← Retour

Heures d'Afrique

16px
100%

COMMENT ELLES VOYAGENT

MADAME BARINGHEL CHEZ LES TEURS

Je fus prise par un corsaire
Et fus vendue au grand Seigneur,
Mais je lui tins toujours rigueur
Et tirai mon honneur d’affaire.

(Lettres à Émilie Dumoustier.)

A Madame la comtesse des Ipnauzes,
rue du Cirque, Paris.

Ce 28 février 1898.

A Tripoli, nous sommes à Tripoli, ma chère, et j’en suis déjà revenue. Quelle désillusion ! D’ailleurs, tout ce voyage dans le sud tunisien est la duperie la plus affreuse ; d’Héloé m’a mystifiée et jamais je ne lui pardonnerai de m’avoir traînée ici, dans la boue et sous la pluie, à des sept cents lieues de Paris, le soir de la première de Catherine ou de Paméla, marchande de frivolités.

Paméla ! Il me semble que j’aurais adoré cette pièce ! mais qu’est-ce que Réjane va faire de son ventre dans les robes fourreau du Directoire ? Elle bedonnait déjà pas mal en décembre, dans la reprise de Sapho, et, depuis, cela a dû croître et embellir… Mais nous sommes loin de Tripoli.

Tripoli, c’est encore une invention de poète, une machine de théâtre, car, sans la Princesse lointaine, les vers de Rostand et les costumes de Sarah je n’y serais jamais venue ; ah ! cette Sarah est bien coupable… Avez-vous vu d’Annunzio ? Voilà ce que Suzanne d’Héfleurons m’en écrit : elle a dîné tout près de lui, chez cette grosse Aufrelon de Berville, car il a bien fallu que notre couveuse artificielle découvrît notre galantuomo à la veille du grand succès que d’Héloé, d’avance, prédit devoir être un four ; mais revenons à Suzanne. Voici ce qu’elle m’écrit de l’Enfant de volupté : « Il est mal, mal, fausse élégance, gestes étriqués, tout petit, un calicot ! mais il paraît que je n’y entends rien et qu’il dégage le même charme que Pranzini, disent ceux ou celles qui prétendent s’y connaître. » Dire que j’aurai manqué cet homme au charme mystérieux ! mais je manque tout cette année, même cette lettre qui doit être d’un décousu… mais j’ai la tête rompue par le vacarme effroyable que l’on fait ici toute la nuit : c’est un sabbat. C’est Rhamadan, et, sous prétexte qu’ils jeûnent toute la journée, oui, toute la journée sans boire, sans fumer, sans manger et le reste (que deviendrait ici ce pauvre Chasteley qui, paraît-il, ne s’anime qu’après le déjeuner avec la digestion entre deux et quatre heures, comme feu Meilhac ?), oui, sous ce prétexte, ils se gavent dès cinq heures du soir de nourritures immondes en tapant sur des derboukas, des peaux d’onagres et des tambours de bronze, un badaboum à faire danser Polaire, une vraie musique de nègres, car Tripoli est avant tout la ville des noirs. Jamais je n’en ai tant vu, on en a mis partout.

C’est ici que Toché aurait dû vivre, le pauvre ! J’en ai un comme femme de chambre ; c’est un autre qui nous cuisine les terribles olla podridas qui nous sustentent. Notre hôtel, l’hôtel Minerva ! (quelle auberge !) est rempli de ces bois d’ébène ; ils courent, jambes nues, drapés dans des foutas, le long des balustrades du petit patio qui est assez joli, cela je l’avoue, mais malgré leurs grosses faces camuses et leurs dents blanches, ils sont d’une pudeur extraordinaire. Hassan, qui est le camérier attaché à ma personne, ose à peine pénétrer dans ma chambre ; il reste sur le seuil en roulant des gros yeux timides, et sans sa peau si noire, je le verrais rougir… et comme si ce n’était pas déjà trop, M. d’Héloé, invoquant je ne sais quel danger, a trouvé le moyen de nous faire escorter par un des kawas noirs du consul.

Nous ne sortons plus que flanqués de ce nègre consulaire ; les populations impressionnées se prosternent sur notre passage, mais le pittoresque en souffre.

