Dissociations
EN VITESSE !
La loi défend aux automobiles de faire plus de trente kilomètres à l’heure sur les routes et plus de vingt dans les agglomérations. Un magistrat, qui eut souvent à juger les chauffeurs en délire, le rappelait l’autre jour aux intéressés et au public, lequel est fortement intéressé, lui aussi, dans la question, car c’est lui qui fournit la chair à pâté. Tout en s’indignant que la loi ne soit pas mieux respectée, ledit magistrat proposait d’en porter le taux à quarante kilomètres. Est-ce bien fait pour calmer le délire des automobilistes ? Tout au plus pour les faire rire un instant et converser entre augures sur le ton récréatif. Voyons, monsieur, qu’auriez-vous pensé d’une loi prudente qui, il y a vingt ans, eût enjoint aux voitures de ne pas dépasser deux lieues à l’heure sur les routes et de traverser les villages ou suivre les rues au pas ? Vous l’eussiez jugée sévèrement exigeante et destinée à être peu observée, car étant magistrat vous n’ignorez pas toute la psychologie humaine. Mettre entre les mains d’un homme un instrument et lui défendre de s’en servir, ce serait bien hasardeux déjà si les hommes étaient des êtres raisonnables, mais comme ils ne le sont pas, c’est bien plus que hasardeux, c’est proprement insensé. Il est dans la nature de l’homme d’aller jusqu’au bout de son droit, jusqu’au bout de sa force. Monté sur une voiture qui peut faire soixante, quatre-vingts, ou cent kilomètres à l’heure, il la lancera, au moins de temps à autre, à toute vitesse, parce qu’il lui est impossible de résister à un pouvoir dont il ne sent pas immédiatement le danger. Est-ce que votre expérience de l’homme ne vous suggère pas que le seul moyen de réfréner les vitesses folles serait de les rendre impossibles ? Mais confiez donc cette idée aux constructeurs : Ils riront, toute le monde rira et tout le monde continuera à se casser la figure. Ainsi le veulent les tendances de l’esprit humain.