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Histoire de Marie-Antoinette, Volume 2 (of 2)

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Situation alarmante de Paris: l'émeute en permanence.—Démission de Necker.—Départ de Mesdames.—Le 28 février.—Le 18 avril.—Projets de fuite.—Le comte d'Hinnisdal.—Espérances d'évasion de Saint-Cloud.—Plan de Mirabeau.—Hésitations du Roi.—Ouvertures au marquis de Bouillé.—Le projet est discuté, puis arrêté entre la Reine, Fersen et Bouillé.—Le départ, ajourné à plusieurs reprises, est définitivement fixé au 20 juin.

Quelles que fussent les chances de succès du grand plan de Mirabeau, il était évident que ce plan allait disparaître avec son auteur: la clef de voûte tombant, tout l'édifice s'écroulait. Un certain nombre de pygmées pouvaient bien se disputer l'héritage du géant: aucun n'était de taille à le recueillir en entier.

Cependant, la situation devenait chaque jour plus critique. L'émeute était en quelque sorte à l'ordre du jour. Dès qu'une mesure prise par l'Assemblée ou le gouvernement déplaisait aux Jacobins, le peuple, ou plutôt la populace de Paris, se soulevait et formulait son opinion à sa manière, en vociférant, pillant et pendant. L'Assemblée n'était pas plus libre que la famille royale. La rue était souveraine maîtresse, et c'est à ce titre que Malouet a pu écrire justement que la Terreur en France datait du 14 juillet 1789 [510]. Le mot fut bien plus vrai encore lorsque le gouvernement et le Roi eurent été ramenés de force à Paris. La liste serait longue à dresser des mouvements populaires, à partir seulement du 6 octobre 1789. Nous n'essaierons pas de le faire; nous nous contenterons des émeutes les plus mémorables.

Le 2 septembre 1790, à la nouvelle de la répression de la révolte de Nancy par le général de Bouillé, quarante mille hommes s'étaient portés aux Tuileries et à l'Assemblée, en réclamant à grands cris le renvoi des ministres. Un moment même, on avait craint que cette foule ne marchât sur Saint-Cloud, où la famille royale était alors, et n'y renouvelât les scènes de Versailles [511]. Le 4 septembre, Necker, effrayé, avait quitté le ministère et la France. Deux mois après, l'hôtel d'un membre de l'Assemblée, le duc de Castries, était pillé, pour le punir d'avoir blessé dans un duel loyal l'un des héros populaires, Charles de Lameth. Le 27 janvier 1791, des bandes allaient huer Clermont-Tonnerre et l'assaillir dans sa maison et fermaient de force, avec la complicité pusillanime de Bailly, le club des Impartiaux, dont il était président [512]. «Nous n'avons pas eu de tapage depuis huit jours,» écrivait le 5 février Mme Elisabeth à Mme de Raigecourt [513]. Mais ce calme inaccoutumé ne devait pas durer longtemps. Moins de deux semaines après, la nouvelle du départ de Mesdames donnait un nouvel aliment à l'agitation populaire. Une députation des sections se rendit aux Tuileries et prétendit forcer le Roi à interdire à ses tantes de s'éloigner. Louis XVI refusa. Mesdames partirent le 19 février. Arrêtées par la municipalité d'Arnay-le-Duc, les deux princesses ne purent continuer leur voyage qu'en vertu d'un décret de l'Assemblée, après une inconvenante plaisanterie de Menou, pour qui les tantes du monarque n'étaient plus que deux vieilles femmes, tant le respect de l'autorité et de la famille royale avait, en moins de deux ans, disparu du langage et des mœurs!

On répandit le bruit que ce départ de Mesdames n'était qu'un prélude, que le Roi, la Reine et Monsieur ne tarderaient pas à suivre l'exemple de Mme Adélaïde et Mme Victoire. Sept à huit cents personnes, lie du peuple, filles de la rue Saint-Honoré et leurs souteneurs, se portèrent tumulteusement au Luxembourg, forcèrent Monsieur et Madame à aller aux Tuileries et ne les quittèrent qu'après s'être assurés qu'ils y étaient entrés [514]. Le 24, un ramassis confus de filles publiques, d'émissaires des Jacobins et d'hommes déguisés en femmes envahit le jardin des Tuileries et demanda en hurlant que le Roi ordonnât à ses tantes de revenir. Sur l'injonction de cette bande, les soldats ôtèrent leur baïonnette et Bailly proposait qu'on ouvrît les portes et qu'on introduisît dans le Château une vingtaine de délégués qui voulaient voir le Dauphin, qu'on disait parti comme Mesdames [515]. Heureusement, la garde fut plus ferme que le maire; la foule fut sommée de se disperser, et au premier roulement de tambour, tout s'enfuit comme une volée d'oiseaux [516].