A tous ces respects de la foule, j’aurais préféré quelque audace ; M. d’Héloé parle de dangers, mais c’est justement ce qui m’affole, le danger n’existe pas. C’est un mythe, une invention des romanciers de voyages pour exciter les curiosités et se faire valoir ; mais des dangers, je ne demande que ça, mais où sont-ils ? On s’embarque sur des mers lointaines, on entreprend traversées sur traversées, on parcourt le désert en diligence avec, autour de soi, les souvenirs tragiques de la mission Flatters et du marquis de Morès, on rêve pirates, brigands et Touaregs et l’on attrape le mal de mer et des puces ; voilà le bilan de mon voyage, ma chère ; toutes les transes, toutes les fatigues et rien n’arrive, rien.

A Tunis, où nous sommes restés dix jours sous la pluie, princesse infortunée égarée dans des marécages sans issue, comme dirait Mæterlinck, la nuée des Maures entreprenants, qui tourbillonnaient tout le jour autour de nous dans les souks, n’en voulaient qu’à ma bourse. Leurs assiduités ont cessé contre un chèque sur le Crédit Lyonnais… oui, quinze cents francs de tapis ; je suis sûre qu’ils vont me paraître hideux à Paris.

A Sousse, ville barbaresque où nous tombions le soir du Rhamadan, le premier soir, et dans quelle ville en fête ! il n’y avait pas de Karagheuss, mais j’ai vu des mosaïques, des mosaïques après celle du Bardo ! M. d’Héloé est fou d’un de ces débris, trouvaille du 4e tirailleurs, le régiment Picquart-Esterhazy, car on ne peut faire un pas, même en Tunisie, sans marcher dans cette affaire… Il est vrai que cette mosaïque représente l’Enlèvement de Ganymède. A propos, je sais pourquoi voyage lord Fingal ! Savez-vous ce que va faire ce jeune lord en Égypte ? Des fouilles, chers amis, des fouilles sur l’emplacement d’Antinoë. Antinoë, la ville funéraire qu’Adrien éleva autour du cercueil adoré et que l’on retrouvera, lord Fingal en est persuadé ; M. Guimet est, lui aussi, hanté de cette idée… Lord Fingal à Antinoë, comme ça lui ressemble !

Les siècles écroulés ont gardé ta mémoire,
Éphèbe, et sous ton front ombragé de lotus
Ton corps pétri de fange et d’immortelle gloire
Fait rêver dans la nuit tes frères inconnus !

Pardonnez-moi cette petite citation, elle m’a paru de circonstance. Mais continuons l’odyssée de mes déceptions.

De Sousse à Sfax, quatorze heures de diligence, en pleine nuit, dans la brousse ; paysage funèbre, diligence-fantôme, le courrier de Lyon dans le désert, conducteurs de mauvaise mine armés jusqu’aux dents, des gens on aurait dit prêts à tout ; eh bien ! rien, rien que la monotonie des cinq relais. Il est vrai qu’au premier j’ai cru qu’on nous arrêtait, et j’ai eu au cœur un sursaut délicieux ; ah ! ce moment-là a eu bien du charme ; mais au second relai, ce n’était déjà plus ça ; on se fait à tout.

A Sfax, j’ai dormi dans une chambre ignoble, une chambre sans fenêtre ou presque, ouvrant sur une affreuse petite cour ; de là, ni les cris, ni les plaintes n’auraient pu s’entendre : la Chambre murée, d’Octave Mirbeau ; et ma femme de chambre couchait au troisième, et d’Héloé était logé hors de l’hôtel, comme toujours ; c’était terrible. Eh bien, jamais je n’ai dormi si tranquille.

De Sfax à Tripoli, nous étions à bord d’un touache, l’entrepont bondé d’Arabes, de disciplinaires, ces bandits de l’armée, et d’aventuriers de toutes sortes. J’étais la seule femme à bord, le point de mire de tous les yeux, de toutes les convoitises, la proie indiquée de toutes les fantaisies. A minuit, un craquement sinistre, des pas précipités et des cris : une nuée de fantômes avait envahi le Tell : des chaloupes nous entouraient ; irruption d’Arabes, puis de Siciliens robustes. Un naufrage ou des pirates ? Non, des portefaix de Gabès, venus pour décharger des marchandises ; toutes les désillusions enfin, toutes, jusqu’à ce Tripoli boueux et sordide, Tripoli noyé de pluie, Tripoli où des mains brutales, me hissant hors de la chaloupe, m’ont fait trébucher dans la boue, Tripoli où, comme une ancienne captive, j’ai abordé sur les genoux, Tripoli où j’ai visité les antiques prisons des esclaves chrétiennes, escortée d’un kawas consulaire. D’ailleurs, ma chère, ces prisons sont devenues maintenant des écoles de sœurs.

