Heures d'Afrique
TRIPOLI DE BARBARIE
Tripoli ! la ville des mirages, mirages de la mer et mirages des sables dans son vert oasis empanaché de palmes, Tripoli l’Espagnole et aussi l’Orientale, Tripoli toute bruissante encore des harpes et des flûtes du cortège de la Princesse lointaine, Tripoli, qu’un poète, M. Edmond Rostand, consacrait cité d’azur et d’or, d’azur comme Césarée, Antioche et Solime, et d’or comme Ninive, Memphis, Alexandrie, par la magie de ses vers, quelquefois incorrects, mais si chantants, si fastueusement souples et un peu aussi, disons la vérité, par la grâce onduleuse et la voix d’agonie, caresse et mélopée, de Mme Sarah Bernhardt… Tripoli !… c’est-à-dire des minarets verts, des terrasses de palais et des dômes de mosquées au-dessus de hautes murailles que vient baigner la mer, un décor de ville turque dans une baie d’azur, le faste somnolent d’une cité du soleil allongée et rêvant au rythme lent des palmes, entre le vent du large et celui du désert…
Décor trompeur, déception du mirage ; la ville est sale et le ciel gris ; la felouque turque, qui nous mène à terre, fend à force de rames une eau lourde de sable, l’horizon est gros de pluie et sur le petit quai, où nous accostons, une bande d’énergumènes en guenilles, mendiants et portefaix arabes, nous accueille avec des gestes et des cris rapaces ; il faut défendre contre eux notre bagage, c’est une vraie meute qui s’acharne après nous. Ils nous ont tirés de force hors de notre chaloupe et, pendant qu’ils nous assaillent d’offres et de demandes, baschis, baschis, sidi, sidi, soldi, il nous faut répondre à la police turque et tenir tête en même temps à la douane. Les uns réclament notre passeport, les autres fourragent curieusement dans nos malles, oh ! les gros doigts malpropres de ces Turcs sur notre linge…
Nous parvenons enfin à leur en imposer en nommant le consul ; quelques menues monnaies achèvent de les convaincre et, devant l’argument des pourboires, la pesante grille qui clôt tout le quai consent à s’ouvrir. Nous sommes dans Tripoli, mais ce n’est pas sans mal.
Et la déception continue. Les rues sont sordides, les étals des marchands déconcertent par leur désordre, le pied s’enfonce et trébuche dans la boue ; ce ne sont que flaques d’eau, tas d’ordures et ornières. Rues voûtées ou plutôt enjambées par des arches, aucune d’entre elles n’a de nom ; c’est la ville turque dans toute son incurie. Quelques buvettes tenues par des Maltais, des boutiques de perruquiers siciliens, voilà, parmi les rangées d’échopes, les seuls endroits où puisse se risquer un Européen ; et pourtant que de pittoresque et de séduction dans les amas de citrons, de fenouils et d’oranges empilés devant les taudis arabes ! Les logis indigènes, déjà si rebutants à Sfax, sont devenus ici tanières, la plupart sont pourtant peints de rose et de bleu ; ce sont les mêmes fenêtres grillagées, les mêmes façades closes que dans la Tunisie, mais l’effroyable saleté turque étonne, même après l’insouciance arabe… et les corps de garde de la garnison, avec leur puanteur et leur aspect de caverne, et la lamentable tenue de la troupe, ces soldats turcs qui, sans leur fez, auraient l’air de mendiants, leur uniforme crevé aux coudes, leur pantalon en loques, leurs pieds nus dans la boue, toute la défroque de pièces et de morceaux de la fidèle armée du sultan, c’est à se demander de quoi vivent ces misérables ; sont-ils payés ? Cela, non, sûrement… Nourris, alors ? Oui, car ils ont fière mine et, forts comme des Turcs, la plupart bombent de robustes torses dans le drap crevé de leur étroit veston…
Ils errent par les rues en se tenant par la main, comme des fiancés ; musent aux étalages : nous leur donnerions des sous, si nous l’osions. D’autres passent, escortant un chameau chargé de tonnelets et de vieux bidons ; à Tripoli, ce sont les soldats qui vont chercher à la fontaine l’eau des ménages d’officiers et la provision des casernes, soldats chameliers qui, au bout de trois jours, deviennent une des joies de la rue, plus foisonnante ici de foule et de pittoresque que dans toute autre ville arabe ; car, malgré sa saleté, ses ornières et sa boue, elle déborde de vie, de couleur et de mouvement, la ville de la Princesse lointaine.
