Dissociations
L’AGE
L’habit militaire met ceux qui le portent à l’abri des atteintes de l’âge. Une fois entré dans ces étoffes de diverses couleurs, généralement rouges pour le pantalon et noires pour le dolman, l’homme participe du fer, du bronze, du marbre, du zinc et du caoutchouc. A quarante ans, il fait la culbute comme un écolier ou comme un élève du Collège d’athlètes. A quarante-cinq ans, il entre dans l’adolescence, passe ses derniers examens et se prépare à la vie sérieuse. A cinquante ans, il est propre au mariage et à la procréation. Vient l’âge mûr, qui le mène jusqu’à soixante-dix ans et au-delà, parfois jusqu’à l’âge de Mathusalem. « Il est tout jeune, disait un général d’un de ses collègues, tout jeune. Songez qu’il n’a que cinquante-quatre ans ! » Cette appréciation serait folle si elle s’appliquait à un civil, mais l’uniforme préserve et conserve, en même temps que, je ne sais par quelle force inhibitrice, il s’oppose au développement des grandes forces martiales du commandement et de l’organisation : un militaire n’est plus apte au rôle de Condé, de Napoléon, de Desaix, de Marceau qu’à un âge qui, pour les humains ordinaires, se dirait « très avancé », et c’est sans doute pour cela qu’il n’y a plus de grands généraux. Ils sont tous morts avant d’avoir atteint l’âge du génie militaire. Des hommes de bien se sont émus de cette situation singulière, qu’ils ont étudiée sans résultat appréciable sous le nom de « rajeunissement des cadres ». Mon incompétence me commande de m’arrêter là. Je me suis borné à rassembler quelques vues nouvelles qui pourraient, il me semble, servir de point de départ à une science nouvelle : la biologie militaire. Plus modestement, on pourrait tenter un essai sur l’influence du drap d’uniforme, des galons et plumets sur l’évolution organique de l’homme. On voit le genre.