Il n’y a plus d’Orient, il n’y plus d’Arabes : il y a bien le décor, mais on en voit la toile usée jusqu’à la corde, et, sans le soleil de là-bas, il vaudrait ceux de l’Odéon, le décor de Tripoli de Barbarie. De l’Odéon, c’est tout vous dire. C’était bien mieux à la Renaissance.

Enfin, ma chère, jugez à quel point tout ici est surfait, exagéré et recrépi. Il y a un Pacha à Tripoli, car la ville est turque (turque, quelle saveur de fruit exotique ce mot turc vous a dans la bouche !) ; entre nous, leurs soldats sont fort beaux, mais si déguenillés. Il y en a qui portent un mouchoir déployé sur leur ventre par décence, oui, par décence, tant ils sont à loques et à trous. Donc, il y a un Pacha et je me faisais une fête de le voir, quand j’apprends que ce musulman est vieux et, de plus, monogame, monogame ! un Turc !

Il faut venir à Tripoli pour panteler sur une désillusion pareille, avoir rêvé d’un pacha à trois queues et tomber sur un vieux monolythe… Ne venez jamais en Tripoli.

Et d’Héloé, me direz-vous ? d’Héloé me rend malade, d’Héloé ne cesse pas de délirer sur le type indigène, la couleur des costumes, le miroitement des sables, le mystère des rues et la silhouette des palmiers ; c’est une fontaine d’enthousiasme. Il pâme sous le soleil, il pâme sous la pluie ; la forme des cruches l’enivre, les pieds nus des Arabes l’enchantent, c’est le dithyrambe fait homme ; ce qu’il m’énerve ! Je ne sais vraiment où il puise cette faculté d’enthousiasme, mais je lui soupçonne des sources ignorées, car, tous les soirs, il me plante là pour courir les cafés et les bains maures et autres endroits occultes où sa pudeur lui interdit de m’emmener… la pudeur de d’Héloé ! Et moi, je me morfonds à l’hôtel entre Maria et Harry pendant que Monsieur va cueillir, je ne sais où, des documents de mauvaises mœurs ; vous voyez que c’est gai ! Oh ! ce voyage. On ne m’y reprendra plus.

Encore, en Tunisie, à la rigueur cela pouvait se comprendre à cause des officiers et des autorités françaises, une Parisienne dans les cafés maures, on aurait pu en jaser ; mais en Tripoli, je vous demande un peu, chez les Turcs ! Ainsi, Chasteley, vous vous en souvenez, Chasteley qui nous a tant poussés à ce voyage, nous avait parlé de cafés maures en dehors de la ville, presque aux portes, où, les soirs de Rhamadan, de jeunes Arabes beaux comme des dieux dansaient et tournoyaient, une fleur à l’oreille, jusqu’à l’évanouissement, l’épuisement suprême pour venir tomber, à moitié morts, alanguis sur les genoux des spectateurs, et je me faisais une fête de ce spectacle bien oriental. Eh bien, M. d’Héloé a déclaré que ça n’existait plus, que je ne sais quel arrêt du gouvernement ou de la police turque… enfin, des histoires ! Ce qui ne l’empêche pas de filer tous les soirs avec un nommé Isaac, ex-légionnaire et médaillé du Tonkin, qui ne me dit rien qui vaille, et de ne rentrer qu’à minuit… et notez que cet Isaac est juif et que d’Héloé est un farouche antisémite, un chauvinard féroce, qu’il réclame les ghettos pour les barons Moïse et qu’il emploie ce juif, mieux il ne le quitte pas ; les Juifs ce sont les seuls, dit-il, qui sachent se tirer de certaines besognes.

Oh ! ce que j’enrage ! Enfin, le comble !

