Histoire de Marie-Antoinette, Volume 1 (of 2)
Popularité de la Dauphine.—Traits de bonté.—Le paysan d'Achères.—Incendie de l'Hôtel-Dieu.—Entrée du Dauphin et de la Dauphine à Paris.—Enthousiasme universel.—Lettre de Marie-Antoinette à sa mère.—Représentations à la Comédie-Française et à la Comédie-Italienne.—Le comte de Provence et le comte d'Artois.—Leurs mariages.—Leurs relations avec la Dauphine.—Amusements des jeunes ménages.—La comédie dans les appartements intérieurs.—Intimité du Dauphin et de la Dauphine.—Le Dauphin devient moins timide, la Dauphine plus réfléchie.—Position solide de Marie-Antoinette à la Cour, au commencement de mai 1774.
Toutes ces tracasseries d'ailleurs ne nuisaient en rien à la popularité de la Dauphine. A part quelques courtisans dont elles intéressaient la fortune et quelques chroniqueurs dont elles alimentaient les gazettes, le public s'occupait peu de ces petites intrigues, resserrées dans les étroites limites des palais royaux. Il avait été comme ébloui de la fraîche et gracieuse apparition qui avait traversé la France, de Strasbourg à Versailles, comme un brillant et bienfaisant météore; il croyait toujours à son éclat et à sa bonté. «L'inclination naturelle des Français est d'aimer leurs princes,» écrivait, en 1753, le maréchal de Noailles [380]. Le peuple ne s'inquiétait guère d'un sourire échappé à cette enfant de quinze ans, à la vue de la tournure surannée de quelques vieilles douairières ou de quelques manquements à l'étiquette, qui scandalisaient Mme de Noailles. Le peuple aimait sa Dauphine, et il ne regardait qu'au frais épanouissement de son visage et à la tendresse de son cœur. Malheureusement, il en jouissait trop peu. De mesquines jalousies avaient fait ajourner l'entrée solennelle du jeune ménage dans sa bonne ville de Paris. Mais dans le lointain où était retenue Marie-Antoinette, le public la voyait toujours charmante, comme à l'heure de son arrivée, bonne et sensible, comme au jour où elle envoyait tout l'argent de sa cassette aux blessés de la place Louis XV. «Sa jeunesse, dit Montbarrey, sa figure, sa taille, séduisirent tous les cœurs et décidèrent l'enthousiasme [381].» Il semblait qu'on l'acclamât comme la fiancée de tout un peuple; elle était vraiment,—c'est un pamphlétaire non suspect qui l'a écrit,—«l'idole de la nation [382].» Cette France, qui ne savait que faire de son amour traditionnel pour ses princes, le donnait à plein cœur à la Dauphine. Elle était le phare lumineux vers lequel se portaient tous les regards, la source féconde d'où découlaient toutes les grâces. On ne comprenait même pas qu'une mesure populaire pût être prise, sans venir d'elle ou passer par elle.
«Mme la Dauphine se fait adorer ici, écrivait, à la fin de 1770, l'impartial Mercy, et l'opinion publique est tellement décidée à cet égard que, passé quelques jours et à l'occasion d'une diminution du prix du pain, le peuple de Paris disait hautement dans les rues et dans les marchés que sûrement c'était Mme la Dauphine qui avait sollicité et obtenu cette diminution en faveur des pauvres gens [383].»
Des traits charmants, échappés de son cœur comme de naturelles saillies, et colportés par les mille voix de la renommée, entretenaient et augmentaient l'enthousiasme populaire. On se disait que le duc de Duras, gentilhomme de la chambre, ayant proposé à la jeune princesse de donner des bals pendant le séjour de Fontainebleau, elle avait répondu que «cet arrangement lui agréerait beaucoup, mais que, comme il en résulterait une augmentation de dépenses, elle ne voulait pas qu'il fût dit qu'on trouvait de l'argent pour ses amusements, et qu'on n'en trouvait pas pour payer les appointements des gens de sa maison; qu'ainsi elle renonçait par cette raison aux divertissements qui lui étaient proposés [384].» On savait qu'elle avait usé de son influence en faveur de soldats trop sévèrement punis [385]. On racontait qu'un jour, à la chasse, l'animal, étant sur ses fins, s'était jeté à la rivière; les chasseurs se hâtaient, afin d'arriver à l'hallali; mais il fallait pour cela traverser un champ de blé. La Dauphine avait aussitôt ordonné de faire un détour, «aimant mieux, disait-elle, manquer ce spectacle que de se le procurer en faisant du tort aux cultivateurs qui sont toujours peu et mal dédommagés dans de semblables occasions [386].»
