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Histoire de Marie-Antoinette, Volume 2 (of 2)

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Déclaration de guerre à l'Autriche.—Lettre de la Reine à Mercy, du 30 avril 1792.—Mission de Mallet du Pan.—Premiers échecs des troupes françaises.—Lafayette propose au Roi de se retirer à son armée.—Emotion de Paris.—Dénonciation du Comité autrichien.—Réapparition des mémoires de Mme de la Motte.—Ils sont brûlés à Sèvres.—Licenciement de la garde constitutionnelle.—M. d'Hervilly offre au Roi de chasser l'Assemblée.—Le Roi refuse.—Départ de Barnave.—Décrets du 26 mai sur la déportation des prêtres insermentés, du 8 juin sur la formation d'un camp de vingt mille hommes sous Paris.—Renvoi des ministres girondins.—Dumouriez quitte le ministère.—Le Roi oppose son veto aux décrets.

Le 20 avril, Louis XVI déclarait la guerre au roi de Hongrie; il ne s'était décidé à cette résolution qu'à la dernière extrémité, et, en l'annonçant à l'Assemblée, il avait les larmes aux yeux; mais il avait dû céder aux déclamations de la Gironde, à la pression de l'opinion, à l'avis unanime et écrit de ses ministres [1029]. La Reine n'y répugnait pas, comme le Roi; depuis l'échec de toutes ses espérances, elle voyait dans la guerre une suprême ressource [1030], et elle lui semblait moins dangereuse, si c'était l'Assemblée qui en prenait l'initiative [1031]; on ne pourrait pas du moins accuser la famille royale d'avoir poussé en avant les Puissances. Ce pouvait être l'occasion d'un retour de l'opinion; mais cette opinion, il était essentiel qu'on ne fît rien pour l'exaspérer. Aussi, dès le 30 avril, la Reine écrivait-elle à Mercy:

«La guerre est déclarée. La Cour de Vienne doit tâcher d'éloigner sa cause le plus possible de celle des émigrés [1032], l'annoncer dans son manifeste, en même temps que l'on pense qu'elle pourrait employer l'ascendant naturel qu'elle a sur les émigrés pour tempérer leurs prétentions, les amener à des idées raisonnables et à se rallier enfin à tous ceux qui défendront la cause du Roi. Il est facile d'imaginer les idées qui doivent faire le fond du manifeste de Vienne; mais, en appelant l'univers à témoin des intentions de cette Puissance, de ses efforts pour conserver la paix, de ses dispositions constantes encore à tout terminer à l'amiable, de son éloignement de soutenir des prétentions particulières ou quelques individus contre la nation, on doit éviter de parler trop du Roi, de trop faire sentir que c'est lui qu'on soutient et qu'on veut défendre. Ce langage l'embarrasserait, le compromettrait, et, pour ne pas paraître conniver avec son neveu, il serait forcé d'exagérer ses démarches et par là de s'avilir, ou de donner un mouvement faux à l'opinion publique. C'est la nation dont il faut parler pour dire que l'on n'a jamais eu le désir de lui faire la guerre. Une observation également importante, c'est d'éviter de vouloir paraître d'abord se mêler des affaires intérieures, ou même de vouloir amener à composition. On a déjà cherché à déjouer les bonnes intentions de Léopold, en faisant répandre qu'il voulait faire une transaction entre tous nos partis. Il est à désirer sans doute que la marche que prendra la Cour de Vienne y amène les Français; mais ce dessein doit être très caché; car ce serait le rendre impossible à exécuter que de le manifester d'abord. Les Français repousseraient toujours toute intervention politique des étrangers dans leurs affaires, et l'orgueil national est tellement attaché à cette idée qu'il est impossible au Roi de s'en écarter, s'il veut rétablir son royaume [1033]

