Dissociations
LE PROGRÈS
Un philosophe, M. Louis Weber, vient de publier un gros livre sur le progrès ou sur l’idée de progrès. Les conclusions en sont assez peu accentuées, du moins pour moi qui ai beaucoup réfléchi et même écrit sur cette question. On n’a qu’à comparer avec la présente époque une des époques passées, de celles qui sont bien connues, le dix-septième siècle, par exemple, pour constater une grande quantité de progrès matériels et quasi de tout genre, ainsi que quelques progrès sociaux également indéniables, mais cet ensemble d’améliorations constituent-elles ce que certains sociologues et le populaire appellent le Progrès ? En d’autres termes, la conscience que nous avons d’avoir généralement progressé en civilisation est-elle justifiée ou n’est-elle qu’une illusion ? Si étrange que cela puisse paraître, je crois la question insoluble. Sans doute, presque chaque série de faits, en particulier, est caractérisée par un progrès, mais dans l’ensemble en est-il de même ? Il y a la question de fait et la question de sentiment. Un bourgeois du grand siècle avait-il la sensation de participer à une civilisation supérieure comme la peut avoir un bourgeois d’à présent ? Son bonheur était-il d’une qualité analogue ? Un homme d’aujourd’hui n’en voudrait pas, cela est évident, mais c’est parce qu’on peut comparer le présent au passé. Les lacunes du passé nous donnent une sorte d’effroi ; les hommes de l’avenir ressentiront sans doute, à considérer notre époque, une impression pareille. A tous les moments de l’histoire, et même de la préhistoire, l’homme a toujours dû se croire au sommet ou ne rêver que d’améliorations sans rapport avec celles que devait apporter l’avenir. Il faut donc distinguer le fait même du sentiment que nous avons du fait. Comme fait mesurable, le Progrès général est évident. Comme sentiment de la vie, il est resté un problème.