Une autre fois, à la chasse encore, en passant sur un pont, le postillon de son carrosse était tombé et si malheureusement que quatre des chevaux de l'attelage lui avaient passé sur le corps; on l'avait relevé sanglant et sans connaissance. La Dauphine s'arrêta immédiatement et voulut que le blessé fût pansé devant elle: «Mon ami, disait-elle à un page avec une vivacité toute spontanée, va chercher le chirurgien.»—«Cours vite pour un brancard, disait-elle à un autre; vois s'il parle, s'il est présent.» Et elle ne quitta la place que lorsqu'elle se fut assurée que le blessé serait bien soigné et porté bien doucement à Versailles, où elle le fit traiter par son premier chirurgien. La Cour et le public furent ravis et le propos général à Paris et à Versailles fut qu'en cette conjecture «Marie-Thérèse aurait bien reconnu sa fille, et Henri IV, son héritière [387]».
La jeune princesse avait pour ses gens des attentions charmantes et des délicatesses exquises. Un jour, le cheval de son écuyer la frappait au pied d'une ruade; elle surmontait sa douleur et continuait sa promenade, quoiqu'elle eût le pied fort enflé, pour épargner à cet homme le chagrin d'avoir été l'auteur involontaire de l'accident [388]. Un autre jour, le valet de service s'étant blessé en voulant approcher un meuble un peu lourd, elle se mettait à laver elle-même sa blessure et à lui faire des compresses avec son mouchoir [389]. Une autre fois encore, elle renonçait à des promenades à cheval, pour lesquelles on connaît sa passion, afin de permettre à son écuyer de retourner près de sa femme souffrante [390].
Et ce n'était pas seulement aux gens de son service qu'elle témoignait ces égards et cette sensibilité, c'était à tous les pauvres et à tous les malheureux. Un an après les incidents que nous venons de raconter, à Compiègne, un palefrenier de la comtesse de Provence, en traversant la ville, tombait de cheval et se blessait grièvement. La princesse passait froidement, sans plus s'inquiéter de l'accident; mais la Dauphine, qui suivait à une petite distance, fit arrêter sa voiture, donna des ordres pour que le blessé fût secouru, et ne s'éloigna pas avant que ses ordres n'eussent été exécutés. Le public ne manqua pas de comparer la conduite des deux belles-sœurs, et l'on devine que la comparaison ne fut pas à l'avantage de la comtesse de Provence [391].
Mais le fait le plus connu, celui qui fit le plus de sensation, fut ce qu'on appelle l'événement d'Achères [392]. C'était à Fontainebleau, à la chasse encore, le 16 octobre 1773. Le cerf aux abois, faisant tête, s'était réfugié dans un petit enclos du village d'Achères. Là, ne trouvant pas d'issue, rendu furieux par le désespoir, il s'était jeté sur un paysan qui cultivait l'enclos, et l'avait frappé de deux coups de ses bois, l'un à la cuisse, l'autre au corps. L'homme avait été renversé, mortellement blessé. Sa femme, folle de douleur, s'était précipitée vers les chasseurs et était tombée évanouie. Le Roi, après avoir ordonné qu'on prît soin d'elle, s'était éloigné. La Dauphine descendit de sa calèche, fit respirer des sels à cette malheureuse, et, après l'avoir tirée de son évanouissement, profondément émue elle-même, lui prodigua son argent, ses consolations et ses larmes. Elle la fit ensuite monter dans sa voiture, donna l'ordre qu'on la reconduisît chez elle, et ne regagna la chasse qu'après s'être assurée que les deux malades recevraient les soins nécessaires.
La Cour entière, entraînée par ce noble exemple, parti de si haut, voulut venir en aide aux infortunés. Le Dauphin vida sa bourse entre leurs mains, la comtesse de Provence en fit autant [393]. Les jours suivants, Marie-Antoinette ne manqua pas d'envoyer prendre des nouvelles du blessé dont l'état avait d'abord paru désespéré et qui guérit cependant, grâce aux soins que, sur l'ordre de la jeune princesse, lui donnèrent les chirurgiens de la Cour [394]. Le public, instruit de ces détails, et ravi des larmes d'attendrissement qu'il avait vu verser à la Dauphine, ne tarit pas en éloges sur son compte; il n'y avait pour elle qu'un cri d'admiration. A Fontainebleau, le peuple s'attroupait, partout où il pouvait espérer la rencontrer [395]. A Marly, à Versailles, on se portait sur son passage avec un empressement et des acclamations qui effarouchaient presque sa timidité. Les gazettes du temps étaient remplies de vers en son honneur, et une femme d'esprit, la princesse de Beauvau, disait ce mot, qui était trop dans le goût du jour, pour ne pas faire fureur: «Mme la Dauphine suivait la nature, et Mr le Dauphin suivait Mme la Dauphine [396].»