Trois semaines après, un ami de Malouet, un des esprits les plus sages et les plus clairvoyants de cette époque, un écrivain qui n'avait cessé de défendre avec énergie et modération la cause de la monarchie, Mallet du Pan, était chargé d'aller appuyer près des Puissances le plan tracé dans cette lettre et en développer les détails. Avant tout, il insistait sur la nécessité d'engager les Princes et les Français émigrés à ne «point faire perdre à la guerre actuelle, par un concours hostile et offensif de leur part, le caractère de guerre étrangère faite de Puissance à Puissance». Il n'était pas moins urgent que les coalisés, dans le manifeste qu'ils devaient adresser à la France, s'attachassent à «séparer les Jacobins et les factieux de toutes les classes du reste de la nation, à rassurer tout ce qui est susceptible de revenir de son égarement, tous ceux qui, sans vouloir de la Constitution actuelle, craignent le retour des grands abus, tous ceux que le délire de l'esprit, la contagion de l'exemple et la première ivresse de la Révolution ont engagés dans cette cause criminelle, mais qui, n'ayant à se reprocher que des erreurs, de l'exaltation et de la faiblesse, se montreront désarmés et repentants, du moment où on leur présentera une issue sans ignominie et sans dangers personnels». Les Puissances devaient encore «faire entrer dans leur manifeste la vérité fondamentale qu'on n'entend point toucher à l'intégrité du royaume [1034], et que la crainte d'un démembrement est un indigne artifice par lequel les usurpateurs cherchent à donner le change sur le véritable et unique but des Puissances; qu'on fait la guerre à une faction antisociale et non à la nation française».

Enfin, il était essentiel «de n'imposer ni de proposer aucun système de gouvernement, mais déclarer qu'on s'arme pour le rétablissement de la monarchie et de l'autorité royale légitime, telle que Sa Majesté entend elle-même la circonscrire [1035]».

Tels étaient le but de la mission de Mallet du Pan, le genre de concours que le Roi et Reine réclamaient des Puissances, le programme qu'ils entendaient leur fixer et se fixer à eux-mêmes, et le résultat qu'ils attendaient de la lutte qui allait commencer.

Chose étrange! la guerre était déclarée; l'Assemblée la voulait depuis plusieurs mois; les Puissances le savaient; la Reine elle-même les en avait averties [1036]; et ni d'un côté, ni de l'autre on n'était prêt. Les troupes autrichiennes en Belgique étaient dispersées et hors d'état de se défendre; elles étaient d'ailleurs travaillées par des émissaires jacobins et l'on se méfiait de leur fidélité [1037]. Il fallait encore six semaines au moins pour que des renforts sérieux pussent arriver, et si les généraux français avaient poussé vigoureusement les choses, ils eussent pu arriver, presque sans coup férir, jusqu'à Bruxelles [1038]. Mais eux non plus n'étaient point en mesure de marcher. Privée de ses chefs les plus illustres, qui avaient émigré, et d'une partie de ses régiments, qui avaient passé la frontière à la suite de leurs chefs [1039], l'armée française était désorganisée; on le vit aux premières affaires, où elle se débanda sans résistance. Le corps de Théobald Dillon assassinait son général; le corps de Biron fuyait honteusement devant une charge de uhlans; Lafayette était obligé de se replier, et Rochambeau donnait sa démission.

Il y eut un moment de terreur à Paris; les uns s'en prenaient au Roi, les autres au ministre, un plus grand nombre à la Reine. L'émotion fut vive dans la bourgeoisie parisienne, et M. de Vaublanc prétend que si, à cette heure, un chef résolu se fût présenté, elle se fût ralliée à lui spontanément pour restaurer l'autorité royale [1040]. Est-ce cette pensée qui détermina Lafayette à venir dans la capitale au mois de mai? Craignit-il que l'Assemblée, dans sa frayeur et dans sa haine, voulût enlever la famille royale? Toujours est-il qu'il fit proposer au Roi, par Malouet, et à la Reine, par M. de Gouvernet, de se retirer au milieu de son armée, dont il répondait. Une division de cette armée eût été postée à Compiègne, et de là, des détachements eussent facilité le départ de la famille royale en s'aidant des gardes suisses et de la partie dévouée des gardes nationaux. Le Roi et la Reine refusèrent: le Roi avec des paroles bienveillantes pour le général, la Reine avec une certaine aigreur [1041]. Ni l'un ni l'autre ne voulaient échanger la tyrannie de l'Assemblée pour la tutelle de Lafayette. Peut-être se souvenaient-ils qu'au moment du renvoi de M. de Narbonne le général s'était emporté jusqu'à dire au garde des sceaux: «Nous verrons lequel, du Roi ou de moi, aura la majorité dans le royaume [1042].» Peut-être aussi avaient-ils encore présent à la mémoire cet avis suprême du puissant tribun, dont le génie leur manquait tant à cette heure: «En cas de guerre, M. de Lafayette voudrait tenir le Roi prisonnier dans sa tente [1043]

