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Histoire de Marie-Antoinette, Volume 2 (of 2)

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Procès de la Reine.—Décret de la Convention.—Premier interrogatoire de Marie-Antoinette.—Chauveau-Lagarde et Tronçon-Ducoudray sont désignés pour la défendre.—Le tribunal.—Les jurés.—Audience du 14 octobre.—Acte d'accusation.—Les témoins.—Déposition d'Hébert.—Mot sublime de la Reine.—Manuel et Bailly.—L'officier de gendarmerie de Busne.—Audience du 15 octobre.—Interrogatoire du président.—Tisset et Garnerin.—Réquisitoire de Fouquier-Tinville.—Discours des défenseurs.—Condamnation.—La Reine est ramenée à la Conciergerie.

Il y avait deux mois déjà que la Reine avait été transférée à la Conciergerie pour être traduite au Tribunal révolutionnaire, et la haine de ses ennemis n'avait pu encore dresser contre elle un acte d'accusation. Vainement Hébert, jaloux de faire oublier par un redoublement de violence un instant de pitié, vainement Hébert, impatient de voir «raccourcir la louve autrichienne», s'écriait-il: «On cherche midi à quatorze heures pour juger la tigresse d'Autriche, et l'on demande des preuves pour la condamner, tandis que, si on lui rendait justice, elle devrait être hachée comme chair à pâté [1626].» Vainement l'imagination atroce des pourvoyeurs habituels de la guillotine se mettait-elle en campagne, forgeant des prétextes et inventant des crimes. L'œuvre de Héron, même revue et corrigée par Marat, était si absurde, que le Comité de Sûreté générale renonçait à s'en servir [1627]. Le 3 octobre, Billaud-Varennes montait à la tribune: «La femme Capet, dit-il, n'est pas punie... Je demande que la Convention décrète expressément que le Tribunal révolutionnaire s'occupera immédiatement du procès et du jugement de la femme Capet.» Le décret fut rendu; mais, deux jours après, le 5 octobre, Fouquier-Tinville se plaignait qu'en le lui transmettant on ne lui eût transmis en même temps «aucunes pièces relatives à Marie-Antoinette [1628]». Le Tribunal ne savait que faire et Fouquier avait des scrupules. Le Comité de Salut public lui ouvrit les Archives nationales, lui fit communiquer le dossier du procès de Louis XVI; peine inutile: on n'y trouva rien. A bout de ressources, Pache, Chaumette et Hébert se transportèrent au Temple, le lundi 7 octobre, torturèrent longuement par d'infâmes questions Madame Royale et Mme Élisabeth [1629]; ils ne purent tirer de leurs réponses aucune dénonciation contre la Reine. Mais, plus heureux, la veille, avec Louis XVII, ils avaient arraché à l'innocence d'un enfant de huit ans, gorgé d'eau-de-vie et terrorisé par les brutalités de Simon, une odieuse calomnie contre sa mère.

Fouquier-Tinville pouvait désormais poser les bases de son «œuvre d'enfer»; son imagination et la haine populaire feraient le reste.

Le 12 octobre, à six heures du soir. Marie-Antoinette fut appelée au Palais de justice dans la grande salle d'audience. Vêtue d'une misérable robe noire, elle alla s'asseoir en face de l'accusateur public, sur une banquette, entre deux gendarmes. La salle était sombre. Deux maigres bougies, placées devant le greffier Fabricius, projetaient seules une lueur insuffisante et la Reine ne pouvait distinguer, dans l'ombre où ils se cachaient, les puissants du jour, qui venaient assister, avec une curiosité fiévreuse et méchante, à l'agonie de la veuve du dernier roi de France.

Le président Herman commence l'interrogatoire; il passe en revue tout l'édifice laborieusement élevé par Fouquier, tous les griefs des révolutionnaires contre cette femme qui seule a tenu tête à la Révolution: les prétendus millions envoyés à son frère, les relations avec les Princes, le soi-disant Comité autrichien, le veto opposé aux décrets contre les émigrés et contre les prêtres, les complots contre le peuple.