Nous pourrions multiplier ces exemples, qui surabondent dans les Mémoires contemporains et dans les rapports de Mercy [397]. Nous n'en citerons plus qu'un. Dans la nuit du 29 au 30 décembre 1772, un épouvantable incendie éclata à l'Hôtel-Dieu de Paris. Le feu, après avoir couvé dans les souterrains, se développa vers une heure du matin avec une telle violence que la lueur se voyait jusqu'aux extrémités de la ville. Malgré la promptitude des secours, malgré l'activité du corps des pompiers récemment organisé et le dévouement des travailleurs à la tête desquels étaient l'archevêque de Paris, Mgr de Beaumont, les principaux magistrats et les religieux de la cité, la plupart des bâtiments furent détruits; on évaluait la perte à deux millions. Dix malades furent brûlés; les autres furent transportés à la hâte à l'archevêché, à Notre-Dame et dans les églises; mais plusieurs de ceux qui étaient accourus pour porter secours périrent dans les flammes ou furent blessés.
Consterné par cet effroyable sinistre, l'archevêque de Paris fit un chaleureux appel à la charité publique et ordonna des quêtes. Dès que Marie-Antoinette en fut informée, elle s'empressa d'envoyer mille écus, et avec une modestie qui l'honore encore plus que sa compassion elle s'entoura des précautions les plus minutieuses pour que personne n'en sût rien, poussant même le mystère jusqu'à n'en rien dire à Mercy et à Vermond [398].
Malgré tout, le secret transpira et le public sut d'autant meilleur gré à la jeune princesse de cette généreuse charité que l'initiative venait d'elle-même et que personne, dans la famille royale, ne lui en avait donné l'exemple [399]. Mais ces compliments même embarrassaient sa pudeur, et elle ne savait comment s'y soustraire [400].
Aussi, lorsque, le 8 juin 1773, précédée de ces souvenirs et portant au front l'auréole de toutes ces espérances, Marie-Antoinette fit enfin son entrée dans la capitale, l'enthousiasme de la population parisienne fut indescriptible. Il était d'usage que cette cérémonie de l'entrée suivît de près, pour le Dauphin, la célébration du mariage [401]; mais la cabale qui redoutait la popularité de la jeune princesse et ne voulait pas la grandir par l'éclat d'un triomphe public avait réussi à éveiller l'ombrageuse susceptibilité du vieux monarque, qui, depuis longtemps, n'était plus habitué aux acclamations [402]. Docile aux inspirations de sa maîtresse et de son ministre, Louis XV s'était toujours opposé à ce que la cérémonie officielle eût lieu, et Marie-Antoinette n'avait jamais eu, malgré son ardent désir, la jouissance de voir Paris et de s'y faire voir; elle n'avait pas même pu, comme elle l'avait projeté un jour, en parcourir les boulevards [403]. Enfin, au mois de mai 1773, elle se décida à parler au Roi de son désir, et ce prince, qui ne savait rien refuser en face, lui répondit qu'il ne demandait pas mieux, et qu'elle était libre de choisir le jour qui lui conviendrait [404]. La date fut fixée au 8 juin; les préparatifs furent poussés avec vigueur, et la cérémonie fut magnifique. Depuis longtemps on n'avait rien vu de pareil. Le peuple de Paris avait soif de contempler cette jeune princesse, dont tous les échos de la renommée célébraient la grâce et les vertus, et qu'il ne connaissait pas encore.
A la porte de la Conférence, les deux époux furent reçus par M. le duc de Brissac, gouverneur de Paris, le lieutenant de police, M. de Sartines, le Corps de ville et le prévôt des marchands. Là, pendant qu'on leur présentait sur un plat d'argent les clefs de la bonne ville, les Dames de la halle leur offraient les prémices des marchés, des fleurs et des fruits. L'auguste couple prit place avec sa suite dans un carrosse de gala, et, traversant le quai des Tuileries, le Pont-Royal, le quai Conti, où le prévôt de de la Monnaie avait rangé sa compagnie à cheval, le Pont-Neuf, où le lieutenant criminel attendait au pied de la statue de Henri IV, avec les gardes de robe courte, le quai des Orfèvres, la rue Saint-Louis, passant devant l'Hôtel-Dieu, où la mère-prieure se tenait avec ses religieuses, il arrivait à Notre-Dame. Salués à la porte par l'archevêque et le chapitre, le Dauphin et la Dauphine allaient s'agenouiller dans le chœur et de là à la chapelle de la Sainte Vierge, où un chapelain du Roi célébrait une messe basse, pendant que la musique de la cathédrale exécutait un motet. Après la messe, ils visitaient le trésor, se rendaient ensuite à Sainte-Geneviève, faisaient le tour de la châsse de la Sainte, et revenaient enfin aux Tuileries. Au collège Louis-le-Grand, le recteur de l'Université, à la tête des quatre Facultés, les haranguait; au collège Montaigu, les étudiants leur récitaient des vers.