Le 28 février, la chose était plus grave. La commune de Paris faisait en ce moment réparer le château de Vincennes. Le bruit se répandit que ces réparations n'étaient qu'un moyen de favoriser une évasion du Roi, qui, par des conduits souterrains, irait des Tuileries à Vincennes, et de là à la frontière. Des bandes d'ouvriers des faubourgs, armés de pioches et de piques, se dirigèrent sur Vincennes pour démolir le donjon. Lafayette et la garde nationale les suivirent et parvinrent à les disperser. Mais la nouvelle de ce mouvement populaire s'était répandue. Un certain nombre de gentilshommes, redoutant quelque attaque des Tuileries en l'absence de la milice parisienne, s'y rendirent. Ils étaient trois cents environ, la plupart avaient des armes pour défendre la famille royale et au besoin se défendre eux-mêmes; le motif même qui les avait conduits au Château l'exigeait. Une fois là, y eut-il des imprudences de commises par quelques jeunes gens, comme semble le croire Mme Elisabeth [517]? Affichèrent-ils une attitude hostile ou tinrent-ils des propos blessants pour la garde de service? Y eut-il, au contraire, comme le prétend Hue [518], de l'eau-de-vie distribuée aux gardes nationaux pour échauffer les têtes? Ce qui est certain, c'est qu'un conflit éclata, et le bruit se répandit que ces amis de la royauté n'étaient venus que pour enlever le Roi et opérer une contre-révolution. A peine de retour de Vincennes, Lafayette accourut au Château, apostropha durement les gentilshommes et voulut les désarmer. Ils résistèrent; mais le Roi, soucieux d'éviter à tout prix une lutte, pria lui-même ses défenseurs de remettre leurs armes dans son cabinet, leur promettant qu'elles leur seraient rendues le lendemain. On obéit; une heure après, les gardes nationaux exigèrent que les armes fussent portées chez M. de Gouvion, major général; au bas de l'escalier, elles furent pillées [519].

Quant aux fidèles serviteurs, déjà victimes de cette humiliante exigence, lorsqu'ils sortirent des Tuileries, à huit heures du soir, on les fouilla, on les hua, on les maltraita; on en conduisit plusieurs à l'Abbaye [520]. Des vieillards même, comme le maréchal de Mailly, ne furent pas à l'abri des insultes et des coups [521].

Le lendemain, Lafayette fit afficher sur les murs de la capitale une proclamation pour prévenir la garde nationale qu'il avait donné des ordres aux «chefs de la domesticité»,—c'est ainsi qu'il nommait les gentilshommes de la Chambre,—afin qu'on ne laissât plus entrer au Château d'hommes armés et «d'un zèle très justement suspect [522]», confirmant ainsi par ces paroles les faux bruits de complot et autorisant de son prestige populaire l'absurde et mortelle légende des Chevaliers du poignard.

«Tout est fort tranquille depuis ce moment-là, écrivait, le 2 mars, Mme Elisabeth, toujours prompte à se rassurer ou plutôt à rassurer ses amies, et je crois que c'est fini, parce que les méchants ont obtenu ce qu'ils voulaient et que nous autres, bonnes bêtes, nous ne voyons pas plus loin que le bout de notre nez et donnons tête baissée dans tous les pièges que l'on nous tend [523]

La princesse se trompait: rien n'était fini. La journée du 28 février avait aggravé le dissentiment entre les monarchistes et les Constitutionnels et fait descendre l'autorité du Roi de toute la hauteur dont avait grandi celle de Lafayette. Mais ce n'était, en somme, qu'un incident et un symptôme. Une question plus grave, sur laquelle le Roi ne pouvait se mettre d'accord avec l'Assemblée, pas plus qu'avec Mirabeau, c'était la question religieuse. Louis XVI était profondément pénétré des principes du catholicisme. Il avait bien pu, dans un moment de faiblesse, donner sa sanction à la Constitution civile du clergé [524], et aux décrets qui exigeaient des évêques et des prêtres un serment contraire à leur conscience [525]; mais le remords même qu'il en éprouvait rendait plus inébranlable désormais son attachement à sa foi, et nulle force humaine n'eût pu le contraindre à se servir du ministère d'un prêtre assermenté, qui n'était à ses yeux qu'un prêtre schismatique. Marie-Antoinette n'était pas moins ferme. Vainement Montmorin et Mirabeau, qui ne comprenaient pas ces scrupules, les pressaient-ils de se rendre à des cérémonies où officiaient des membres du clergé constitutionnel et à donner un semblant de satisfaction à l'opinion démocratique, en assistant le dimanche à la messe de leur paroisse. Ni le Roi ni la Reine n'y voulaient consentir, et le Roi avait nettement refusé d'admettre dans sa chapelle des ecclésiastiques assermentés [526].