D—«C'est vous qui avez appris à Louis Capet cet art d'une profonde dissimulation avec laquelle il a trompé trop longtemps le peuple français, qui ne se doutait pas qu'on pût porter à un tel point la scélératesse et la perfidie?»

R—«Oui, le peuple a été trompé; il l'a été cruellement; mais ce n'est ni par mon mari ni par moi.»

On arrive à la fuite de Varennes.

D—«Vous avez été l'instigatrice principale de la trahison de Louis Capet; c'est par vos conseils, et peut-être par vos persécutions, qu'il a voulu fuir la France, pour se mettre à la tête des furieux qui voulaient déchirer leur patrie?»

R—«Mon époux n'avait jamais voulu fuir la France; je l'ai suivi partout; mais, s'il avait voulu sortir de son pays, j'aurais employé tous les moyens pour l'en dissuader; mais ce n'était pas son intention.»

On presse la Reine de questions sur ce sujet, comme on l'en avait pressée lors de l'affaire de l'œillet. Comme au 4 septembre, elle répond avec un sang-froid et une présence d'esprit qui ne se démentent pas et qui confondent Herman.

D—«Vous n'avez jamais cessé un moment de vouloir détruire la liberté; vous vouliez régner à quelque prix que ce fût, et remonter au trône sur les cadavres des patriotes?»

R—«Nous n'avions pas besoin de remonter sur le trône, puisque nous y étions; nous n'avons jamais désiré que le bonheur de la France, qu'elle fût heureuse; mais qu'elle le soit, nous serons toujours contents.»

..... D—«Quel intérêt mettez-vous aux armes de la République?»

R—«Le bonheur de la France est celui que je désire par-dessus tout.»

D—«Vous regrettez sans doute que votre fils ait perdu un trône sur lequel il eût pût monter, si le peuple, enfin éclairé sur ses droits, n'eût pas brisé ce trône?»

R—«Je ne regretterai rien pour mon fils, quand mon pays sera heureux.»

Herman revient sur le banquet des gardes du corps, les journées d'octobre, les relations de la Reine au Temple et à la Conciergerie avec les administrateurs de police et les officiers municipaux, le complot de l'œillet, etc., épiant les réponses de l'auguste accusée, cherchant à en faire sortir quelque aveu qui puisse étayer le monstrueux et fragile échafaudage de Fouquier, la guettant, pour ainsi dire, dans cette pénombre, comme le tigre guette sa proie..... La Reine lui répond avec une rare aisance et une dignité simple, sans morgue et sans faiblesse; dans cet enchevêtrement de questions embrouillées et confondues à dessein, elle démêle les pièges, elle déjoue les ruses, et, avec un tact étonnant, elle sait à la fois se défendre et ne compromettre personne.

Herman, vaincu dans la lutte, lui nomme d'office deux défenseurs, Chauveau-Lagarde et Tronçon-Ducoudray, et donne l'ordre de la reconduire à la Conciergerie. La Reine rentre dans son cachot, où, à partir de ce jour, on la replace sous la surveillance spéciale d'un officier de gendarmerie, qui ne la quitte plus [1630].

Chauveau-Lagarde était à la campagne, lorsqu'on vint lui annoncer la grande et douloureuse mission qui lui était confiée [1631]. Il partit aussitôt pour Paris, et, le 13 au soir, se rendit à la Conciergerie, avec son collègue Tronçon-Ducoudray. La veille, Fouquier-Tinville avait déposé au greffe du Tribunal révolutionnaire l'acte d'accusation qu'il avait réussi à dresser. La Reine en prit connaissance avec une dédaigneuse fermeté et se contenta de faire froidement diverses observations, sans s'inquiéter de la présence du gendarme qui pouvait l'entendre. Plus ému qu'elle et effrayé du volumineux et informe amas de pièces qui constituait le dossier, l'avocat la pria de réclamer un délai indispensable pour l'examen de ces pièces. «A qui faut-il s'adresser?» demanda-t-elle.—«A la Convention nationale,» murmura à mi-voix le défenseur.—«Non,» reprit-elle vivement, en détournant la tête; «non jamais!» Sa fierté de reine et sa dignité de veuve se refusaient à reconnaître l'autorité des assassins de son mari.