C'étaient là les cérémonies officielles, mais ce qui n'était pas dans le programme, c'était l'enthousiasme vraiment extraordinaire du public. Sur tout le parcours du cortège, la foule était si compacte qu'il était presque impossible à la voiture d'avancer. Partout des décorations, des arcs de triomphe, le pavé jonché de fleurs, partout des vivats frénétiques. La Dauphine avait un sourire pour chacun, un salut pour les personnes de distinction, un rayonnement pour tout ce peuple. «Il est impossible, écrivait Mercy, de se montrer avec plus de grâce, plus de charme et plus de présence d'esprit que n'en a marqué Mme l'Archiduchesse dans cette conjoncture [405].» Son sourire allait au cœur. Les mains applaudissaient, les mouchoirs s'agitaient, les chapeaux volaient en l'air, c'était une ivresse universelle. Avec sa bonté habituelle, la jeune princesse avait ordonné à sa garde de laisser tout le monde approcher; il semblait que, pour ce jour-là, la vieille étiquette avait été abolie. Aux Tuileries, les femmes de la halle dînaient dans la salle des Concerts; palais et jardin, tout était plein de monde. Lorsque la Dauphine parut au balcon, elle ne put s'empêcher de s'écrier, effrayée de ces vagues humaines: «Mon Dieu! que de monde!»—«Madame, répliqua galamment le duc de Brissac, n'en déplaise à M. le Dauphin, ce sont deux cent mille amoureux de votre personne.»
Mais le Dauphin n'était point jaloux: il était heureux. L'enthousiasme de cette foule, le charme de sa compagne avaient réagi sur lui, et, triomphant de sa timidité naturelle, il avait répondu avec aisance aux harangues qui lui avaient été adressées [406]. Son habituelle froideur s'était comme illuminée d'un reflet de la grâce de sa jeune femme, et le peuple, remarquant avec bonheur cette transformation inattendue, en faisait remonter l'honneur à la Dauphine: «Qu'elle est belle! Qu'elle est charmante!» répétait-on partout.
Après le dîner en public, les deux époux, au bras l'un de l'autre, descendirent dans le jardin des Tuileries et s'y promenèrent. Cinquante mille personnes étaient entassées dans les allées, sur les bancs, sur les balustrades, jusque sur les arbres. Les masses étaient si compactes que le couple royal resta près de trois quarts d'heure sans pouvoir ni avancer ni reculer; un moment même, il fut séparé de sa suite [407]. Mais cet empressement les ravissait tous deux; ils se sentaient en sûreté au milieu de ce peuple, jouissaient de son ivresse, écoutaient avec attendrissement les acclamations naïvement enthousiastes qui s'échappaient de toutes ces poitrines, et la seule recommandation que la Dauphine faisait à ses gardes, c'était de n'écarter personne et de laisser approcher autant qu'on le voudrait.
Lorsque, au retour de cette enivrante promenade, et avant de partir, les deux princes remontèrent au château pour contempler une dernière fois ce spectacle, et restèrent une demi-heure sur la terrasse, malgré les rayons d'un soleil ardent, saluant de la main, à droite et à gauche, la foule qui se pressait au pied des Tuileries, il n'y eût dans toute cette foule qu'un immense cri de joie et de ravissement. On a dit que la France avait eu pour Louis XV enfant des tendresses de mère et d'amante; il semble que, le 8 juin 1773, la capitale avait retrouvé pour Marie-Antoinette quelque chose de ces tendresses-là.
Quant à la Dauphine, elle avait peine à retenir les larmes de bonheur qui lui montaient aux yeux: «Ah! le bon peuple!» répétait-elle sans cesse [408].
«J'ai eu mardi dernier, écrivait-elle quelques jours plus tard à sa mère, une (fête) que je n'oublierai de ma vie: nous avons fait notre entrée à Paris. Pour les honneurs, nous avons reçu tous ceux qu'on a pu imaginer; tout cela, quoique fort bien, n'est pas ce qui m'a touché le plus; mais c'est la tendresse et l'empressement de ce pauvre peuple, qui, malgré les impôts dont il était accablé, était transporté de joie de nous voir. Lorsque nous avons été nous promener aux Tuileries, il y avait une si grande foule que nous avons été trois quarts d'heure sans pouvoir ni avancer ni reculer. M. le Dauphin et moi avons recommandé plusieurs fois aux gardes de ne frapper personne, ce qui a fait un très bon effet. Il y a eu si bon ordre dans cette journée que, malgré le monde énorme qui nous a suivis partout, il n'y a eu personne de blessé. Au retour de la promenade, nous sommes montés sur une terrasse découverte et y sommes restés une demi-heure. Je ne puis vous dire, ma chère maman, les transports de joie, d'affection qu'on nous a témoignés dans ce moment. Avant de nous retirer nous avons salué avec la main le peuple, ce qui a fait grand plaisir. Qu'on est heureux, dans notre état, de gagner l'amitié de tout un peuple à si bon marché! Il n'y a pourtant rien de plus précieux; je l'ai bien senti et ne l'oublierai jamais [409].»
