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Dissociations

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LA VIE D’UNE VILLE

Il est difficile de comprendre un individu un peu complexe, de pénétrer entièrement son esprit et son caractère, de découvrir comment ses sensations présentes se relient aux sensations anciennes, quel est enfin le principe de sa vie. Mais la psychologie d’une ville est bien plus malaisée encore à établir dans sa continuité vivante, surtout quand il s’agit d’une cité qui a réussi, comme Rouen, à loger la civilisation la plus neuve et la plus active dans le cadre le plus ancien et, en apparence, le moins fait pour la vie d’aujourd’hui. Mieux on connaît cette ville et plus elle semble se dérober à l’observateur. Le présent n’y est pas juxtaposé au passé ; ils coïncident. On dirait d’un Bernard l’hermite qui s’est logé dans une coquille de hasard : il ne l’a pas appropriée à ses besoins, mais ses besoins y ont pourtant trouvé leurs aises. Voyez ce poste central d’électricité : il a trouvé sa place dans une vieille ruelle de truands dont il n’a pas modifié le caractère. Paris n’a pas su faire cela. A Paris on a dégagé les rares monuments anciens qui lui demeurent et on vient d’abattre encore de vieilles maisons autour de Saint-Séverin. Rouen n’a cédé que fort peu à cette manie et semble s’en repentir, car on n’y démolit plus rien. Malgré cela, tramways et automobiles cheminent fort bien le long des rues étroites aux vieilles maisons où s’accrochent les fils du trolley. Il y a partout une accommodation merveilleuse, et Rouen a été récompensé de son ingéniosité par la conservation de son caractère, ce qui ne l’empêche pas de s’étendre extérieurement, le long de la Seine, et de grimper aux collines voisines.

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