Cependant, Pâques approchait. Louis XVI, souffrant depuis les scènes douloureuses du 28 février et privé de l'exercice auquel il était accoutumé [527], avait besoin de respirer un air plus pur que celui de Paris. Il résolut d'aller passer la semaine sainte à Saint-Cloud, où il aurait en même temps plus de liberté pour remplir ses devoirs religieux. Les préparatifs furent faits au grand jour. Mais les meneurs répandirent le bruit que le voyage annoncé en dissimulait un autre, que ce n'était pas à Saint-Cloud, mais à Metz que le Roi devait aller, et qu'en tout cas il était poussé à ce voyage par des scrupules indignes d'un monarque constitutionnel. Les ennemis du catholicisme devenaient chaque jour plus intolérants. Le 3 avril, on avait installé dans toutes les paroisses de Paris les curés assermentés. Les fidèles, usant de leur droit de ne point assister à des cérémonies célébrées par des schismatiques, avaient loué l'église des Théatins pour y exercer leur culte. Mais lorsqu'ils s'y présentèrent, le jour des Rameaux, 17 avril, une foule ameutée les maltraita; des femmes furent insultées, des jeunes filles fustigées, et le soir le club des Cordeliers avait engagé à faire, le lendemain, une démonstration au Château, afin de forcer le Roi à renvoyer les prêtres de sa chapelle et à faire ses Pâques à Saint-Germain-l'Auxerrois [528]. Déjà, ce même jour, la garde nationale avait voulu empêcher les aumôniers royaux de dire la messe aux Tuileries [529]. En présence de cette effervescence, Louis XVI, désireux de ne pas donner prétexte à des troubles, avait, assure-t-on, renoncé à son projet de départ; il ne l'avait repris que sur les instances de Lafayette et de Bailly, qui se croyaient sûrs de maintenir l'ordre [530]. L'événement ne tarda pas à leur prouver que le vrai maître de Paris, ce n'était pas eux, mais le club des Cordeliers.

Le lendemain matin, en effet, lundi saint, 18 avril, la foule se porta en masse aux Tuileries. Lorsque, vers onze heures [531], le Roi et la Reine parurent pour monter en voiture, ils furent assaillis par des clameurs hostiles. Ils prirent place néanmoins dans une berline avec leurs enfants, Mme Élisabeth et Mme de Tourzel [532]. Mais le départ fut impossible. La garde nationale, d'accord avec les émeutiers, obstruait les portes, entourait les voitures, croisait la baïonnette sur le poitrail des chevaux [533], apostrophait le Roi et la Reine de la manière la plus grossière [534]. «A bas les valets! A bas les chevaux! criait-on. On ne doit pas sortir de Paris avant la fin de la Constitution.» Vainement Lafayette harangua-t-il sa troupe; la troupe désobéit. Vainement le Roi disait-il à Bailly: «Il serait étonnant qu'après avoir donné la liberté à la nation, je ne fusse pas libre moi-même [535]!» Pendant deux heures, la famille royale resta dans son carrosse, exposée aux insultes de la populace [536]. Pendant deux heures, Lafayette essaya vainement de rappeler enfin les perturbateurs à l'ordre et les soldats à la discipline. Ni ordres, ni prières, ni menaces ne furent écoutés. Le tumulte croissait d'heure en heure; le maire refusait de proclamer la loi martiale [537]. Les serviteurs du Roi étaient maltraités [538]; le grand aumônier, mis en joue [539]; M. de Duras, frappé avec une telle violence que le Dauphin se prît à pleurer [540]. Pour éviter de nouveaux excès, il fallut renoncer au voyage. Satisfaite de sa victoire, la garde nationale protesta de son dévouement: «Soyez tranquille, nous vous défendrons,» disaient les soldats à la Reine, en se pressant autour d'elle.—«Oui,» répondit ironiquement la princesse, «nous y comptons; mais vous avouerez à présent que nous ne sommes pas libres [541].» Et prenant le Dauphin dans ses bras, elle rentra fièrement aux Tuileries. Le soir, les gardes nationaux prétendirent encore fouiller les appartements, même la chambre du Roi, même les greniers, même les remises, sous prétexte d'y trouver des prêtres réfractaires [542], et, à dix heures, un homme, sur le Carrousel, lisait à haute voix un papier rempli d'horreurs contre le Roi, exhortant le peuple à forcer le Château, à tout jeter par les fenêtres et surtout à ne pas manquer l'occasion, comme on l'avait manquée à Versailles, au 6 octobre [543].

Le lendemain, le Roi se rendit à l'Assemblée et protesta énergiquement contre la violence qui lui avait été faite. Le président Chabroud se contenta de répondre «qu'une inquiète agitation est inséparable des progrès de la liberté [544].» Cette agitation croissant toujours, le Roi engagea son premier aumônier, le cardinal de Montmorency, Mgr de Roquelaure et Mgr de Sabran, ses aumôniers, les prêtres de sa chapelle, les premiers gentilshommes de la Chambre, MM. de Duras et de Villequier, à s'éloigner de lui; la Reine adressa la même invitation à sa dame d'honneur, Mme de Chimay, à sa dame du palais, Mme de Duras; et le jour de Pâques, 24 avril, Louis XVI et Marie-Antoinette furent contraints d'aller à Saint-Germain-l'Auxerrois, paroisse des Tuileries, assister à la messe solennelle chantée par l'intrus qui avait remplacé le vénérable curé, démissionnaire pour refus de serment. Seule, Mme Élisabeth, quoique menacée des derniers outrages, put se dispenser d'une cérémonie qui froissait si légitimement sa conscience [545]. C'était là sans doute ce que Chabroud entendait par les progrès de la liberté!