Ici, c’est Rhamadan et Karagheuss tous les soirs y sévit, et quel Karagheuss ! celui de Constantinople, le plus terrible de tous. Il y a même trois et quatre Karagheuss dans le quartier des casernes, et d’Héloé devait m’y conduire ; c’était chose convenue, arrêtée entre nous. Eh bien ! le lendemain de notre arrivée, sa tournée d’inspection faite, d’Héloé m’a déclaré qu’il ne pouvait me conduire là, que l’indécence était effroyable et que, pour les Arabes et les Turcs de l’assistance, la présence d’une femme était inadmissible… Pour des Turcs, voyez-vous cela ! que ma venue y ferait scandale et que pour le consulat, dont on nous savait les amis, vis-à-vis même des représentants des puissances (oui, ma chère, des puissances, il a dit le mot), il était convenable qu’on ne me vît pas là. Oui, ma chère, il a osé invoquer cela, les consulats d’Allemagne et d’Italie, la Triplice, quoi ! bon, et j’allais oublier le consul d’Angleterre ; bref, il s’est absolument refusé à me mener à Karagheuss.

Voyagez donc avec un homme du monde ! mais j’aimerais mieux cent fois être seule… Ah ! ce d’Héloé, comme je l’étranglerais si je n’avais besoin de lui… mais patience, j’ai mon projet, j’ai cru remarquer un froid entre lui et son Isaac, il a dû se passer quelque chose, car c’est tout juste s’il ne l’a pas congédié. Ce juif capable de tout est tout à fait l’homme qu’il me faut pour l’expédition que je médite ; si je réussis, je vous l’écrirai.

Votre amie,

Marie-Anne.

P. S. — Ce d’Héloé ! Grâce à lui, à Sfax, j’ai failli manger de la pieuvre frite, oui, ma chère, de la pieuvre, quelle horreur ! Les Arabes en sont très friands, mais il est vrai qu’en revanche on nous sert ici des fenouils absolument délicieux, et, à Tunis, j’ai fait connaissance avec les asperges indigènes, un étrange légume tout mince et tout flexible, l’air de pousse de houblon, mais d’une ravigotante amertume, une saveur bien spéciale presque apéritive ; il y a donc des compensations.


A Monsieur le comte Albert de Chasteley,
rue de la Pompe, Passy.

Ce 11 février.

Mon cher ami,

Vous n’aviez pas menti, mieux, vous n’avez pas exagéré ; Tripoli est une merveille, merci. Je n’y ai pas vu danser, les yeux mouillés de kohl et tirés sur les tempes, les danseurs arabes que vous m’aviez prédits, la police turque est intervenue entre votre départ et notre arrivée ; mais l’oasis est une féerie, la ville une imagination des Mille et une Nuits, et, malgré sa saleté et même malgré la pluie que nous avons trouvée au débarqué, j’aime et j’adore Tripoli, j’aime ses soldats en haillons, j’aime ses dames turques à peine voilées, j’aime ses convois de chameaux et ses nomades du désert ; le consul nous a fait un accueil charmant et tout se passerait à souhait sans Mme Baringhel.

Je ne sais ce qui lui est arrivé, mais je ne reconnais plus notre bonne amie. Il faut que l’Orient lui ait tourné la tête ou que Barbouchi, dans les souks, lui ait servi quelque café maléficié… Elle n’a plus le sens moral.

A quoi donc s’attendait-elle en venant en Tunisie ? Je n’ose même pas le soupçonner. Elle ne rêve que brigands, arrestations à main armées, abordages et pirates ; elle est trépidante, énervante, énervée et dans la surexcitation fébrile d’une femme à qui rien n’arrive, et qui s’attend à tout.