Mais pour les révolutionnaires à l'Assemblée et dans la presse, ces premiers échecs militaires servirent de prétexte à de nouvelles diatribes contre la Reine. On l'accusa d'être la cause de la déroute et d'avoir donné des ordres secrets pour occasionner la panique [1044]. La populace fut ameutée, et dès le 1er mai, un Grec, qui habitait la France, et qui avait salué avec enthousiasme les débuts de la Révolution, mandait à ses amis: «Ne vous étonnez pas, si je vous écris quelque jour pour vous apprendre l'assassinat du malheureux Roi et de sa femme [1045].» Quinze jours après, un ami des Girondins, Carra, dénonçait, dans les Annales patriotiques, un prétendu Comité autrichien qui, disait-il, se tenait chez la princesse de Lamballe [1046] et préparait, avec la Reine, une Saint-Barthélemy des patriotes, tandis que le Roi, prenant la fuite, livrerait les places fortes et l'armée à l'émigration. Carra fut poursuivi, et, dans le débat qui s'éleva, déclara tenir ses informations de trois députés de la gauche: Merlin de Thionville, Bazire et Chabot. Le juge de paix, Etienne Larivière, qui avait instruit l'affaire, lança un mandat d'amener contre les trois députés, sans se souvenir qu'ils étaient inviolables. L'Assemblée le lui rappela durement en l'envoyant lui-même à la Haute-Cour d'Orléans, antichambre de l'échafaud.

Le Roi s'émut; peut-être craignit-il que, dans ces allégations haineuses, on cherchât un prétexte pour réaliser le plan, si souvent prêté aux Jacobins, d'emmener la famille royale dans le Midi pour la livrer aux mains des émeutiers de Marseille et des assassins de la Glacière [1047]. Il jugea que «l'intérêt de l'Etat et sa tranquillité au dedans ne permettaient pas de laisser passer de telles calomnies sous silence», et prescrivit au garde des sceaux d'en traduire les auteurs devant les tribunaux afin que «toute cette affaire fût parfaitement éclaircie [1048]». Les Girondins répondirent à cette lettre du Roi en reproduisant, en pleine Assemblée, les accusations odieuses lancées par leur ami Carra. Brissot, le grand dénonciateur, attaqua en termes violents M. de Montmorin; mais cette fois il dépassa le but et, malgré l'appui de Gensonné, la tentative avorta. En même temps, Pétion, que la Reine, mal inspirée, avait contribué à faire nommer maire de Paris contre Lafayette, et qui ne se servait de sa position que pour mieux battre en brèche la royauté, Pétion signalait au commandant de la garde nationale, dans une lettre rendue publique, de prétendues inquiétudes sur un prochain départ du Roi pendant la nuit, inquiétudes, disait-il, fondées sur des probabilités et des indices, et donnait l'ordre de multiplier les patrouilles, tenant ainsi la population dans de perpétuelles alarmes [1049].

Quelques jours après, le 29 mai, nouvelle alerte, nouveau rassemblement des gardes nationaux, nouvelle promenade armée autour du Château pour surveiller le Roi [1050].

