Dissociations
MYSTÈRES DE LA STATISTIQUE
J’aurais cru à une plaisanterie, pas bonne et très usée, si je n’avais lu cela dans un journal qui passe pour très sérieux et qui, d’ailleurs, cite sa source, le Bulletin municipal, organe moins badin encore que lui-même, et si le dit bulletin n’offrait pour garantie la signature du docteur Jacques Bertillon. Mais c’est un fait qu’affirme ce savant homme que les cas de suicide sont beaucoup plus fréquents chez les fruitiers que chez les crémiers, chose d’autant plus extraordinaire que les deux professions sont généralement exercées par le même individu. Il y a là chez le marchand de fromage et de céleri un phénomène de dédoublement de la personnalité encore inexpliqué. Le mystère devient plus profond, si possible, quand des professions aussi éloignées que les musiciens et les ramoneurs sont rapprochées par la statistique dans le chapitre du suicide, lequel fait également beaucoup plus de ravages chez les scieurs de long que chez les menuisiers. Les scieurs de long sont au contraire sur la même page que les libraires et que les cochers. La statistique de M. Bertillon, dont je ne donne ici qu’une faible idée, s’occupe également des maladies et nous révèle que le diabète sévit en particulier sur les membres du clergé, et que les coiffeurs meurent plus jeunes que les libraires. Pourquoi ? Tout est mystère dans la statistique. On m’avait apprit dans mon enfance qu’il y avait une herbe qui guérissait les coupures des charpentiers et était sans effet sur les serruriers et autres gens qui ne sont pas charpentiers. Cela ne m’étonnait pas, car j’étais encore dans l’âge de l’heureuse simplicité et d’ailleurs j’avais dans ma bonne une grande confiance.