Plus dense qu’à Sfax et qu’à Tunis même, c’est, dans un extraordinaire grouillement d’Arabes de l’oasis et de nomades, un va-et-vient de juifs turcs, de marchands syriens, d’Arméniens même et de nègres de toute l’Afrique, un pullulement énorme de nègres, nègres géants pour la plupart, et du noir le plus noir ; foule orientale où le roumi est rare, rare surtout l’Européen. Nous y faisons émeute, dans ces rues de Tripoli : notre présence y semble étonner jusqu’aux ânes et jusqu’aux chameaux ; tout un peuple intrigué nous suit depuis le quai jusqu’à la porte de l’hôtel, cet hôtel de la Minerva qui, nous le tenons de l’hôtelier, héberge par an à peu près trente voyageurs. Mme Sarah Bernhardt révolutionne moins les badauds parisiens quand elle traverse le boulevard dans son cab. Évidemment, notre arrivée fait sensation.
Sensation, nous en ferons bien davantage tout à l’heure, quand nous visiterons la ville, escortés par un kawas, un des quatre grands nègres chamarrés d’or et de broderies qui veillent en permanence dans le patio dallé du consulat. M. Lacau (je tiens d’autant plus à citer son nom et sa courtoisie qu’elle n’est pas précisément monnaie courante à l’égard des gens de lettres, la complaisance du monde officiel tunisien), M. Lacau, dis-je, a tenu à nous faire accompagner à Tripoli par un des nègres attachés à son service, non pas que la ville ne soit pas sûre, mais il a voulu qu’on nous sût Français et sous son immédiate protection ; car il ne faut pas oublier que c’est en Tripolitaine que furent massacrées et la mission Flatters et l’expédition Morès ; l’accès de l’intérieur y est absolument interdit aux roumis ; la politique ottomane y entretient la haine d’instinct et de religion des nomades pour l’Européen. Toute escorte est d’avance refusée à qui veut tenter l’excursion du désert ; il y a là, échelonnés dans les sables, des villages et des oasis qui doivent continuer d’ignorer Gabès et les autres postes avancés de notre civilisation. Dans l’immédiat intérêt du commerce tripolitain.
Nous faisons donc le tour de la ville, dévisagés, non, dévorés par des milliers d’yeux… et c’est la visite à l’arc de triomphe de Marc-Aurèle, transformé aujourd’hui en buvette, beaux bas-reliefs, trophées d’armes et de boucliers du style emphatique et pompeux de l’époque, mais de la maçonnerie en remplit les arceaux ; puis, par une espèce de chemin de ronde, dominant les remparts et le golfe, nous débouchons près d’une des portes de la ville, la porte principale, la seule qui reste ouverte pendant la nuit, celle par laquelle on gagne l’oasis, la porte des nomades et des grandes caravanes…
Porte de cité d’Orient, obstruée de grands murs, d’un escalier et d’une terrasse, tout le dédale ordinaire des constructions compliquées de l’Islam ; sous ses hautes voûtes s’encadre la Méditerranée, ici finissent les remparts. En dedans et en dehors règne une animation extraordinaire ; en dedans, c’est la place des casernes, un fourmillement d’uniformes loqueteux, le va-et-vient de trois mille soldats turcs logés là, à l’entrée de Tripoli, dans les contreforts même de la citadelle, la citadelle dont la façade baigne dans la mer. Forteresse espagnole bâtie par Charles-Quint, elle est à la fois prison de condamnés, résidence du pacha et caserne ; par ses portes grandes ouvertes, c’est une enfilade de cours où se hâtent des soldats et rôdent des officiers, des parades de généraux, des piaffements de chevaux de selle et des baisements de main de subalternes ; sous la porte de la ville défilent des bataillons de corvée, des patrouilles en armes, des cachas[3] des promeneurs et des convois de chameaux : c’est le centre du mouvement de Tripoli.