La semaine fut triste pour les prisonniers des Tuileries; le deuil de l'église, pendant les jours saints, s'accordait trop bien avec le deuil de leurs propres cœurs pour qu'ils n'en fussent pas émus. «La solitude des Tuileries, dit Mme de Tourzel, la vue du Roi, privé de ses grands officiers, et nous tous à la veille d'être forcés de nous éloigner de sa personne, les offices de l'Eglise, auxquels nous assistions régulièrement et qui offraient des analogies si frappantes avec la situation, le tombeau du jeudi saint, espèce de cénotaphe entouré de cyprès et sur lequel il y avait une couronne d'épines, emblème si juste de celle que portait le Roi, tout contribuait à augmenter la profonde tristesse dont nous étions pénétrés et qu'il fallait renfermer en soi-même pour ne la pas faire partager à notre pauvre petit Dauphin [546]

C'en était trop. L'homme avait pu généreusement pardonner les outrages dont on n'avait cessé de l'abreuver; le Roi avait fait largement le sacrifice de son autorité; mais, violenté dans sa conscience, le chrétien se redressa. Louis XVI résolut de sortir de ce Paris, qui n'était plus pour lui qu'une prison.

Depuis longtemps déjà, les serviteurs les plus anciens de la monarchie, comme les conseillers de la dernière heure, considéraient le départ du Roi comme indispensable au salut de la royauté. Le lendemain même du jour où l'émeute triomphante l'avait ramené dans la capitale, les hommes d'Etat, vraiment dignes de ce nom, avaient jugé qu'il n'y pouvait rester, parce qu'il n'y avait pas la liberté nécessaire. Les projets d'évasion se succédaient sans relâche. De quelque mystère que la mort de M. de Favras ait enveloppé ses projets, il est certain que la base première en était le départ de la famille royale, volontaire ou forcé. Un peu plus tard, en mars 1790, un député de la noblesse, le comte d'Hinnisdal, avait organisé tout un plan pour enlever le Roi; la garde nationale de service était gagnée; les hommes étaient à leur poste; les relais étaient disposés; tout était prêt, sauf le consentement de Louis XVI. M. Campan fut chargé de sonder le prince, un soir, pendant qu'il jouait au whist avec la Reine et sa famille. Le Roi fit d'abord la sourde oreille, puis, pressé de se prononcer: «Dites à M. d'Hinnisdal, répondit-il, que «je ne puis consentir à me laisser enlever.»—«Vous entendez bien, reprit la Reine, le Roi ne peut consentir à ce qu'on l'enlève.» Espérait-elle qu'on ne tiendrait pas compte de cette défense ambiguë, qui pouvait cacher un acquiescement tacite? Toujours est-il que, suivant Mme Campan, elle resta jusqu'à minuit à préparer sa cassette. Mais aucun bruit ne vint troubler le silence de la nuit: M. d'Hinnisdal, mécontent de la réponse équivoque du Roi et ne voulant pas agir sans l'assentiment positif de ceux pour lesquels il se compromettait, avait renoncé à l'entreprise [547].

Si le départ était difficile à Paris, il était plus praticable à Saint-Cloud, où la famille royale passa l'été de 1790. Le Roi y était sans gardes, accompagné d'un seul aide-de-camp de Lafayette; la Reine n'avait de même qu'un seul homme de service auprès d'elle. Souvent tous deux sortaient de bonne heure et rentraient tard, sans qu'on s'en inquiétât. On voyageait encore sans obstacle en France; il était facile de quitter Saint-Cloud et de là de gagner une province sûre. Mme Campan affirme qu'un plan d'évasion fut alors combiné: le Roi se serait rendu seul à un bois distant de quatre lieues du Château, où la famille royale l'aurait rejoint [548]. D'autre part, Mme de Tourzel raconte—et cela semble bien être le même fait,—que M. de la Tour du Pin, ministre de la guerre, avait supplié Louis XVI de profiter de son séjour à la campagne pour partir, promettant de disposer des régiments fidèles pour protéger la route et assurant—l'avenir ne lui donna que trop raison—que cette occasion perdue ne se retrouverait plus [549]. Les meilleurs serviteurs du monarque, sa famille elle-même, souhaitaient vivement qu'il acceptât cette proposition. Mme Elisabeth l'espérait: elle croyait voir à certains symptômes, suivant son langage énigmatique, que «la guérison approchait [550]». Un moment en effet, après la discussion sur les événements d'octobre, on crut que le Roi, indigné des résolutions de l'Assemblée, céderait aux conseils de M. de la Tour du Pin.