Chauveau-Lagarde insista, fit valoir l'intérêt de la mémoire de Louis XVI, celui de ses enfants, celui de Mme Élisabeth et, dit-il, «à ces mots de sœur, d'épouse et de mère, la nature l'emporta sur la souveraine, et la Reine, sans proférer une parole, mais laissant échapper un soupir, prit la plume, et écrivit à l'Assemblée, en notre nom, deux mots pleins de noblesse et de dignité, par lesquels en effet elle se plaignait de ce qu'on ne nous avait pas laissé le temps d'examiner les pièces du procès et réclamait pour nous les délais nécessaires [1632]

La demande, transmise à l'accusateur public, demeura sans réponse. Le lendemain, lundi 14 octobre, à huit heures du matin, les débats commençaient.

Les juges et les jurés sont à leur poste. Les juges, ce sont: Herman, président, Coffinhal, l'âme damnée de Robespierre, son séide le plus énergique, Deliège, Maire, Donzé-Verteuil. Les jurés, ce sont: l'ex-marquis Antonelle, Renaudin, l'un des plus atroces parmi cette bande d'hommes atroces ou lâches [1633], Fiévée, Besnard, Thoumain, Desboisseaux, Baron, Sambat, Devèze, le chirurgien Souberbielle, qui veut se récuser et auquel le président impose silence en ces termes: «Si quelqu'un avait à te récuser, ce serait l'accusation; car tu as donné des soins à l'accusée, et tu aurais pu être touché de la grandeur de son infortune [1634];» le limonadier Chrétien, le musicien Lumière, l'imprimeur Nicolas, le perruquier Ganney, le menuisier Trinchard, joyeux d'avoir à juger «la bête féroce qui a dévoré une partie de la République [1635]».

La Reine est introduite; par un reste de coquetterie féminine, suivant Mercier, ou plutôt par un impérissable sentiment de dignité, elle a donné plus de soins à sa toilette de veuve; ses cheveux, blanchis par la douleur, sont arrangés avec plus d'art; elle a ajouté à son bonnet de linon ordinaire deux barbes volantes, et, sous ces barbes, ajusté un crêpe noir. Elle se tient là, majestueuse et fière, devant ces hommes qui se disent ses juges. Interpellée par le président, elle déclare se nommer Marie-Antoinette d'Autriche, âgée d'environ trente-huit ans, veuve du Roi de France, se trouvant, lors de son arrestation, dans le lieu des séances de l'Assemblée nationale.

La salle est comble. Plusieurs membres du Comité de Sûreté générale, Vadier, Amar, Vouland, Moïse Bayle, sont assis à côté de l'accusateur public, surveillant les jurés et l'auditoire, encourageant les hésitants, soutenant les faibles, épiant l'agonie de leur victime [1636]. Les tricoteuses aussi sont à leur poste; depuis l'institution du Tribunal révolutionnaire, elles n'ont point eu encore une pareille bonne fortune, et elles viennent se repaître des souffrances de celle qui fut une reine, et une reine adorée.

Herman recommande aux jurés la fermeté et l'impartialité! Puis, s'adressant à l'accusée, il l'engage à être attentif (sic) à ce qu'elle va entendre. On fait l'appel des témoins et le greffier Fabricius donne lecture de l'acte d'accusation.

Antoine Quentin Fouquier-Tinville, accusateur public près le Tribunal révolutionnaire,