[3] Petites voitures à deux roues, attelées d’un seul cheval, rappelant les coricolos de Naples. Le cocher conduit, assis de côté sur le brancard de gauche ; voiture très rapide, mais terriblement secouante, les seules qu’on ait à Tripoli.
En dehors, une fois les sentinelles dépassées, c’est le redoublement de fièvre et d’activité de trois grands marchés arabes installés là sous les remparts, un marché au pain, un marché aux légumes et un autre d’herbes sèches pour les bêtes de somme ; un rassemblement, gestes et cris forcenés de plus de deux mille indigènes (étonnante, la vie de Tripoli). C’est là que vient s’approvisionner toute l’oasis ; c’est là aussi la place des voitures des cachas peinturlurées et garnies de rideaux écarlates ; là, la fontaine sculptée où les soldats-chameliers viennent emplir les vieux bidons à pétrole qui leur servent à porter l’eau ; là, les oisifs et les promeneurs attirés par la mer et les cafés maures qui abondent dans ces parages ; plus loin, ce sont des souks, souks de selliers et de brodeurs installés dans quatre grands bâtiments à arcades ; puis encore des casernes (la Tripolitaine a une garnison de douze mille Turcs), des villas d’officiers, et puis les hautes tiges souples des palmiers, les fraîcheurs vertes de l’oasis dans un poudroiement lumineux, qui est le reflet du désert.
Et cela sent les épices, le safran, le pain chaud, la mandarine, la laine et la sueur ; le vent du large remue toutes ces odeurs ; c’est un tumulte de Babel, querelles de marchands, claquements de fouets, cris de chameliers et jurons arabes, et que de nègres dans la foule ! nègres de Fezzan, nègres du Soudan et nègres d’autres pays encore. Le palais du pacha avance hardiment dans la mer sa silhouette de forteresse ; de larges fenêtres garnies de treillages verts y dénoncent l’appartement des femmes, des odalisques y guettent peut-être notre promenade ; cet endroit de Tripoli n’a pas son pareil au monde ; on y sent battre la vie de tout un peuple, et l’heure y est délicieuse.
Plus délicieuse encore, parce que plus neuve et jamais avant ressentie, notre impression du lendemain dans l’oasis, et pourtant j’ai passé près d’un mois à Biskra, je connais El-Kantara et des descriptions d’enthousiastes m’ont fait vivre les splendeurs de Gabès.
C’est surtout aujourd’hui que le consul a tenu à nous faire accompagner d’un kawas ; il y a soixante-dix mille Arabes dans l’oasis que nous allons parcourir ; parcourir, non, traverser, car elles n’ont pas moins de douze lieues, les cultures de palmiers, d’orangers et d’amandiers en fleurs vers lesquelles nous emporte, au grand trot, une cacha choisie par le nègre consulaire.