Un jour, s'il faut en croire le comte Esterhazy, Louis XVI gagna les hauteurs de Saint-Cloud et sortit par une porte du parc qui était condamnée et qu'il fit enfoncer. Il était accompagné du duc de Brissac, de MM. de la Suze, de Tourzel et Esterhazy. On descendit par la plaine auprès de Rueil et, après avoir passé le pont de Chatou, on entra dans la forêt du Vésinet. Là, le Roi tourna à droite et lança son cheval sur la route de Maisons. La Reine, de son côté, était sortie en voiture avec Mme Elisabeth et son fils. Tout faisait supposer qu'on pousserait plus loin: on eût trouvé un bateau pour traverser la Seine et de l'autre côté du fleuve des voitures pour gagner Chantilly où les chevaux du prince de Condé, encore dans les écuries, auraient servi de relais pour se rendre à l'armée. Tout à coup, le Roi s'arrêta et l'on retourna à Saint-Cloud. Les espérances étaient encore une fois déçues. A sa rentrée au Château, le comte Esterhazy ne put s'empêcher de dire à la Reine son désappointement en insistant sur l'urgence de se soustraire à la surveillance des geôliers. La Reine répondit qu'elle pensait bien comme lui,—elle l'avait déjà déclaré à Mme Campan [551].—Mais elle désespérait d'obtenir le consentement du Roi, sinon lorsqu'il ne serait plus temps; quant à elle, elle était résolue à ne jamais se séparer de son mari et à suivre le sort que la destinée lui préparait [552].

A ce moment, pourtant, les négociations avec Mirabeau étaient en plein cours et le plan de Mirabeau reposait avant tout sur la sortie de Paris. Seulement,—et c'est là que le puissant orateur différait d'avis avec la Tour du Pin et Esterhazy,—Mirabeau n'admettait pas une évasion. «Un roi, qui est la seule sauvegarde de son peuple, disait-il, ne fuit pas devant son peuple; il ne se met pas dans la position de ne pouvoir rentrer au sein de ses États que les armes à la main, ou d'être réduit à mendier des secours étrangers [553].» Et il écrivait de même à la Marck: «Un roi ne s'en va qu'en plein jour, quand c'est pour être roi [554].» C'était sa conviction au lendemain même des journées d'octobre. Il voulait qu'on se retirât à Rouen, au sein de la Normandie, province fidèle, à proximité de la Bretagne et de l'Anjou, qui ne l'étaient pas moins [555], et où il serait facile de s'entourer de troupes sûres. L'année suivante, c'était à Fontainebleau qu'il demandait qu'on se transportât [556], mais toujours en plein jour, après avoir prévenu officiellement l'Assemblée et sous la protection de la garde nationale, à laquelle on associerait un régiment d'infanterie, le Royal-Comtois, alors en garnison à Orléans et animé d'un excellent esprit, et deux cents cavaliers du régiment de Lorraine, qu'on ferait venir de Rambouillet [557]. Plus tard, lorsque l'esprit révolutionnaire eût fait de nouveaux progrès, ce ne fut plus de Fontainebleau, ville ouverte et à la merci d'un coup de main, qu'il s'agit, mais d'une ville fortifiée et plus rapprochée de la frontière, Compiègne ou Beauvais [558], d'où l'on pouvait aller plus loin, sous la protection de l'armée de M. de Bouillé [559]. Mais le grand obstacle à l'exécution de ce plan, c'était l'indécision du Roi. Louis XVI manifestait pour un départ, sous quelque forme qu'il se présentât, la même répugnance qu'il avait déjà si malheureusement montrée lors des néfastes journées d'octobre, et sans s'y refuser positivement, il opposait la plus fatale des résistances, la force d'inertie. La Reine y était plus résolue: «Il faudra pourtant bien s'enfuir,» avait-elle dit un jour à Mme Campan [560]. Mme Elisabeth l'était plus encore, mais elle n'était guère appelée au conseil et ses lettres à ses amies sont pleines de ses doléances sur cette funeste inaction de son frère. Après tant d'alternatives d'espoir et de déceptions, le 24 octobre, peu après la tentative avortée qu'a racontée le comte Esterhazy, elle écrivait à Mme de Raigecourt, dans ce style figuré qui servait à sa correspondance:

«J'ai vu l'homme qui est si beau; il est un peu à la désespérade. Mon malade a toujours des engourdissements dans les jambes, et il craint que cela ne gagne tellement les jointures qu'il n'y ait pas de remède [561]