Mais un bruit plus sérieux vint émouvoir les esprits et aggraver la situation. Vers le commencement de 1792, Mme Campan avait été prévenue que Mme de la Motte avait composé un nouveau libelle contre la Reine et l'avait fait passer en France. On ajoutait que c'était avant tout une affaire de chantage et que vraisemblablement le porteur du manuscrit le livrerait pour mille louis. Mme Campan fit part de cette ouverture à Marie-Antoinette; mais la Reine la repoussa, en disant qu'elle avait toujours dédaigné de pareils libelles et que, en outre, si elle avait la faiblesse d'en acheter un pour l'empêcher de paraître, elle n'échapperait pas à l'actif espionnage des Jacobins et leur fournirait par là de nouvelles armes et de nouveaux prétextes.

Le raisonnement était sage, et d'ailleurs tant de calomnies immondes inondaient la rue qu'une de plus ou de moins n'avait guère d'importance. Mais Louis XVI n'eut pas la même impassibilité que sa femme: il redouta pour elle le douloureux souvenir que réveillait le nom de Mme de la Motte, et fit acheter par M. de la Porte l'édition entière des Mémoires. Au lieu de la détruire sur-le-champ, et en secret, M. de la Porte se contenta d'en enfermer les exemplaires dans un cabinet de son hôtel. Mais les événements marchaient; la violence de l'Assemblée et de la populace croissait d'heure en heure; dénoncé lui-même, M. de la Porte craignit qu'une perquisition, faite chez lui à l'improviste, ne fît découvrir les brochures et ne leur donnât ainsi la publicité redoutée; il résolut de s'en défaire; mais, par une maladresse ou un aveuglement inexplicable, il les fit transporter en plein jour, sur une charrette, à la manufacture de Sèvres, où elles furent brûlées, dans un grand feu allumé tout exprès, en présence de deux cents ouvriers, auxquels il était expressément défendu d'en approcher. Cet excès de précaution et d'imprudence ne fit qu'alimenter les soupçons, en excitant la curiosité sans la satisfaire. Une dénonciation fut faite par les ouvriers, et, malgré les explications du directeur de Sèvres et de M. de la Porte, mandés à la barre de l'Assemblée, on persista à voir dans les pamphlets brûlés les papiers du fameux et imaginaire Comité autrichien. Girondins et Jacobins s'unirent pour dénoncer le complot, et, fidèles à leur système d'abattre un à un les derniers appuis de la monarchie, afin de la renverser plus facilement, ils profitèrent de l'émotion produite pour priver le Roi de sa garde constitutionnelle.

Formée, le 16 mars, d'un tiers de troupes de ligne et de deux tiers de gardes nationaux, sous le commandement suprême du duc de Brissac, qui avait sous ses ordres MM. d'Hervilly et de Pont-l'Abbé, cette garde était sincèrement dévouée au Roi; elle eût été, en cas d'émeute, avec les Suisses et la partie saine de la garde nationale, un centre sérieux de résistance [1051]. Elle était en même temps sans hostilité contre les institutions nouvelles et pleine de déférence pour la milice citoyenne; elle en avait donné des preuves en mainte occasion. Il y avait entre les deux corps un désir ardent de vivre en bonne harmonie [1052]. «Tenons-nous bien unis, disaient les gardes du Roi, c'est le moyen d'être forts [1053].» Mais cet accord même excitait la méfiance et la haine des ennemis de la royauté. Des rassemblements menaçants se formaient aux Tuileries; on entourait les gardes; on insultait les officiers; on les accusait de conserver dans la caserne de l'Ecole militaire un drapeau blanc; on les dénonçait à l'Assemblée, qui se déclarait aussitôt en permanence, comme si elle eût été en face d'un immense danger. Bazire, allant droit au but, demanda qu'on licenciât la garde constitutionnelle composée, disait-il, «de prêtres réfractaires, d'émigrés et d'Arlésiens aristocrates.» Et après une longue séance, au milieu de la nuit, la proposition de Bazire, appuyée par Brissot, fut adoptée: la garde constitutionnelle fut dissoute et son commandant, le duc de Brissac, envoyé dans les prisons d'Orléans; il ne devait en sortir que pour être massacré à Versailles, le 9 septembre.