Comme la veille, grand effarement par les rues ; on s’attroupe encore sur notre passage, et le kawas nous est, en effet, nécessaire pour écarter les curieux ; sous la porte, les sentinelles nous ont porté les armes, tous les honneurs. Les souks sont déjà loin, et maintenant, nous filons dans une route encaissée entre deux talus plantés de cactus et de palmiers, on dirait, d’argile rose, droits comme des murs, où la végétation d’Afrique s’adoucit des nuances les plus tendres ; et, derrière ces talus, ce sont d’autres talus encore, d’autres murs rosâtres où se balancent des palmes, où bruissent des feuilles argentées d’oliviers. C’est à l’infini, aussi loin que la vue peut s’étendre, des parallélogrammes de terre et d’arbres fruitiers, et toujours des palmiers bordent chaque enclos, tels, en Normandie, des hêtres les fermes ; et ce sont, en effet, des vergers, vergers d’amandiers, neige de pétales, plants d’orangers, illuminations d’énormes pommes d’or, bosquets de citronniers… Oh ! la chute des citrons mûris dans l’orge, l’orge tendre en pelouses dans toute l’oasis ! Puis, voici la pâleur des figuiers, et, crispés, tordus, convulsés et menaçant le ciel d’une sève de colère, l’obscénité des très vieux arbres, ce cauchemar d’écorce et de branchages, tout un champ d’oliviers… et la route tourne et fuit entre des verdures, des fruits et des racines, des racines énormes traînant en nœuds de serpents dans le sable des talus. Partout ce sont des fondrières ; la pluie de la veille en a fait des lacs, l’eau monte jusqu’à mi-essieux ; c’est la sensation d’une promenade dans un parc, un lendemain d’orage…
Cette bienfaisante pluie, elle a lavé le ciel et verni l’oasis, et c’est un parc de féerie avec des koubas blanches semées de place en place, des vieux murs arabes veloutés de mousse, toute une magie de frondaisons, de jeunes verdures et de fraîcheur, et cela au bord du désert, sur les frissons nacrés du plus invraisemblable ciel.
Le consul a bien choisi son jour en nous envoyant aujourd’hui faire cette promenade, car toute l’oasis est en fête, en fête comme la nature, et en fête comme le ciel. Une extraordinaire animation y règne ; à tous les dix pas, nous croisons des Arabes et des chameaux chargés de sacs, et des ânons porteurs de couffes… Oh ! les groupes bibliques de tous ces indigènes ! Ils sont presque nus en Tripolitaine, ceux des campagnes surtout, pâtres et laboureurs vêtus d’une seule chemise ou drapés à l’antique, non plus du burnous, mais d’une grande pièce de laine, la baraca, comment ils l’appellent ici… Long suaire d’un blanc fauve, elle peuple l’oasis d’une foule d’Eliézer et de jeunes Jacob qui, isolés ou par groupes, se rendent comme nous au marché.
Souk-el-Djama, le marché du vendredi ; il se tient à deux lieues de la ville, en pleine oasis, dans un bois de palmiers, à l’entrée du village d’Hamrouss, et ce village a une renommée.
Ce sont ses maisons et ses marchands que pillèrent en décembre dernier les Arabes du désert, lors de la révolte indigène contre l’autorité turque. La Tripolitaine ne voulut pas reconnaître le gouverneur arabe imposé par le sultan ; la question se compliquait de l’enrôlement des indigènes parmi les troupes turques, fait alors sans précédent ; toute l’oasis et tout le désert s’y refusèrent, et, pour forcer leur soumission, le pacha ne trouva rien de mieux que de nommer un gouverneur arabe de son choix… Le pillage d’Hamrouss fut la réponse du Sahel à la Sublime-Porte ; la garnison de la ville, immédiatement dépêchée sur les lieux, trouvait Hamrouss saccagé et vide ; tous les révoltés avaient disparu… Aussi le consul a-t-il jugé prudent de nous faire escorter aujourd’hui de deux kawas, et, à cette garde d’honneur, le pacha, informé de notre excursion, a joint un de ses filiss (agent de police à cheval) ; nous l’avons trouvé à l’entrée de l’oasis, et, depuis les premiers palmiers, il chevauche à notre droite, dans le voltigement blanc de son haïck.