«Expose...... qu'examen fait de toutes les pièces transmises à l'accusateur public, il en résulte qu'à l'instar des Messaline, Brunehaut, Frédégonde et Médicis, que l'on qualifiait autrefois de reines de France, et dont les noms, à jamais odieux, ne s'effaceront pas des fastes de l'histoire, Marie-Antoinette, veuve de Louis Capet, a été, depuis son séjour en France, le fléau et la sangsue des Français; qu'avant l'heureuse révolution qui a rendu au peuple français la souveraineté, elle avait des rapports politiques avec l'homme qualifié de roi de Bohême et de Hongrie; que ces rapports étaient contraires aux intérêts de la France; que non contente, de concert avec les frères de Louis Capet et l'infâme et exécrable Calonne, lors ministre des finances, d'avoir dilapidé d'une manière effroyable les finances de la France (fruit des sueurs du peuple), pour satisfaire à des plaisirs désordonnés et payer les agents de ses intrigues criminelles; il est notoire qu'elle a fait passer, à différentes époques, à l'Empereur, des millions qui lui ont servi et servent encore à soutenir la guerre contre la République, et que c'est par ses dilapidations excessives qu'elle est parvenue à épuiser le Trésor national.»

Fouquier énumère ensuite tous les griefs accumulés par Herman dans le premier interrogatoire. Il accuse la Reine d'avoir ménagé, le 1er octobre 1789, entre les officiers des gardes du corps et ceux du régiment de Flandre «un repas qui avait dégénéré en une véritable orgie, ainsi qu'elle le désirait», d'avoir amené les convives «à chanter, dans l'épanchement de l'ivresse, des chansons exprimant le plus entier dévouement pour le trône et l'aversion la plus caractérisée pour le peuple, à arborer la cocarde blanche et à fouler aux pieds la cocarde nationale»;

D'avoir, «par ses agents, occasionné dans Paris et aux environs une disette qui a donné lieu à une nouvelle insurrection, à la suite de laquelle une foule innombrable de citoyens et de citoyennes se sont portés à Versailles, le 5 du même mois»;

D'avoir «tenu, dans son palais, des conciliabules où a été décidée, avec Lafayette et Bailly, la fuite de Varennes; d'avoir elle-même tout ménagé et tout préparé pour cette évasion, ainsi qu'elle en est convenue elle-même dans son interrogatoire [1637]»;

D'avoir «voulu l'horrible massacre, qui a eu lieu le 17 juillet 1791, des plus zélés patriotes qui se sont trouvés au Champ-de-Mars»; d'avoir «imaginé de faire discuter, dans ces conciliabules ténébreux, qualifiés depuis longtemps avec raison de Cabinet autrichien, contre (sic) les lois qui étaient portées par l'Assemblée législative».

Il expose encore:

«Que la veuve Capet a médité et combiné avec ses perfides agents l'horrible conspiration qui a éclaté dans la journée du 10 août, laquelle n'a échoué que par les efforts courageux et incroyables des patriotes; qu'à cette fin elle a réuni dans son habitation, aux Tuileries, jusque dans les souterrains, les Suisses qui, aux termes des décrets, ne devaient plus composer la garde de Louis Capet; qu'elle les a entretenus dans un état d'ivresse, depuis le 9 jusqu'au 10 au matin, jour convenu pour l'exécution de cette horrible conspiration; qu'elle a réuni également, et dans le même dessein, dès le 9, une foule de ces êtres qualifiés de Chevaliers du poignard, qui avaient figuré déjà dans le même lieu, le 28 février 1791, et depuis, à l'époque du 20 juin 1792;

«Que la veuve Capet, craignant sans doute que cette conspiration n'eût pas tout l'effet qu'elle s'en était promise (sic), a été, dans la soirée du 9 août, vers les neuf heures et demie du soir, dans la salle où les Suisses ou autres, à elle dévoués, travaillaient à des cartouches; qu'en même temps qu'elle les encourageait à hâter la confection de ces cartouches, pour les exciter de plus en plus, elle a pris des cartouches et a mordu les balles,—les expressions me manquent pour rendre un trait aussi atroce...;—» qu'on ne peut douter «qu'il n'ait été convenu, dans le conciliabule qui a eu lieu toute la nuit, qu'il fallait tirer sur le peuple, et que Louis Capet et Marie-Antoinette, qui était la grande directrice de cette conspiration, n'ait elle-même donné l'ordre de tirer.»