Pendant qu'on délibérait ainsi, le commandant en second de la garde, M. d'Hervilly, vint dire à Malouet et à Montmorin: «Quel que soit le décret, je suis sûr de mon corps, et si le Roi le permet, avec dix-huit cents hommes [1054], je chasserai l'Assemblée demain.» Mais le Roi ne le permit pas. Vainement Malouet et Montmorin le supplièrent-ils de ne pas sanctionner le décret de suppression. Vainement M. d'Hervilly lui renouvela-t-il, avec les plus vives instances, la proposition de fondre sur les Jacobins et les factieux de l'Assemblée. «Les scélérats, dit-il, sont faibles, quand on leur résiste, et ce jour peut être un jour bien précieux pour défendre la cause royale. Si nous réussissons, nous ferons le bonheur de la France; si nous succombons, désavouez-moi, accusez-moi et faites tomber sur moi la colère de l'Assemblée.» Vainement fit-on remarquer au Roi que cette avant-garde de M. d'Hervilly pourrait être appuyée par six mille royalistes, enrôlés à Paris par M. de Clermont-Tonnerre. Le Roi, toujours effrayé de la perspective d'un conflit, refusa, et la Reine, à qui souriait toute résolution énergique, mais qui devait s'incliner devant la volonté de son époux, ne put que dire à Mme de Tourzel: «La proposition de M. d'Hervilly est grande et honorable; mais le Roi ne peut se déterminer à l'accepter; et dans cette position, je me reprocherais d'influencer sa décision [1055]

Louis XVI était désarmé; tout lui manquait à la fois; sa garde était licencée, et les Constitutionnels, impuissants et mal écoutés, l'abandonnaient. Barnave, à son tour, s'éloigna, après avoir demandé à la Reine, comme une faveur suprême, l'honneur de lui baiser la main. La Reine lui accorda cette grâce et vit partir les larmes aux yeux, profondément émue elle-même, ce conseiller de la dernière heure, dont elle avait apprécié les nobles sentiments, sans en accepter les idées, et qui devait payer de sa vie son tardif dévouement [1056].

Mais l'Assemblée ne désarmait pas. Le 26 mai, elle avait, par un décret, condamné à la déportation tout prêtre insermenté qui serait dénoncé par vingt citoyens actifs. Le 8 juin, elle décida qu'un camp de vingt mille hommes, composé de cinq hommes par canton, serait formé sous Paris pour le 14 juillet suivant, afin de renouveler la fête de la Fédération et de resserrer ainsi les liens de fraternité entre les départements et la capitale. En réalité, c'était amener sous les murs de Paris une force de vingt mille révolutionnaires, à la disposition des clubs, préparer des soldats pour toutes les émeutes, et constituer à l'Assemblée la garde qu'on avait refusée au Roi. Le projet avait été arrêté aux Jacobins, et le ministre de la guerre, Servan, l'avait présenté à l'Assemblée, sans en avoir parlé au Conseil, ni même en avoir prévenu le prince. Les deux décrets insultaient à la fois Louis XVI dans sa dignité, le menaçaient dans son pouvoir, le froissaient dans sa conscience; il refusa, ou tout au moins ajourna sa sanction. Les trois ministres girondins, Roland, Clavière et Servan, qui, depuis leur entrée aux affaires, n'avaient cessé d'intriguer presque publiquement contre celui qu'ils devaient conseiller et défendre, achevaient de rendre le ministère impossible. Le 10 juin, Roland mit le comble à ces attaques en écrivant au Roi, sous l'inspiration et par la plume de sa femme, une lettre insolente dont, par une suprême inconvenance, il donna lecture en plein Conseil, après avoir juré de la tenir secrète. Dans cette lettre que Dumouriez a traitée «d'impudente diatribe [1057]» et que le dernier éditeur des Mémoires de Mme Roland a qualifiée de «violence inutile et de vilaine action [1058]», Roland censurait brutalement la conduite de Louis XVI et de Marie-Antoinette, intimait au monarque l'ordre de changer de confesseur, et s'emportait jusqu'à l'appeler parjure [1059]. Il le sommait d'exécuter les volontés de la Gironde et l'avertissait que, s'il refusait de sanctionner les décrets, il susciterait contre lui «l'implacable défiance d'un peuple contristé qui ne verrait plus dans son Roi que l'ami et le complice des conspirateurs [1060]». C'en était trop; le 13 juin, Louis XVI renvoya les trois ministres et chargea Dumouriez de leur donner des successeurs. L'Assemblée répondit à cet acte de vigueur, en déclarant que les ministres congédiés emportaient sa confiance, et décrétant l'impression de la lettre de Roland et son envoi aux quatre-vingt-trois départements.