Louis XV attendait à Versailles, avec une certaine impatience, le retour de ses petits-enfants: «Mes enfants, leur dit-il quand ils revinrent, j'étais presque inquiet. Vous devez être bien fatigués de votre journée.»—«C'est la plus douce de notre vie,» répondit la Dauphine [410], et, associant par une délicate flatterie le nom du Roi à celui de ses enfants dans les démonstrations populaires dont ils avaient été l'objet: «Il faut, dit-elle au vieux monarque, que Votre Majesté soit bien aimée des Parisiens, car ils nous ont bien fêtés [411].»
Ravie d'une réception si enthousiaste, la jeune princesse n'avait qu'un désir: revenir souvent dans une ville qui la saluait par de pareilles acclamations. Elle obtint du Roi la permission d'y retourner toutes les semaines au spectacle, d'abord dans un appareil tout royal, au son du canon de la Bastille et des Invalides, avec un grand déploiement de gardes françaises et suisses aux abords du théâtre et sur la scène même [412], bientôt avec la plus grande simplicité, en petite robe et avec une suite peu nombreuse [413]. Voyages d'apparat ou voyages intimes, le succès ne fut pas moins grand. «Il y aurait un volume, écrivait Mercy, de tous les propos attendrissants qui se tenaient, des remarques qui se faisaient sur la figure, sur les grâces, sur l'air d'affabilité et de bonté de Mme l'Archiduchesse [414].»
Un jour, le 23 juin, à la Comédie-Française, on donnait le Siège de Calais. Au troisième acte, au moment où Mlle Vestris prononça ces deux vers:
elle se tourna vers le Dauphin; la salle entière applaudit avec transport.
Un peu plus loin, quand on récita ce passage:
Ce furent le Dauphin et la Dauphine qui applaudirent à leur tour, et cette marque de sensibilité fut accueillie par de nouveaux transports de tendresse et de reconnaissance [415].
Un autre jour, à la Comédie-Italienne, on jouait le Déserteur. Le refrain d'un couplet amenait le cri de Vive le Roi! La Dauphine applaudit. On répéta le cri. L'acteur Clairval ajouta: «Et ses chers enfants!» Le parterre tout entier, ne faisant qu'un avec les acteurs, battit des mains, et la soirée se termina par le chant de cinq couplets improvisés en l'honneur du jeune ménage [416].
A chaque visite, à la foire Sainte-Ovide, au Salon de peinture [417], où le Dauphin s'arrêtait devant le tableau de Marchy, qui le représentait se promenant dans le jardin des Tuileries, au bras de son épouse [418], au jardin du maréchal de Biron [419], c'était le même enthousiasme, les mêmes acclamations, et lorsque la Cour partit pour Compiègne, ce ne fut pas sans regret que Marie-Antoinette s'éloigna de cette «bonne ville» de Paris [420].
Quelque peine qu'on prît pour éveiller sa jalousie, Louis XV jouissait du triomphe éclatant de ses petits-enfants [421]. Mesdames, il est vrai, en concevaient de l'humeur et la cabale redoublait de haine et de rage, mais elle s'épuisait en vains efforts. L'entrée du comte et de la comtesse de Provence, à laquelle on avait voulu donner une splendeur royale, pour contrebalancer l'impression produite par celle du Dauphin, n'aboutissait qu'à un pitoyable échec [422]. Ce pompeux appareil laissait le public indifférent; le comte et la comtesse de Provence étaient complètement éclipsés par la Dauphine; c'était d'elle seule qu'on parlait, c'était elle seule qu'on voulait voir [423].
On conçoit qu'entourée de ce brillant cortège de sympathies populaires, la Dauphine n'avait pas grand'chose à redouter des brigues de palais et des rivalités de Cour. Le comte de Provence, qui devait, quarante ans plus tard, inaugurer le régime constitutionnel en France et panser d'une main si sage les blessures faites au pays par la Révolution et l'Empire, n'annonçait pas encore, à cette époque, les qualités qu'il déploya sur le trône. Plus jeune d'un an que le Dauphin, il avait montré, dès son enfance, une ambition précoce, un caractère réfléchi, mais suspect et porté à l'intrigue. Esprit fin et cultivé, ayant à la fois le goût des lettres et celui de la politique, très exalté par son entourage et habituellement aux dépens de son frère aîné [424], il dissimulait mal son dépit de n'être qu'au second rang quand il se croyait appelé au premier. Avec de pareilles aspirations et de pareils froissements, il semblait un instrument tout préparé entre les mains de la cabale hostile à Marie-Antoinette. On avait cherché à l'opposer à son frère, surtout lorsque son mariage avec une princesse de Savoie eut assuré sa situation à la Cour: on affecta, à cette occasion, de lui constituer un état de maison égal à celui du Dauphin. Sa femme, sans esprit et sans grâce [425], avec un caractère italien [426], se prêtait volontiers à ces petits manèges ambitieux. A plusieurs reprises, Marie-Antoinette avait eu à se plaindre de l'attitude que le jeune couple avait prise vis-à-vis d'elle. Puis il y avait eu un revirement complet. Était-ce sentiment d'impuissance en face du crédit croissant de la Dauphine? Était-ce regret de s'être laissé entraîner par le duc de la Vauguyon? Était-ce simple changement de front dans un plan persévéramment ambitieux? Toujours est-il qu'après la mort de