Le danger des descriptions de voyage en pays d’Islam, c’est l’apparente monotonie des décors et des foules à travers cependant une étonnante variété… Ce marché d’Hamrouss est le plus curieux spectacle que j’aie peut-être jamais vu en Afrique : il y a là quatre à cinq mille Arabes parqués, campés dans la clairière d’une forêt de palmiers, et des cris, des gestes courroucés, des appels, des marchandages presque tragiques, et, à côté de cette fièvre, toutes les attitudes d’indolence et d’impassibilité où le fatalisme arabe se vautre et se contourne ; là-dessus brillent un ciel d’un bleu de pervenche, d’un bleu de regard d’enfant, un ciel comme rajeuni, une végétation de féerie luisante encore des dernières pluies, de la fraîcheur et du soleil. La foule y est drapée comme celle des théâtres antiques, longs suaires de laine fauve sur des nudités bronzées ; et il y a des nègres dans tous les groupes, des nègres et des nègres encore ; et, pour rendre ce spectacle inoubliable, je ne puis évoquer que la comparaison des trois marchés de la porte de Tripoli, réunis en un seul au milieu d’une forêt… mais un marché pourtant qui s’augmente ici de bétail à vendre. Ce sont des chameaux, puis des bourricots, des chèvres, des chiens et des moutons. Voici, dans des cages en roseaux, des poulets et des pigeons ; un figuier centenaire porte, suspendus à ses branches, des corps fraîchement dépouillés de chevreaux et d’agneaux au cou saignant, et, dans l’herbe rase, toutes les céréales et tous les fruits aussi sur des nattes et dans des couffes. Les nomades auraient de quoi piller aujourd’hui, et pourtant, un des kawas nous en informe, le marché est plus animé de coutume ; aujourd’hui, il n’y a que des pauvres et des marchands, c’est Rhamadan, et le riche demeure chez lui et dans la mosquée.
Il ne nous en enchante et captive pas moins, ce marché soi-disant de pauvres, mais nous ne pouvons en faire que deux fois le tour.
Nos costumes européens ont soulevé une émeute, nous marchons bousculés, serrés même d’un peu près par une foule inquiète, je dirais inquiétante si nous n’avions, pour la tenir en respect, les kawas consulaires et l’agent du pacha… Oh ! que de rictus de fauves et que de regards luisants ! Sur un signe du filiss, notre cocher réattelle vivement sa cacha et nous quittons Hamrouss et sa foule turbulente. Les sentiers recommencent ombreux, encaissés de talus ; pétales de fleurs, troncs convulsés, oranges et citrons ; pourtant, le passant s’y fait rare ; les kawas nous emmènent déjeuner à l’entrée du désert, dans le jardin d’une villa, la villa de l’ancien pacha de Tripoli, que le gouverneur de la ville veut bien mettre à notre disposition.
… Et, entre les tiges des palmiers qui s’espacent, plus de ciel se découvre, ce ciel toujours invraisemblablement bleu et transparent, d’un bleu de saphir pâle, d’un bleu d’iris rare, d’un bleu de nacre bleue où semble sourire l’enfance du monde, et, entre ce ciel et les derniers talus d’un verger d’amandiers, de longues ondulations de sable jaune apparaissent. Ce sont des terrains ravinés comme des vagues, un moutonnement d’ocre et de safran emplit tout l’horizon. C’est le Sahel, le Sahel qui commence, c’est l’infini, c’est le désert !
Étrange mer de sable, mer figée et l’on dirait remuante, dont les premières lames au bord de l’oasis sont d’un jaune plus pâle, comme une écume de sable, tandis que, au loin, ces vagues tumultueuses, devenues des montagnes, sont d’un rouge de vermillon.
— Alzine-Krani, me baragouine un des kawas en me désignant un grand arbre isolé, ici on coupait la tête aux voyageurs. Le brigand, il montait dans les branches, il regardait venir la caravane, avertissait les autres, et Krani, le cou, il coupait le cou aux passants, mais tous tués, aie pas peur, oasis, plus brigands.
Un bruit aigre de flûte arabe. Ce sont, couchés dans le sable, deux nègres à demi nus qui somnolent et rêvent au soleil. L’un tourmente une flûte de roseau, l’autre écoute, il est midi ; oh ! la mélancolie accablée, la torpeur engourdie de ce petit chant aigu et monotone comme un chant de cigale dans l’aridité du Sahel !
Oh ! la magie de la lumière. Il n’y avait là que deux pauvres nègres en haillons et du sable, et toute la Grèce, et toute la Bible, et toute l’Asie, et tout l’Orient et ses légendes ont soudain revécu et resplendi pour nous dans cette petite chanson de l’ennui et du soleil.