Dissociations
DIPLOMÉES
Il paraît qu’aux États-Unis les femmes diplômées, les « graduées », comme on dit là-bas, ne trouvent pas à se marier, et cela de moins en moins. Un établissement qui distribue l’instruction supérieure aux jeunes filles depuis plus de quatre-vingts ans, a fait à ce sujet une enquête près de ses anciennes élèves. Un très grand nombre d’entre elles, un bien plus grand nombre que parmi les ordinaires jeunes filles, ont dû rester célibataires, et celles qui se sont mariées ne l’ont fait que très tard et n’ont eu que très peu d’enfants, quand elle en ont eu. A quoi cela tient-il ? s’est demandé M. Bertillon. Il n’en sait vraiment rien. Il croit cependant que la science, ou plutôt le savoir a monté à la tête de ces Américaines. Elles ont estimé un peu trop leurs acquisitions intellectuelles, négligé leurs dons naturels, leur féminité. Se jugeant supérieures aux jeunes gens de culture moyenne qui s’offraient à elles, elles ont différé de se marier jusqu’à la dernière extrémité, espérant toujours trouver un compagnon plus digne d’elles et finalement, malgré leurs mérites, ont dû se résigner à demeurer vieilles filles. C’est un peu la situation de nos institutrices de campagne qui, elles non plus, ne se marient guère. Elles dédaignent les paysans qu’elles effraient, le temps passe, il est trop tard. Un homme instruit épousera volontiers une fille sans culture, car c’est une qualité secondaire pour lui. La jeune fille cultivée ne s’abaissera jamais à s’unir à un rustre, eût-il bien des vertus, et ce n’est que bien rarement qu’un ouvrier pourra la tenter. Mais avec raison M. Bertillon se demande si la situation est aussi inquiétante en France qu’en Amérique, et il n’attend la solution que d’une enquête bien faite : comme il n’y en a pas, il ne saurait conclure. Pour moi j’y vois, du moins, les analogies que j’ai indiquées.