Oh ! l’imagination des femmes, plus rapide encore que celle de l’Arabe qu’on dit être galopante ! Je crois, parole d’honneur, que notre pauvre amie avait rêvé d’un enlèvement au sérail ; je lui savais, certes, de la curiosité, mais pas celle-là. C’est tout juste si j’ai pu l’empêcher de venir aux bains maures et aux heures des hommes, car aux heures des femmes, je ne connais pas de jour où elle y ait manqué… Déjà, à Tunis, où son passage avait quelque peu remué l’opinion il y a quatre ans, elle a été bien étourdie dans les souks, et de la Résidence on m’avait officieusement prévenu d’éviter de la conduire dans les cafés maures… Les indigènes nous méprisent déjà tant à cause de la liberté de nos femmes et de l’abomination de leur visage non voilé. Vous savez comme moi qu’ils les considèrent comme des chiennes et les tiennent juste dans la piètre estime que nous avons, nous, des pierreuses : mais allez donc convaincre de ces vérités un cerveau de Parisienne férue de l’Orient comme d’un conte de fée ! Jusqu’à Sfax, Mme Baringhel a pris son mal en patience, en ma patience, surtout, mais, à Tripoli !… A Tripoli, elle s’est cru tout permis, vos récits l’avaient montée. A Tripoli, où justement l’Européen est tout ce qu’il y a de plus surveillé, Tripoli où chaque consulat est presque responsable des faits et gestes de ses nationaux, ne s’était-elle pas mis en tête d’aller voir Karagheuss… le Karagheuss de Tripoli, ce formidable bretteur qui passe au fil de l’épée le mufti, les passants, le juif, sa femme, les chameaux et son père ! Et devant quelle assistance ? Vous pensez si je m’y suis refusé.

Eh bien ! elle a trouvé le moyen d’y aller (oui, mon cher, elle a soudoyé un misérable, mais vous le connaissez, Isaac, votre Isaac, votre guide recommandé. Comment avez-vous pu m’indiquer cette ignoble fripouille ? il ne paie pas de mine d’ailleurs, et, sans votre lettre… au bout de deux jours il était chassé… une familiarité !) donc, elle a circonvenu, avec quelle facilité, cet immonde Isaac, et, profitant de ce que j’étais sorti, par un certain respect humain pourtant elle s’est déguisée en homme et, revêtant mon grand pardessus de voyage, une de mes casquettes sur la tête, elle est partie en guerre avec l’ex-légionnaire et est allée à Karagheuss, puisque Karagheuss était son idée.

Que s’est-il passé ? Toujours est-il que son stratagème a été découvert, son identité reconnue, que sa présence au Karagheuss a fait scandale, que son déguisement, loin d’atténuer les choses, les a extraordinairement aggravées ; qu’on lui a prêté le désir des pires aventures, des plus étranges curiosités. Elle m’est revenue à l’hôtel à dix heures, huée et escortée par une foule furieuse ! Ces Turcs, ils semblaient tous hors d’eux d’avoir été trompés. Il faut dire aussi, qu’ainsi costumée notre bonne amie était tout à fait charmante, toute une révélation ; Mme Baringhel porte le travesti à ravir, Lavallière-Mallet ! Bref, je sors de chez le consul qui m’a fait appeler ; nous sommes la fable de la ville, et nous partons à trois heures, abreuvés de toutes les hontes. Heureusement que notre amie avait attendu la veille de notre départ pour mettre à exécution son projet. Ah ! cet Isaac, si je le tenais ! Du reste, mon cher, vous êtes l’imprudence même, d’une inconséquence, d’une légèreté ! Qu’est-ce que ce spahi de Gabès qui doit entrer dans vos écuries à l’expiration de son congé ? Jugez vous-même. En rade de Gabès, pendant la traversée, je descends à terre, un télégramme à envoyer… l’unique rue que vous savez, des sables, des palmiers et des Italiens pour me renseigner ; j’avise un grand spahi indigène, celui-là saura au moins deux mots de français, me dis-je ; je l’aborde donc et lui demande la poste ; alors, mon Arabe avec un large sourire : « Oh ! moi, parler français, moi être allé à Paris, toi Parisien, la poste, il est là ; viens, moi t’y conduire, moi avoir des amis là-bas, moi connaître un Parisien, un comte, moi aller chez lui à Paris dans ton pays, fini congé, M. Albert de Chasteley, moi entrer chez lui comme coucher. » J’ai compris cocher, mais avouez que c’est déplorable.

Je vous pardonne quand même les ennuis que je vous dois, car le pays est vraiment beau, mais, dorénavant, soyez prudent.

Sans rancune, votre

D’Héloé.

Pour copie conforme :

Jean Lorrain.

Chargement de la publicité...