La Reine négociait de divers côtés, dépêchait courriers sur courriers, lettres sur lettres, à son frère et à M. de Mercy, demandait des conseils, des secours, de l'argent. Le Roi restait à l'écart, comme s'il se désintéressait des projets de sa femme et des espérances de sa sœur. A la fin d'octobre 1790, cependant, il se décida à entrer en relations avec le général qui commandait à Metz, le marquis de Bouillé. Mirabeau lui-même l'avait indiqué; ses services et ses talents le recommandaient plus encore. Connu jadis par de brillants exploits aux Antilles, pendant la guerre d'Amérique, plus récemment par la vigueur avec laquelle il avait réprimé l'insurrection de Nancy, très estimé de l'armée, très aimé même des gardes nationales, très royaliste et cependant très populaire, très énergique de caractère et très modéré d'opinion, inclinant même, dit-on, vers une constitution modelée sur celle de l'Angleterre [562], le marquis de Bouillé était l'homme désigné pour être le défenseur suprême de la royauté aux abois. Il commandait à Metz et cette situation, en plaçant sous ses ordres les places fortes de la frontière, lui permettait d'y assurer un refuge à la famille royale. Lui-même déjà avait étudié un plan de départ du Roi, car c'était là la question capitale qui préoccupait à juste titre tous les royalistes, comme la base indispensable de toute restauration monarchique. Il ne fut donc nullement surpris lorsque, à la fin d'octobre 1790, l'évêque de Pamiers, Mgr d'Agout, vint lui exposer le dessein du Roi. Seulement, le dessein du Roi différait essentiellement de celui du général.

Comme Mirabeau, M. de Bouillé eût voulu un départ en plein jour, sur la demande des départements et des troupes, auxquels il ne pensait pas que l'Assemblée pût s'opposer [563]. Louis XVI, entraîné par sa faiblesse naturelle, qui avait horreur de toute mesure énergique, préférait une évasion. Au reste les détails de ce plan n'étaient point encore arrêtés, et l'exécution n'en aurait lieu qu'au printemps [564]. Le général fit quelques objections; elles tombèrent devant la volonté royale, et il n'y eut plus qu'à désigner la ville qui semblerait offrir la retraite la plus sûre. Après un long échange de lettres, le Roi se décida pour Montmédy; l'époque du départ fut fixée à la fin de mars.

Les choses en étaient là, et M. de Bouillé, tout en regrettant la résolution de Louis XVI, en préparait l'exécution, lorsque, au mois de février, il reçut la visite du comte de la Marck. Le prince s'était enfin décidé à accepter le plan de Mirabeau, et M. de la Marck en venait confier les détails au commandant de l'armée de Metz.

Le Roi sortirait de Paris en plein jour et s'en irait à Compiègne, où M. de Bouillé le recevrait et l'entourerait de troupes fidèles, soit pour rester là, soit pour aller plus loin, si les circonstances l'exigeaient. Une fois en liberté, il adresserait une proclamation au pays et l'on ne doutait pas que le mécontentement général, venant à l'appui de la protestation du souverain, ne forçât l'Assemblée à modifier la Constitution ou ne permît au Roi de convoquer hors de Paris une nouvelle Législature, qui accomplirait les réformes demandées par l'opinion et rendrait à la royauté l'exercice légitime de son autorité [565]. Mirabeau croyait pouvoir compter sur trente-six départements; M. de Bouillé sur six, et d'ailleurs la plupart des administrations départementales étaient royalistes [566]. M. de Bouillé approuva ce plan, qu'il préférait beaucoup à la retraite sur Montmédy, et supplia Louis XVI d'en poursuivre l'exécution, en continuant à se servir de son habile et puissant conseiller [567]. Malheureusement Mirabeau mourut et le Roi retomba plus que jamais dans ses indécisions.

La situation d'ailleurs s'aggravait à chaque instant. Si, au début de février, on pouvait sortir de Paris en plein jour, le pourrait-on deux semaines plus tard, après l'aventure de Mesdames? Si les tantes du Roi avaient eu tant de peine à passer, laisserait-on partir le Roi lui-même? L'émeute, qui avait forcé Monsieur à venir coucher aux Tuileries, n'était-elle pas un signe de ce que pouvait et voulait la populace parisienne? Deux mois après, toute illusion à ce sujet, s'il y en avait encore, devait cesser: la garde nationale qui, malgré Lafayette et Bailly, ne permettait même pas à la famille royale d'aller à Saint-Cloud, lui permettrait bien moins encore d'aller à Compiègne. L'impossibilité d'un départ public apparaissait manifestement, et cette atteinte à sa liberté, qui déterminait enfin irrévocablement le Roi à sortir de Paris, ne lui laissait que les chances d'une évasion.

On revint au dessein primitif de Louis XVI, la fuite sur Montmédy. Le 20 avril, la Reine écrivait à Mercy:

«L'événement qui vient de se passer nous confirme plus que jamais dans nos projets. La garde qui est alentour de nous est celle qui nous menace le plus. Notre vie même n'est pas en sûreté.., Notre position est affreuse; il faut absolument en finir dans le mois prochain. Le Roi le désire encore plus que moi [568]

Cette lettre et celles qui suivirent révèlent le plan de la famille royale: jusqu'à ce que le départ fût possible, Louis XVI se renfermerait dans une inertie absolue, accepterait sans résistance des lois que le manque de liberté entacherait plus tard de nullité et, en attendant, s'efforcerait de se procurer des ressources et de se ménager des appuis.

