Dissociations
QUERELLES D’ÉTAT
L’État fabricant et commerçant est un être de raison, mais de bien peu de raison, ou du moins doué d’une sorte de raison mystérieuse, dont l’essence échappe au commun. Ayant fabriqué tabac et cigares, non seulement mauvais commerçant, il se désintéresse de la vente, mais il se fâche contre ceux qui la propagent et l’encouragent. « J’ai, dit-il, des préposés pour cela. Mon tabac et ses succédanés ainsi que mes timbres, mes allumettes et mon papier à vignettes se vendent généralement en des endroits parfumés à l’absinthe, au tord-boyaux et au vin bleu. C’est là et pas ailleurs qu’il faut acquérir mes produits et, les ayant acquis, il faut les consommer soi-même. Qui les revend, avec ou sans bénéfice, est coupable, encore qu’il ne m’ait fait aucun tort et qu’au contraire il ait augmenté la vente desdits produits, dont au reste, je me contrefiche. C’est ainsi. » Oui, c’est ainsi. On peut admirer ou ne pas admirer, mais il faut en tout cas renoncer à comprendre. Et pour montrer qu’il ne plaisantait pas, il a commencé par faire condamner à l’amende un maître d’hôtel, un seul, qui offrait contre rétribution des cigares achetés au bureau de tabac voisin. Il aurait pu, tout aussi bien d’ailleurs, en faire condamner cinq cents, ainsi qu’un nombre illimité de garçons de café, car tous exercent ce petit commerce au grand jour. On se demande quelle tête ferait le client si on refusait de lui servir avec son café le demi-londrès traditionnel et si on lui répondait : « Allez le chercher vous-même. » Peu importe que le prix soit majoré ou non, le bénéfice se retrouve dans le pourboire. Mais n’est-il pas bien comique aussi qu’on occupe des magistrats surchargés de besogne à juger des causes à ce point saugrenues ?
P.-S. — Les Finances ont donné de la présente histoire une interprétation différente. Ce ne serait qu’un avis à la fraude et à la contrebande. Il fallait le dire.