son gouverneur, le jeune prince chercha à se rapprocher de sa belle-sœur [427], lui faisant l'aveu de ses torts et les rejetant tous sur M. de la Vauguyon [428]. Bonne et sans rancune, Marie-Antoinette ne demandait qu'à oublier les tracasseries; les relations s'établirent promptement sur le pied de l'intimité. Chaque matin, le comte de Provence venait chez la Dauphine [429], lui apportant les nouvelles de la Cour, les chansons et les bons mots du jour [430]; il combinait avec elle des projets d'amusements [431], lui remettait même des plans de conduite [432], proposait de former bande à part à la Cour [433]. Toujours confiante et sans calcul, Marie-Antoinette se laissait aller au charme d'une amitié qui, grâce aux sages conseils de Mercy, n'offrait que de l'agrément sans inconvénient: le besoin de société, le désir d'échapper au despotisme de Mesdames, l'attrait d'une conversation spirituelle, la disposaient à cet abandon. Mais un jour les rapports qu'elle surprit entre son beau-frère et le duc d'Aiguillon lui montrèrent que tout n'était pas parfaitement sincère dans la conduite du jeune prince [434]. Dès lors elle se tint sur ses gardes; les visites du comte de Provence devinrent moins fréquentes et les relations, tout en restant bonnes, cessèrent d'être confiantes.
Le second frère du Dauphin, le comte d'Artois, n'avait pas des visées si hautes. D'une figure charmante, d'une taille bien prise, de manières vives et dégagées, habile à tous les exercices du corps, brave et galant comme un Bourbon, le seul prince élégant de la famille royale aux yeux des contemporains [435], il s'occupait moins d'affaires que de plaisirs; il ne voulait pas dominer, mais amuser et s'amuser. Son caractère était tout l'opposé de celui du comte de Provence. Autant l'un était froid et dissimulé, ne laissant rien au hasard, autant l'autre se montrait gai et ouvert, aimable et plein d'entrain, mais vaniteux et léger, inconsidéré dans ses propos, inconséquent dans sa conduite. Narguant les ministres, se moquant de l'opinion, n écoutant personne, il s'était attiré maintes fois le mécontentement et les remontrances de son frère aîné. La Dauphine affectait de ne pas le prendre au sérieux et de tourner en plaisanterie ce qu'il pouvait dire ou faire de «déraisonnable [436]». Cette conduite, tout en mortifiant le jeune prince, lui en imposait [437]; mais il était facile de prévoir que cette impression durerait peu et qu'un jour viendrait où la société de ce beau-frère, spirituel et agréable, mais étourdi, turbulent, «hardi à l'excès [438]», pourrait devenir un péril.
Quant à la comtesse d'Artois, disgraciée de la nature, petite, médiocrement prise dans sa taille, avec un nez très allongé, des yeux mal tournés, une bouche trop large, une physionomie irrégulière [439], non moins disgraciée du côté de l'esprit et des moyens, nulle et peu aimée de son mari, elle ne pouvait être pour Marie-Antoinette une rivale, quoique la cabale, un moment aidée par le ministre de Sardaigne, comte de la Marmora [440], eût essayé d'opposer les deux sœurs piémontaises à l'Archiduchesse autrichienne.
Mais Marie-Antoinette ne se montrait pas jalouse. Forte de sa supériorité et guidée par l'inspiration de son cœur, elle ne s'inquiétait pas de ces manœuvres qui ne pouvaient plus l'atteindre et ne songeait qu'à établir l'harmonie dans la famille royale. Elle réussit dans cette délicate entreprise [441]. Sans former un parti, comme l'avait demandé le comte de Provence, ce qui n'eût pas été sans danger, on formait une réunion des jeunes ménages. On organisait des divertissements en commun; on avait des bals, des soirées, des soupers en famille [442]; on allait ensemble aux bals de l'Opéra. On fit plus: on joua la comédie. Dans un cabinet de l'entresol de Versailles, où personne ne pénétrait, on dressa en cachette un théâtre, dont les diverses parties pouvaient se détacher et se renfermer dans une armoire. On résolut d'apprendre et de jouer les meilleures pièces du répertoire français. Les trois princesses, le comte de Provence et le comte d'Artois, faisaient les acteurs; M. Campan était le régisseur de cette petite troupe improvisée; le Dauphin formait l'Assemblée. Le comte de Provence savait imperturbablement ses rôles; le comte d'Artois les disait avec grâce, la Dauphine avec finesse; les autres princesses jouaient mal. De temps à autre on entendait le gros rire du Dauphin saluant l'entrée en scène des acteurs. Cela dura ainsi quelque temps; on s'amusait beaucoup: le mystère même dont s'entourait la royale troupe donnait plus de piquant encore et plus de saveur à ce fruit défendu. Malheureusement, un jour, M. Campan, déjà en costume, étant descendu pour aller chercher dans le cabinet de toilette un objet oublié, rencontra sur son passage un valet de garde-robe. Le secret était découvert, on eut peur qu'il fût trahi. Qu'aurait dit le Roi, qu'auraient dit Mesdames de ces amusements d'écoliers en vacances? On redouta leurs reproches et l'on renonça à un divertissement qui jetait un peu de variété dans la monotonie de la Cour et auquel le Dauphin lui-même avait pris un véritable goût [443].
