon Dieu ! l’heure du lunch ! Je devrais être rentrée ! De quel côté vous dirigez-vous ?
— Nous sommes descendus à l’hôtel proche du débarcadère. On le voit d’ici…
— L’hôtel de la Grande-Bretagne ? Mais c’est le nôtre.
Au lieu de se réjouir, les deux jeunes filles parurent également embarrassées. Le nuage qui ternit les grands yeux noirs obscurcit les tendres prunelles bleues.
La coïncidence — sur laquelle s’extasiait le petit Loys — menaçait de devenir gênante. Mme Davier se trouverait certainement au déjeuner. L’expectative d’une confrontation avec la femme, hostile et dédaigneuse, qui pouvait humilier sa mère, glaçait la jeune fille jusqu’au creux des os.
Elle-même, dans le cours des dernières années, avait dû supporter, à diverses reprises, cette épreuve réfrigérante. Un allié inopiné l’avait soutenue, et facilitait la continuité de ses relations avec Évelyne, après que celle-ci fut sortie de la pension Duluc.
Loys, introduit par son père chez Mme Forestier, s’était pris d’amour tendre pour la vieille dame et le petit monde dont elle s’entourait. Raymonde Airvault, bras droit maintenant de Mlle Duluc, n’abandonnait pas la bonne voisine, et, les après-midi de jeudi, continuait d’animer les innocents divertissements. Le petit Loys se toqua de l’amie de sa sœur. Les critiques et les ironies maternelles ne le dissuadèrent pas de cet engouement intempestif. Force fut de laisser le garçonnet à sa passion.
Câlin et doux, mais de santé fragile et inconstante, le malheureux gamin devenait forcément impulsif et irritable. Loys était de ces oiselets débiles à qui toute bouffée d’air apporte une bactérie quelconque. Il semblait qu’un dieu malicieux eût voulu faire, du pauvre petit, un démenti vivant à la science médicale et à l’infaillibilité de l’hygiène.
Pâli par une récente fièvre de croissance, Loys gambadait près de Raymonde, au centre du groupe qui, sans empressement, s’acheminait vers la grille de l’hôtel.
— Ah ! veine ! s’exclama le garçon, une charmeuse d’oiseaux !
Une personne menue, habillée de laine blanche, debout devant le parapet, lançait du pain aux cygnes, environnée de piailleries aiguës et d’un tournoiement de longues ailes souples.
— Miss Marwell ! avertit Raymonde à demi-voix. Ne dirait-on pas un Reynolds, avec ces beaux cheveux poudrés à frimas, ce profil délicat et ce collier de velours noir !
Puis, entraînant Évelyne :
— Oh ! chère miss Marwell, si vous saviez ce qui m’est arrivé dans cette courte promenade ? Des péripéties de cinéma ! Voici que le Destin amène vers moi, à l’improviste, mon amie la plus chère, Évelyne Davier.
— Fille de votre tuteur ! Oh ! je connais ! dit aimablement miss Daisy. Je me figurais bien ainsi la Clélie de ma Rosalinde ! Vous saurez que Raymonde figure en vérité pour moi la Rosalinde de notre Shakespeare.
Elle écouta, avec une affable patience, les noms précipitamment débités par Raymonde, distribuant des poignées de main aux gauches fillettes ; mais quand vint le tour de Valentin Clozel, présenté le dernier, son regard se posa, approbateur, sur le ruban de la boutonnière.
— Un soldat et un brave ! Je m’honore ! prononça-t-elle gravement.
Les mouettes, un instant négligées, revenaient effrontément à la charge.
Leur amie émietta la miche déposée sur le parapet et lança les bribes, d’une volée, à la troupe folâtre.
— Elles sont si gentilles, n’est-ce pas ? Je crois qu’elles sont appointées par la République helvétique pour égayer le Léman ! I am afraid of that, indeed ! (J’en ai peur, réellement !)
— No ! répliqua Clozel, desserrant enfin les dents. Don’t fear that ! They are too nice to be administrative ones ! (Ne craignez pas cela ! Elles sont trop jolies pour appartenir à une administration.)
Miss Marwell frotta joyeusement ses petites mains pour en détacher les dernières mies.
— Oh ! you speak english very well. Je vous croyais un peu Jacques le Taciturne.
— Often I am so ! (Souvent je le suis !)
Tout en badinant, la vive et spirituelle Anglaise dirigeait ses pas vers l’hôtel, escortée de ses jeunes compagnons, et traversait lentement le parterre sans cesser de causer avec Valentin Clozel. Ainsi Mme Davier, qui attendait sous la véranda, près de Mme Desroches, le retour de la petite bande, vit s’avancer, à ses yeux ébahis, cette reine poudrée à frimas derrière laquelle se tenait, telle qu’une déférente demoiselle d’honneur, Raymonde Airvault.
Celle-ci adressait à quelqu’un, qui se trouvait à une autre porte, un tendre coup d’œil rapide. Instantanément, à son intime confusion, Fulvie détermina l’identité de la dame grisonnante, au visage fin et doux, qui, tout à l’heure, dans le salon, sur sa demande, la renseignait sur les excursions du Mont-Pellerin et des Avants. Gaffe ! Bévue ! La femme à laquelle elle s’adressait, confiante, et qui lui répondait avec la simplicité aisée d’une personne bien née, ne serait autre que cette Airvault, dont elle eût refusé le salut à Versailles ?