Il fallait trouver quinze millions [569]; on espérait les avoir en Hollande [570]. L'Espagne et la Sardaigne, par des mouvements de troupes sur la frontière, pouvaient exercer une pression morale qui aiderait à l'explosion du mécontentement des provinces. La Prusse et l'Autriche, si elles parvenaient à se mettre d'accord, prendraient en main les réclamations des princes possessionnés d'Alsace et protesteraient, «non pas, disait la Reine, s'associant à la pensée de Mirabeau, pour faire une contre-révolution ou entrer en armes, mais comme garants de tous les traités, de l'Alsace et de la Lorraine, et comme trouvant fort mauvaise la manière dont on traite un roi [571].» Si la Prusse, dont la conduite était suspecte et dont l'agent, le juif Ephraïm, fournissait de l'argent aux révolutionnaires, si l'Angleterre, dont on cherchait, avec peu de chances de succès, de s'assurer la neutralité [572], si la Hollande voulaient s'opposer à la restauration de l'ordre en France, les Puissances du Nord, la Russie et la Suède, pourraient faire contrepoids et leur en imposer [573]. En attendant, les démonstrations que l'Autriche ferait aux Pays-Bas permettraient à M. de Bouillé de rassembler des troupes et des munitions à Montmédy [574].

Malheureusement plus on tardait, plus les difficultés augmentaient. L'esprit des troupes, encore bon à la fin de 1790, s'était affreusement gâté depuis le commencement de 1791, surtout depuis que du Portail, créature des Lameth, avait remplacé au ministère de la guerre le loyal la Tour du Pin. A sa demande, l'Assemblée avait autorisé les soldats à aller dans les clubs, et cette fréquentation déplorable n'avait pas tardé à désorganiser la discipline. Au commencement de mai, M. de Bouillé ne pouvait plus compter que sur huit ou dix bataillons allemands ou suisses et une trentaine d'escadrons de cavalerie; l'infanterie presque tout entière, l'artillerie en entier avaient passé à la Révolution [575].

L'esprit des populations civiles avait subi les mêmes influences que celui de l'armée. Les menaces des émigrés, les bruits de complots des aristocrates, de trahison des officiers, habilement répandus et perfidement exploités, avaient à la fois effrayé et exaspéré les habitants des frontières, et les avaient surexcités contre le Roi qu'ils supposaient d'accord avec les Français du dehors [576]. Une lutte était donc possible, et, dans cette prévision, Louis XVI avait réclamé le secours des Cantons suisses [577], dont la cause était liée à celle de la France par des Capitulations séculaires, et, pour le premier moment, si besoin en était, un corps de huit à dix mille Autrichiens [578]. Non pas qu'il voulût une intervention directe des Puissances étrangères dans les affaires du pays,—la Reine l'avait formellement répudiée dans sa lettre du 12 juin 1790, à M. de Mercy [579].—Il ne demandait que leur appui moral, ou, s'il devait faire appel aux dix mille hommes de son beau-frère, il ne les acceptait que «comme auxiliaires [580]», entendant bien les faire marcher à côté des troupes françaises, sous l'étendard royal, comme Henri IV, obligé, lui aussi, de reconquérir son royaume, avait eu à ses ordres les soldats d'Élisabeth et les reîtres de Schomberg, comme chaque jour encore des régiments allemands ou suisses servaient dans l'armée française, à côté des milices nationales. Cela même, il ne le ferait qu'à la dernière extrémité; il espérait toujours éviter la lutte, quoique Mirabeau, avant de mourir, en eût plus que jamais proclamé l'imminence et la nécessité [581].

Mais il importait avant tout de calmer l'opinion publique et pour cela d'arrêter les entreprises des émigrés. C'était le but auquel tendaient les efforts de la Reine. Ses instructions à ses agents, sa correspondance avec son frère et Mercy sont remplies des plus pressantes instances pour que l'Empereur, par ses conseils et au besoin par son autorité, s'oppose aux coups de tête du comte d'Artois: «Notre sûreté et notre gloire, écrivait-elle, tiennent à nous tirer d'ici; j'espère n'en pas laisser le mérite uniquement à d'autres [582]

Après la sortie de Paris, que ferait-on? Les lettres de Marie-Antoinette, la correspondance du marquis et de la marquise de Bombelles, les Mémoires récemment publiés de Mme de Tourzel, les déclarations même de Louis XVI permettent de le reconstituer. Une fois rendu à Montmédy, dans une place française, au milieu des troupes de M. de Bouillé, le Roi appellerait à lui tous les sujets fidèles; il donnerait l'ordre aux émigrés de rentrer en France, et, appuyé sur ces forces, y joignant, si besoin en était, les dix mille hommes de son beau-frère, soutenu plus encore par le mouvement qui ne manquerait pas de se produire dans les provinces, lorsqu'elles sauraient le souverain en liberté et trouveraient en lui un centre d'action et un point d'appui, il adresserait un manifeste au pays. Il protesterait hautement contre les agissements de l'Assemblée, qui, sur les points les plus essentiels, avait outrepassé les instructions de ses mandants, déclarerait nuls, «par défaut absolu de liberté,» les actes qu'on lui avait arrachés depuis le 6 octobre 1789, et affirmerait qu'il ne rentrerait à Paris que lorsque «une Constitution, qu'il aurait acceptée librement, ferait que la religion serait respectée, que le gouvernement serait rétabli sur un pied stable, et que, par son action, les biens et l'état de chacun ne seraient plus troublés, que les lois ne seraient plus enfreintes impunément, et qu'enfin la liberté serait posée sur des bases fixes et inébranlables [583]