L'intimité d'ailleurs grandissait chaque jour entre les deux époux. Le Dauphin subissait le charme de sa jeune femme, et elle, de son côté, sentait tout ce qu'il y avait en lui de qualités sérieuses, de loyauté, de vraie tendresse même, sous cet extérieur un peu brusque, sous cette enveloppe un peu épaisse. Quels que fussent l'esprit du comte de Provence, l'élégance du comte d'Artois, elle n'hésitait pas à reconnaître que, pour la sûreté des relations, son mari leur était très supérieur. Un jour, irritée des manœuvres tortueuses du comte de Provence, blessée des légèretés du comte d'Artois, elle s'était jetée dans les bras du Dauphin en s'écriant: «Je sens, mon cher mari, que je vous aime tous les jours davantage. Votre caractère d'honnêteté et de franchise me charme; plus je vous compare avec d'autres, plus je connais combien vous valez mieux qu'eux [444].»
Sans doute, il y avait encore chez le jeune prince des points qui laissaient à désirer, des traits même qui choquaient parfois la délicatesse toute féminine, la distinction innée, la nature primesautière de Marie-Antoinette. Il eût été difficile peut-être de rencontrer deux caractères offrant plus de contrastes que ceux de ces deux époux. C'était la vivacité unie à la froideur, l'expansion à la taciturnité, la grâce incarnée à une sorte d'inélégance native; en un mot, si je puis m'exprimer ainsi, c'était le diamant poli à côté du diamant brut. Le Dauphin avait certains goûts dont s'accommodait mal l'élégance suprême de sa femme; passionné pour la chasse, les exercices violents, les travaux manuels, il s'y livrait avec une ardeur immodérée qui compromettait sa santé et lui faisait contracter un air de négligence et de rudesse toujours fâcheux chez un futur souverain, plus fâcheux encore à cette Cour de Versailles qui donnait le ton à l'Europe. La Dauphine le comprenait; elle en adressait à son mari des reproches, un peu vifs peut-être; le Dauphin, d'abord piqué, se mettait à pleurer; la jeune femme, émue, mêlait ses larmes à celles de son mari, et le raccommodement était fort tendre. Et le comte de Provence, témoin de cette scène, ayant demandé en plaisantant si la paix était faite, le Dauphin répondait galamment «que les querelles des amants n'étaient jamais de longue durée [445]».
Sous la douce influence de cette gracieuse Égérie, un revirement heureux s'opérait dans les manières du jeune prince. Cette «matière en globe [446]», comme l'appelait Joseph II, commençait à livrer ses trésors. Le Dauphin parvenait à vaincre sa timidité, parlait davantage, avait plus d'aisance dans le monde [447], prenait plus de goût à la danse [448] et aux plaisirs de société, tout en donnant plus de temps aux choses sérieuses et en particulier à la lecture [449]; car, cette jeune femme, à laquelle on avait si longtemps reproché de ne pas s'occuper assez de travaux intellectuels, était maintenant la première à prêcher l'étude à son mari. Elle jouissait en silence de ces progrès, ne s'attachant qu'à les mettre en relief, sans songer à en tirer vanité [450]; mais le public lui en reportait l'honneur [451] et le jeune prince lui en témoignait en toute occasion sa reconnaissance. «Il faut convenir, lui disait-il un jour, que vous m'avertissez toujours bien à propos [452].»—«M'aimez-vous bien?» lui demandait-il une autre fois?—«Oui, répondait la princesse avec une spontanéité pleine de franchise, et vous ne pouvez en douter; je vous aime sincèrement et je vous estime encore davantage [453].»
Le Dauphin était touché de cet aveu naïf: il devenait tendre et presque galant avec sa femme [454]; sa confiance en elle augmentait de jour en jour, et il lui témoignait en mainte occasion une «condescendance sans bornes [455]». «Sa déférence pour Mme l'Archiduchesse, écrivait Mercy trois semaines à peine avant la mort de Louis XV, prouve le cas qu'il fait de ses avis, et on voit qu'il en a une reconnaissance qui l'attache de plus en plus à son auguste épouse [456].»