Le vague souvenir que Mme Davier conservait de Madeleine, entrevue à peine quelques années auparavant, se précisait, foudroyant.
Le pire était qu’après la courte conversation dans le drawing-room, Fulvie avait louangé la complaisance et le bon ton de l’inconnue en déclarant à Mme Desroches : — Qu’il est agréable de se trouver entre gens de même éducation !
La gaffe ! La gaffe !
Et voici qu’Évelyne et Loys ramenaient entre eux cette peste de Raymonde, dont tous deux étaient coiffés. Et la belle-fille, gênée, rougissante, se croyait obligée de nommer en bégayant cette miss N’Importe Quoi dont la belle-mère se souciait comme de Marie Tudor ! Et il lui fallait subir salamalecs, compliments, batifolages, et garder contenance correcte, de peur d’affoler cette benoîte et niaise mère Desroches, qui n’entendait goutte à rien, ou d’offusquer ce Valentin Clozel, qu’on avait des raisons graves de ménager, et qui, assez raide et silencieux d’ordinaire, paraissait dégelé par cette bizarre Anglaise qui riait comme une petite fille, mais dont l’œil pénétrant vous vrillait ainsi qu’une pointe d’aiguille.
C’était plus de vexations que n’en pouvait tolérer la nature entière de Fulvie. Heureusement, le déjeuner, servi par petites tables, vint lui fournir un répit opportun.
Raymonde, en arrivant à sa place, y trouva une gerbe de glaïeuls et de roses. La délicate et gracieuse miss Daisy n’avait garde d’oublier l’anniversaire de sa petite amie. La joie, l’émotion, allumèrent mille étincelles dans les grands yeux qu’Évelyne, admirative, appelait « des soleils noirs ». « Des yeux capables d’incendier Rome », définissait, un jour, un vieil académicien madrigalisant, ami de Mme Forestier.
De sa place, Mme Davier vit l’illumination éblouissante : elle aimait les changeantes expressions de ces immenses prunelles, à la fois sombres et brillantes, où se reflétaient toutes les flammes du sentiment. Mais, aujourd’hui, la modeste et douce jeune fille sentit un trouble indéfinissable se mêler à son plaisir esthétique.
Tout à coup Raymonde lui apparaissait comme si elle l’apercevait pour la première fois. Évelyne perdit notion de l’aspect accoutumé ; elle examina curieusement, ainsi qu’on le ferait dans une salle de théâtre, au bout d’une lorgnette, la jeune personne assise vis-à-vis d’elle.
Taille moyenne, mais dégagée et souple sous la simple robe de laine beige brodée de brun au col et à la ceinture, qui laissait nus les bras ronds. Traits irréguliers — mais une intensité de vie étonnante sur la mobile physionomie, où alternaient nuages et rayons, comme dans un ciel orageux ! Vision captivante et séduisante, assurément ! Quel effet devait-elle produire sur le spectateur moins habitué ?
Par un réflexe involontaire, Mlle Davier tourna la tête vers le compagnon assis à sa gauche. Le profil était abaissé vers l’assiette ; mais, furtif, le regard gris, strié de brun, s’échappait, attiré vers le brillant point de mire : l’ardent petit visage aux yeux ensoleillés.
Évelyne eut l’étrange sensation qu’un grand creux se produisait soudain dans sa poitrine et que son cœur, contracté, devenait dur et inerte. Quelques minutes, elle demeura muette, le cou ployé. Puis elle chercha dans la glace de la paroi sa propre image : une figure longuette, un peu pâle, des yeux bleu de lin, des ondes dorées sous le chapeau de paille marron, des épaules tombantes, un ensemble élégant, plaisant peut-être.
Peut-être !…
Elle se sourit, avec mélancolie :
— Si j’étais homme ?… Entre les deux ?…
Répondant à sa question secrète, Mlle Davier eut un mouvement que Valentin Clozel prit pour un geste de négation.
— Vous refusez les pêches ? Vous avez tort, mademoiselle ! Elles sont excellentes.
A ce moment, Mme Davier, voyant Mme Desroches occupée à déguster un dessert copieux, se levait et avertissait à voix basse la friande dame :
— Demeurez tranquille. J’ai promis à mon mari de lui téléphoner à l’heure du déjeuner.
Quelques minutes plus tard, elle revenait, congestionnée et animée.
— A la bonne heure ! Les communications ici ne se font pas attendre ! Eh bien ! nous partons tout à l’heure par le tramway ou le bateau. Ces messieurs nous rejoignent tantôt à Montreux.
— Comment ! se récria Mme Desroches interloquée. Je croyais que le rendez-vous était fixé ici, qu’il restait seulement à indiquer l’hôtel !
— Nos époux en décident autrement ! répliqua légèrement Fulvie. Nous n’avons qu’à nous incliner devant leurs ordres.
— Sans doute ! Mais nous allons manquer la visite de Vevey ! déplora la bonne Mme Desroches. C’est dommage !
— C’est dommage ! répétèrent Loys et les petites filles, en regardant Raymonde et miss Marwell.
Valentin Clozel ne regarda personne et ne dit rien.
Mme Davier réglait déjà l’addition, un sourire méphistophélique au coin des lèvres. L’explication finale, à Montreux, offrirait sans doute quelque ambiguïté. Mais l’essentiel était de fuir promptement une promiscuité gênante et irritante. Et elle s’applaudissait d’en arriver à ses fins par une manœuvre aussi audacieuse qu’expéditive.