Fouquier relevait ensuite, mais à la fin de son réquisitoire, en quelques phrases rapides, et comme si lui-même en avait eu honte, l'infâme calomnie qui n'avait pu naître que dans l'imagination dévergondée du Père Duchesne, et il résumait toute son œuvre en trois chefs principaux. La Reine était accusée:

«1o D'avoir méchamment et à dessein, de concert avec les frères de Louis Capet et l'ex-ministre Calonne, dilapidé d'une manière effroyable les finances de la France, et d'avoir fait passer des sommes incalculables à l'Empereur et d'avoir ainsi épuisé le trésor national;»

«2o D'avoir, tant par elle que par ses agents contre-révolutionnaires, entretenu des intelligences et des correspondances avec les ennemis de la République, d'avoir informé et fait informer ces mêmes ennemis des plans d'attaque et de campagne, convenus et arrêtés dans le Conseil;»

«3o D'avoir, par ses intrigues et ses manœuvres, et celles de ses agents, tramé des conspirations et des complots contre la sûreté intérieure et extérieure de la France, et d'avoir, à cet effet, allumé la guerre civile dans divers points de la République et armé les citoyens les uns contre les autres, et d'avoir, par ce moyen, fait couler le sang d'un nombre incalculable de citoyens.»

Voilà l'accusation; mais où sont les preuves? Quelles pièces Fouquier a-t-il produites à l'appui de son dire?

Les pièces, on n'a même pas laissé aux défenseurs le temps de les vérifier. Les preuves, il n'y en a pas. Ce sera aux témoins à les fournir, s'ils le peuvent.

La Reine a écouté en silence la longue lecture du greffier; elle n'a laissé paraître aucun signe d'émotion. A peine, lorsque Fouquier a repris la calomnie d'Hébert, un imperceptible mouvement de dédain a-t-il plissé ses lèvres; mais sa contenance est restée calme et assurée. Le reste du temps, elle a laissé ses doigts errer insoucieusement sur la barre du fauteuil où elle est assise, comme sur un forté piano [1638].

L'audition des témoins commence. Le premier introduit, c'est Lecointre, de Versailles; Lecointre, qui jadis se proclamait «un des sujets les plus fidèles» du Roi et de la Reine [1639], aujourd'hui et depuis quatre ans un de leurs ennemis les plus acharnés; Lecointre, un de ceux sur qui a pesé le plus lourdement la responsabilité des journées d'octobre 1789. C'est sur ces journées qu'il est appelé à s'expliquer. Il renouvelle toutes les diatribes qu'il a jadis inspirées au journal de Gorsas; il s'étudie à charger Marie-Antoinette. Marie-Antoinette ne répond que par des dénégations nettes et précises aux allégations de Lecointre et aux questions du président.

L'adjudant général Lapierre et le canonnier Roussillon déposent, le premier sur la fuite de Varennes, le second sur la journée du 10 août. Roussillon a vu, prétend-il, lors du pillage des Tuileries, des bouteilles sous le lit de l'accusée, preuve évidente qu'elle avait fait boire les Suisses pour les enivrer. Ici encore la Reine n'oppose qu'un fier démenti aux insinuations grotesques de cet aboyeur subalterne. Il semble d'ailleurs que, dans les récits des témoins, on cherche moins des preuves contre elle qui est perdue d'avance, que contre certains personnages qu'on veut perdre, contre Lafayette, Bailly, Pétion, ou des administrateurs de police, tels que Michonis, Marino, Jobert, etc. L'accusation n'avance pas, quand on introduit Hébert.

Hébert raconte des choses vagues: il a trouvé dans un livre de l'accusée des signes contre-révolutionnaires, un cœur percé d'une flèche; il soupçonne Toulan de s'être découvert devant les membres de l'ex-famille royale. Puis ce misérable qui a toutes les bassesses, cet homme qui a vécu comme un infâme et qui mourra comme un lâche, reprend dans le détail l'immonde calomnie qui a fourni à Fouquier le dernier paragraphe de son acte d'accusation.