A cette date, la situation de Marie-Antoinette avait pris une consistance que rien ne semblait plus pouvoir ébranler. Depuis un an, et en particulier depuis la triomphante entrée à Paris, son crédit, à travers les fluctuations inévitables de la vie de la Cour, n'avait cessé de grandir. La cabale qui avait cherché à l'ébranler avait dû s'avouer vaincue [457]. Mesdames, âpres le premier moment d'humeur, s'étaient résignées, en apparence du moins, à voir dans la Dauphine la future maîtresse de l'État; le comte et la comtesse de Provence se faisaient une étude de lui plaire [458]; le duc d'Aiguillon imposait silence à sa rancune et cherchait les occasions de lui être agréable [459]; le contrôleur général prenait ses ordres [460]; la favorite elle-même faisait des avances, et tous ceux qui, à la Cour, songeaient à leur avenir, sentaient qu'ils n'avaient d'autre parti à prendre que de tâcher de trouver un appui dans l'amitié et la bienveillance de la Dauphine [461]. Elle désarmait toutes les jalousies, décourageait toutes les intrigues.
Quant à son succès dans le public, il était trop brillant et nous en avons trop parlé plus haut pour qu'il soit besoin d'y revenir ici.
Mais ce qu'il importe de remarquer, parce que cela a été contesté, c'est que ce succès, Marie-Antoinette le devait à elle-même et au développement croissant de ses qualités. Quoi qu'on en ait pu dire, et malgré des rechutes inévitables à son âge, elle avait fait, pendant ces quatre années, des efforts sincères pour se corriger des défauts que lui signalaient avec une persévérante vigilance sa mère et le comte de Mercy. «Je ferai le moins de fautes que je pourrai, disait-elle un jour; quand il m'arrivera d'en commettre, j'en conviendrai toujours [462].» Elle avait tenu parole, et, sur bien des points, elle avait réussi à mieux faire. L'enfant vive, irréfléchie, un peu volontaire, qui avait franchi le Rhin le 7 mai 1770, était devenue une jeune femme posée, ardente encore parfois et toujours candide et naïve, mais ne se laissant plus autant entraîner par le premier mouvement, calculant mieux la portée de ses paroles et de ses actes, et ajoutant à l'attrait de saillies naturelles et d'une tendresse de cœur spontanée le charme plus durable d'une conduite soutenue et d'une attitude réfléchie. Et c'est avec un légitime orgueil qu'elle pouvait dire un jour à son fidèle conseiller, sans que celui-ci eût aucune objection à lui faire: «Convenez que je me suis réformée sur bien des choses [463].»
Son esprit, d'abord nonchalant et distrait, cherchait sincèrement à s'appliquer et à s'intéresser aux choses sérieuses [464]. Son intelligence, qui comprenait merveilleusement les affaires, mais qui les redoutait à l'excès [465], commençait à se plier un peu plus aux combinaisons multiples de la politique [466]. Et sa piété se maintenait intacte et pure, sous la direction éclairée d'un prêtre vertueux et modeste, l'abbé Maudoux [467]. Un jugement toujours droit, quand il ne subissait pas une influence étrangère, une perspicacité qui déroutait souvent Mercy [468], une sagacité merveilleuse à apprécier les hommes et les choses [469], telles étaient les qualités maîtresses qui semblaient devoir assurer à la Dauphine un avenir brillant et un empire irrésistible, si elle savait s'affranchir d'un reste de timidité [470], d'un goût encore trop vif pour les plaisirs [471], si elle savait surtout se soustraire aux importunités et aux insinuations de son entourage [472]. Et cet empire empruntait une force de plus à l'art dans lequel elle excellait, de tenir la Cour, de présider un cercle, de dire à chacun un mot aimable, à la bonne grâce innée en elle et que rehaussait maintenant, avec l'assurance que donne un âge plus mûr, le charme d'une sereine dignité.
Tous ceux qui l'avaient connue dans son enfance et qui la revoyaient à la fin de 1773 ou au commencement de cette année 1774, qui devait être décisive pour elle, le baron de Neny [473], le feld-maréchal Lascy [474], étaient frappés de cette transformation heureuse. Mercy écrivait: «Du côté des principes, du caractère et du jugement, Mme la Dauphine est douée d'une façon si heureuse qu'il est moralement impossible quelle tombe jamais dans des erreurs de quelque conséquence, soit pour le présent, soit pour l'avenir [475].»
Et Marie-Thérèse elle-même, si sévère pour sa fille, sévère parfois jusqu'à l'injustice, ne pouvait s'empêcher de répondre à son fidèle ambassadeur, le 5 avril 1774:
«Je suis rassurée sur les nouvelles que vous me mandez sur la conduite de ma fille [476].»
Et c'est ainsi qu'au milieu des intrigues et des cabales, mais n'ayant plus rien à en redouter, aimée du public, jalousée peut-être, mais respectée à la Cour, dominant tout par la supériorité de son rang, éclipsant tout par l'éclat de ses qualités personnelles [477], Marie-Antoinette s'avançait, souriante et légère, non pas, hélas! sans ennemis, mais sans rivales, non pas sans écueils, mais avec confiance et d'un pas ferme, vers l'heure prochaine où la Dauphine allait devenir Reine de France.