Dumouriez demeurait chef du cabinet et Louis XVI se sentait attiré vers cette nature complexe qui ne ressemblait en rien aux ministres qu'il avait destitués; mais Dumouriez déclara qu'il ne pouvait rester d'une manière utile, si la sanction royale n'était donnée aux deux décrets, s'engageant d'ailleurs à transporter à Soissons le camp que Servan voulait former près de Paris. Malgré sa répugnance à réunir ainsi, comme disait la Reine, «vingt mille coquins qui pouvaient le massacrer,» le Roi avait fini par consentir à ce que demandait son ministre, au moins pour le décret du 8 juin; mais, sur le décret contre les prêtres, après un moment d'hésitation et malgré les pressantes instances du général, il demeura inflexible.

Le 15 juin, Dumouriez donna sa démission, résolu à quitter Paris et à se rendre à l'armée. Mais, avant de partir, le 18 juin, il alla prendre congé du Roi; l'entrevue fut émouvante. Dumouriez fit une dernière tentative pour vaincre ce qu'il appelait les «scrupules» du souverain; il lui représenta avec force les dangers d'un refus, l'impopularité du clergé; il lui peignit, avec des accents pathétiques, les prêtres massacrés, sa couronne menacée, lui-même, sa femme, ses enfants en proie aux fureurs populaires. «Je m'attends à la mort, répondit le prince simplement, et je leur pardonne d'avance.» Mais il persista dans sa résolution, ne voulant pas ajouter à toutes les peines qu'il endurait la peine plus cuisante d'un remords [1061].

«Dumouriez se retira, a dit un éminent historien, sans avoir compris la grandeur de cette scène, ni la portée du rôle qu'il y avait joué; sans avoir senti qu'il était là pour démontrer à quel point la majesté du devoir est supérieure aux considérations de la politique [1062]

Quelques jours après, il partait pour l'armée de Lukner, dont il allait prendre le commandement.

Le 19 juin, usant de son droit constitutionnel, et sollicité d'ailleurs par le Directoire du département de la Seine et par une pétition couverte de huit mille signatures, le Roi opposait formellement son veto aux deux décrets, dont l'un était la plus grave des atteintes à la liberté de conscience proclamée par la Constitution, dont l'autre était une menace perpétuelle pour l'ordre et la liberté du gouvernement.

C'était, par un acte parfaitement légal et légitime, jeter le gant à l'Assemblée qui avait voté ces décrets, à la Gironde qui les avait présentés, aux Jacobins qui les avaient conçus, à la populace qui s'agitait dans les faubourgs. Le gant ne devait pas tarder à être relevé. Le Roi ne l'ignorait pas, et, le jour même où il refusait sa sanction aux décrets, il écrivait à son confesseur, M. Hébert, supérieur des Eudistes [1063]:

«Venez me voir; je n'eus jamais autant besoin de vos consolations. J'ai fini avec les hommes; c'est vers le ciel que se portent mes regards. On annonce pour demain de grands malheurs; j'aurai du courage [1064]


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