Dissociations
LES ÉCOLES
On vient de découvrir à Paris une école supérieure de navigation qu’on a fondée on ne sait quand pour fournir d’officiers les bateaux de commerce. Mais le commerce n’a jamais voulu entendre parler des produits de cette école. Il n’a pas confiance en cet enseignement théorique ; il estime qu’un marin se prépare sur l’eau et que c’est en naviguant qu’on devient navigateur. Alors les diplômés de l’école supérieure de navigation font généralement leur carrière comme comptables ou commis de nouveautés. Aussi pense-t-on à la transporter au Havre, où peut-être servira-t-elle à quelque chose. C’est bien possible, bien que cela ne soit pas certain. La meilleure école, quelle que soit la carrière, sera toujours l’apprentissage. Du temps qu’il n’y avait pas d’écoles, de grandes écoles, il y a très longtemps, il y avait sans doute moins d’hommes de métier pourvus d’une bonne instruction technique moyenne, mais c’était aussi l’époque des audacieux et des innovateurs. De quelle école sortait Du Guesclin et de quelle école sortait Jean-Bart ? De quelle école sortirent les architectes de nos cathédrales, que tout l’effort d’un architecte de maintenant serait de copier ? A quelle école Rembrandt ou Titien avaient-ils appris leur métier ? Destructrice d’art, l’école est peut-être aussi destructrice de science et destructrice d’invention et d’énergie. L’école vient en aide aux esprits paresseux et peut-être qu’elle refrène les esprits actifs. Je ne voudrais pas pousser cette idée à l’extrême, chaque stade de civilisation a ses exigences et ses habitudes, mais enfin avant les écoles des Ponts et Chaussées, on savait construire un pont et on savait faire une route, et on n’a pas attendu l’école de navigation pour savoir naviguer. Il ne faut pas croire que lorsqu’on a organisé une école supérieure, on a créé un centre de progrès. On a créé un centre de conservation, voilà tout.