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Dissociations

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DÉVASTATIONS

On accuse toujours la Révolution d’avoir démoli vieilles églises, vieux châteaux, vieux monuments de toute sorte. Certes, elle en fut la cause première, mais elle manqua d’argent pour passer des désirs aux actes. La plupart du temps, elle se contenta de confisquer et de vendre. Quand revinrent les Bourbons, tout était encore debout et ce n’est qu’à ce moment que se réalisa le grand vandalisme, celui qui à Rouen, par exemple, a remplacé par la triste caserne qu’on appelle l’Hôtel de Ville le délicieux Logis abbatial de Saint-Ouen, qui datait des premières années du seizième siècle. Cette merveille fut rasée en 1816. Tel fut un des dons de joyeux avènement de la Restauration, qui fut partout en France le contraire absolument de ce que signifie son nom. Est-ce aussi à ce moment-là que disparut la délicate porte Bouvreuil ? Je n’en sais rien, mais il n’y a aucun doute pour la porte du Bac qui, moins élégante, avait une grande allure. Je ne cite que ces fragments des vieux remparts, mais c’en est assez pour m’attendrir et je n’ai jamais passé sur les quais sans en reconstituer la vision. Comme ce qu’on a conservé du vieux Rouen, ce qu’on a supprimé aurait très bien pu s’accommoder à la civilisation moderne. D’ailleurs, quand on le démolit, avec une joie vandale, elle n’avait pas encore de bien grands besoins. On dévaste donc pour le plaisir, pour la propreté. Oui, c’est ainsi qu’on qualifiait la dévastation : on nettoyait. Tout ce qui sentait le moyen âge ou le seizième siècle paraissait odieux à des yeux auxquels le dix-huitième siècle avait enseigné les délices du fronton corinthien. Ces barbares étaient des classiques raisonnables : le romantisme ne régnait encore que dans quelques cervelles choisies, et c’est au romantisme que nous devons le respect et le sentiment de notre passé architectural. C’est à Notre-Dame de Paris que l’on doit sans doute la conservation de toutes les Notre-Dame de France.

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