Chose étrange! l'auditoire reste silencieux; les applaudissements sur lesquels Hébert a compté lui manquent; les tricoteuses ont elles-donc plus de pudeur que lui? Le président lui-même, dans les questions qu'il pose à l'accusée, semble oublier la déclaration du substitut du procureur de la Commune; il l'interroge sur Michonis, sur l'affaire de l'œillet, et il laisse dans l'ombre, par un reste de vergogne peut-être, les récits odieux du Père Duchesne.

Mais il se rencontre un homme qui n'a pas moins d'impudeur qu'Hébert. Un juré,—pourquoi n'a-t-on pas imprimé son nom? a-t-il rougi, plus tard, ou l'éditeur du Bulletin du Tribunal révolutionnaire a-t-il rougi pour lui?—un juré anonyme interpelle Herman:

«Citoyen président, dit-il, je vous invite à vouloir bien faire observer à l'accusée qu'elle n'a pas répondu sur le fait dont a parlé le citoyen Hébert, à l'égard de ce qui s'est passé entre elle et son fils.»

Cet homme doit être content; son infamie est couronnée de succès. La Reine jusqu'ici n'a opposé qu'un front d'airain et un cœur impassible aux allégations des témoins comme aux déclamations de l'accusateur public. A la question du juré, son front rougit et son cœur s'émeut; elle se soulève à demi sur son fauteuil, et, d'un geste indigné, d'une voix vibrante:

«Si je n'ai pas répondu, dit-elle, c'est que la nature se refuse à répondre à une pareille inculpation faite à une mère.»

Et jetant un regard sur l'auditoire:

«J'en appelle, continue-t-elle, à toutes celles qui peuvent se trouver ici!»

Devant ce cri sublime du cœur d'une mère, je ne sais quel courant magnétique passe dans l'assistance; les tricoteuses se sentent remuées malgré elles; peu s'en faut qu'elles n'applaudissent, comme elles ont applaudi au 6 octobre. On entend des cris déchirants; des femmes, dit-on, sont emportées évanouies, et le tribunal est réduit à menacer les perturbateurs de l'ordre [1640]. Hébert frémit et baisse la tête: le cri de la Reine l'a frappé à mort [1641].

Pour couper court aux impressions trop favorables à l'accusée, au gré des juges, on reprend l'audition des témoins. Mais le notaire Silly essaie en vain de réveiller les haines, en déposant, sur la fuite du 20 juin 1791. L'attention n'est plus là; il faut donner à l'émotion des assistants le temps de se calmer, et, à trois heures [1642], l'audience est suspendue.

Tant de secousses n'ont point abattu la Reine; sa conscience la soutient. «Vois-tu comme elle est fière?» murmure une femme, en la voyant quitter la salle d'un pas assuré. La Reine entend ce mot; elle s'en émeut; elle a peur d'avoir mis trop de dignité dans ses réponses [1643]. Puis se tournant vers ses défenseurs, elle leur demande ce qu'ils pensent des déclarations des témoins, et sur l'assurance qu'ils lui donnent qu'il ne résulte encore rien de positif des débats: «Je ne crains que Manuel,» dit-elle.

A cinq heures, l'audience est reprise. Les dépositions continuent; mais, comme le matin, pas un fait précis, pas une articulation appuyée sur des preuves; des récriminations, des insinuations vagues, des suppositions.

Terrasson a vu l'accusée, au retour de Varennes, jeter sur les gardes nationaux «le coup d'œil le plus vindicatif». Reine Millot, «fille domestique,» a entendu dire, en 1788, au duc de Coigny, que Marie-Antoinette avait fait passer à son frère au moins vingt millions, comme s'il était vraisemblable que M. de Coigny, dont elle ne sait même pas le titre, puisqu'elle le qualifie de comte, eût été faire des confidences de ce genre à une servante de bas étage. Elle sait encore qu'un jour la Reine avait sur elle deux pistolets pour tuer le duc d'Orléans et que le Roi a dû la mettre quinze jours aux arrêts dans sa chambre. Comment le sait-elle? Elle ne le dit pas. Labenette, le rédacteur du Journal du diable, l'émule subalterne de Marat, déclare que la Reine a envoyé trois hommes pour l'assassiner. Et en dehors de ces affirmations ridicules ou odieuses, pas une preuve, rien, absolument rien.