Cette Constitution aurait-elle été un retour à l'ancien régime? Assurément non: le mot même de constitution en excluait la pensée. Jamais Louis XVI,—le fait est banal à force d'être évident,—jamais Louis XVI n'avait souhaité le pouvoir absolu et, en 1791, il le souhaitait moins que jamais. «Le Roi, écrivait, le 13 juillet, la marquise de Bombelles, bien au courant des intentions de la famille royale, puisque son mari était, avec le baron de Breteuil, l'agent accrédité de la Cour à l'étranger, le Roi voulait revenir à la déclaration du 23 juin, par laquelle il remplissait le vœu que la nation avait témoigné par ses mandats lors des États généraux; il restreignait son pouvoir, mais en même temps il l'assurait et rassurait les esprits; car jamais le despotisme ne pourra plus avoir lieu en France et, il faut être juste, il n'est pas désirable. Le Roi ne voulait donc pas conquérir son royaume, armé de forces étrangères; il voulait en imposer à ses sujets et traiter avec eux [584].» Pour satisfaire les intérêts en éloignant l'idée d'une banqueroute imminente, il aurait garanti le paiement des rentes viagères en entier, réduit l'agiotage et les emprunts onéreux à un taux raisonnable, et, en rendant au clergé ses biens, l'aurait chargé de rembourser les assignats. Cela était possible, disait Fersen, et les biens du clergé réalisés par lui, comme il l'avait proposé, auraient produit des résultats qu'on ne pouvait attendre avec la confiscation par l'Assemblée. Ainsi, les capitalistes, qui avaient tout fait pour la Révolution et que la Révolution menaçait maintenant dans leurs intérêts, seraient rassurés et se seraient prononcés pour un retour de l'autorité royale, qu'ils redoutaient moins encore que la banqueroute [585].

Etait-ce suffisant? Il est permis d'en douter.

Mais il importe de remarquer pourtant qu'après l'échec de Varennes, et lorsqu'on se trouva en présence de la Constitution si défectueuse que l'Assemblée avait substituée aux propositions du Roi, bien des gens de ceux-là même qui avaient applaudi à l'arrestation de Louis XVI, qui y avaient peut-être contribué, en vinrent,—c'est un témoin non suspect qui l'affirme,—à regretter ce qu'on appelait le plan de Montmédy; car, disait-on, il promettait à la France une constitution également éloignée des deux extrêmes [586].

La Reine partageait la pensée de son mari. Elle avait déclaré, dès le commencement de 1790, qu'elle ne voulait pas de «contre-révolution [587];» elle l'avait redit le 12 juin [588] et, le 3 février 1791, elle écrivait encore à Mercy: «Nous sommes décidés à prendre pour base de la Constitution la déclaration du 23 juin, avec les modifications que les circonstances et les événements ont dû y apporter [589]

Quelles eussent été ces modifications? Nous ne saurions le dire; mais il est certain que Marie-Antoinette, comme Louis XVI, était décidée à donner satisfaction aux vœux des cahiers de 1789, et à faire jouir enfin la France d'une juste et bonne liberté, «telle, disait-elle, que le Roi l'a toujours désirée lui-même pour le bonheur de son peuple, loin de la licence et de l'anarchie qui précipitaient le plus beau royaume dans tous les maux possibles [590]

En attendant la réalisation de ce plan, la Reine était plus surveillée que jamais. Si quelque compatriote, un ami d'enfance, ou un envoyé de son frère, comme le prince de Lichtenstein, venait la visiter dans sa prison des Tuileries, elle était obligée de le congédier au plus vite et de lui bien recommander de ne dire à personne qu'il l'avait vue en particulier: «Quoique je ne l'aie vu,—le prince de Lichtenstein,—qu'une fois chez moi pendant dix minutes, écrivait-elle à Léopold, je crois que tout Autrichien un peu de marque me doit dans ce moment de n'être point ici.» Et elle ajoutait tristement: «Notre santé continue à être bonne, et elle le serait bien davantage, si nous pouvions seulement apercevoir une idée de bonheur alentour de nous; car, pour nos personnes, il est fini pour jamais, quelque chose qui arrive. Je sais que c'est le devoir d'un roi de souffrir pour les autres; mais aussi le remplissons-nous bien [591].»


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