Dissociations
LE POISON DE L’OR
Cette vieille femme pouvait coucher littéralement sur l’or, litière qui n’est moelleuse que par métaphore. Elle avait chez elle vingt mille pièces d’or de vingt francs. Je ne me rends pas compte de la masse. Il n’y en a de pareille que dans les coffres de ceux qui font le commerce de l’or. Cette somme, qui n’est pas énorme en papier, est énorme en monnaie. Rien qu’à l’énoncer on donne l’idée d’une vielle femme destinée à l’assassinat, mais par miracle elle y échappa, s’étant d’elle-même vouée au suicide, disent les magistrats. Le populaire cependant n’est pas de cet avis : « On ne se suicide pas, dit-il, quand on possède chez soi vingt mille pièces d’or, quand on peut prendre des bains d’or, coucher sur l’or et dans l’or, respirer l’or, vivre l’or. » Il eût compris le suicide avec une fortune en papier, une fortune sans attrait, sans magnétisme, mais il ne peut admettre que l’on renonce volontairement à la présence réelle de l’or, à la fascination de l’or. Une litière d’or, comme les vaches ont une litière de paille et de fougère, est-ce que cela ne doit pas donner des jouissances telles que la vie, c’est le cas de le dire, en devient tout à fait précieuse ? Mais si l’or, par hasard, lui avait monté à la tête, si les vapeurs de l’or l’avaient empoisonnée, lui avaient troublé la raison ? Ce n’est pas le premier avaricieux que l’on a trouvé mort exténué sur le tas de ses écus, et vraiment l’idée que l’on possède tant d’or, mais que l’on se sent incapable de mettre en usage une seule des possibilités qu’il contient, est bien faite pour vous mettre la cervelle à l’envers ! Oui, oui, qu’on y réfléchisse bien : l’or est peut-être un poison !