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Dissociations

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VISION D’ÉTÉ

On voit des choses bien amusantes l’été, à Paris, quand les étrangers sont le seul spectacle de la rue. Ils sont si à leur aise parmi nous, si bien d’aplomb dans l’étalage de leurs vices ou de leurs fantaisies, qu’ils en deviennent admirables. Qu’elle me récréa, cette Anglaise, à la terrasse d’un café du boulevard Saint-Michel, avec ses garçons en costume de midshipman, sérieux et ramassés, ne regardant rien que leur mère, n’écoutant que leur mère, évaporée assez jolie, qui leur traduisait, en riant aux éclats, les échos galants de la Vie Parisienne. Ils formaient tous les trois comme un flot extravagant parmi les rares buveurs de bière. Il était à peu près neuf heures et demie du soir et la dame, quand j’arrivai là, entamait sa troisième absinthe « avec beaucoup de glace », ajouta-t-elle avec un rien de pudeur et aucune minauderie. Les boys, sérieux, la considéraient avec un peu d’inquiétude, mais respectueuse, et le plus jeune, qui avait une dizaine d’années, versait goutte à goutte l’eau frappée sur les morceaux de sucre. Les garçons n’avaient bu qu’un mélange rose de sirop et de glace pilée. Qu’était-ce que l’absinthe pour cette femme, qui avait l’air de se sentir dans un lieu de délices ? Une habitude ou une découverte ? Plutôt une découverte, et assez récente, une joie toute nouvelle dont elle épuisait rapidement la délectation continentale. Passant quelques jours dans le pays de l’absinthe, elle devait en prendre à toute heure et n’importe à quelle heure, avant et après les repas. Elle n’était pas ivre, mais d’une gaieté un peu avancée et nerveuse. Quel paradis de liberté que la France pour une Anglaise, et avec quelle sagacité elle en tire aussitôt le plaisir qui lui convient le mieux !

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