Manuel lui-même, le seul témoin que Marie-Antoinette semble redouter, Manuel ne l'accuse pas. Il se contente de protester qu'il n'a jamais eu de relations avec la Cour ni avec la femme du ci-devant Roi. Et, à vrai dire, dans ce procès, Manuel, comme Bailly qui lui succède, tous deux exemples mémorables de l'inconstance des enthousiasmes populaires, Manuel est plutôt accusé que témoin. En vain fait-on comparaître toute une nouvelle série de témoins; en vain relève-t-on l'affaire de l'œillet; en vain Dufraisne Gilbert, les Richard, la femme Harel, sont-ils pressés de questions sur la visite de Rougeville à la Conciergerie. Rien encore. A onze heures du soir, la séance est levée: juges, jurés et témoins ont besoin de repos.

La Reine, accablée de fatigue, torturée par ces longs débats de quinze heures, épuisée de chaleur, d'indignation, de dédain, la Reine a soif; elle demande à boire. Les huissiers sont absents; dans cette foule où chacun, dix ans auparavant, eût brigué l'honneur d'aller lui chercher un verre d'eau et le lui eût présenté à genoux, nul n'a le courage de lui rendre un service que réclame la plus simple humanité. Seul, l'officier de gendarmerie qui l'accompagne, de Busne, ose se dévouer: il lui donne à boire [1644]. La Reine se sent défaillir; sa vue se trouble; en retournant à son cachot, elle se trouve presque mal: «Je n'y vois plus, murmure-t-elle; je n'en peux plus; je ne saurais marcher.» Respectueux, ému de compassion, de Busne lui offre le bras et l'aide à descendre les trois marches glissantes qui conduisent à sa chambre. Le lendemain matin, de Busne, suspect d'humanité et convaincu de pitié contre-révolutionnaire, est jeté en prison à son tour [1645].

Le 15, à neuf heures du matin, l'audience est reprise. C'est le dernier jour de cette horrible agonie; le lendemain, ce sera le jour de la mort.

Le premier témoin qui paraît, c'est le vainqueur des Antilles, d'Estaing, «matelot et soldat,» comme il s'intitule; d'Estaing, qui a l'intelligence et la valeur leur militaires, mais auquel manque un sens, le sens du respect de soi-même et des autres. D'Estaing commence par dire qu'il a à se plaindre de l'accusée, qui l'a empêché d'être maréchal de France: mais il n'apporte aucune charge contre elle, et sa déposition même est un hommage au grand cœur de la Reine: «Si les Parisiens viennent ici pour m'assassiner,» lui a-t-il entendu dire le 5 octobre, «c'est aux pieds de mon mari que je le serai; mais je ne fuirai pas.»

A d'Estaing succèdent les deux la Tour du Pin, ses anciens compagnons d'armes, bientôt ses compagnons d'échafaud,—tous trois seront guillotinés le 28 avril 1794,—ses égaux en grade, ses supérieurs en grandeur morale. Pas plus que celle de d'Estaing, leurs dépositions ne chargent la Reine. L'ancien ministre de la guerre la salue avec le même respect que jadis dans les galeries de Versailles. On lui demande s'il connaît l'accusée. «Ah! oui, répond-il en s'inclinant, j'ai l'honneur de connaître Madame.» Inculpé comme elle, il se défend et la défend avec une aisance et un courage qui déconcertent les juges. On cherchait des accusateurs, on ne trouve que des apologistes.

Et pourtant la passion d'Herman est ingénieuse à harceler Marie-Antoinette. Il revient sans cesse sur les anciens griefs allégués contre elle; il met à nu toute sa vie; il ramasse dans les pamphlets des courtisans et dans ceux des démagogues les vieilles calomnies, enfantées par les haines d'antichambre et les haines de la rue; les dépenses de Trianon, le procès du Collier, la nomination de ministres liberticides, les prétendus millions envoyés à l'Empereur.

D.—«Où avez-vous pris l'argent avec lequel vous avez fait construire et meubler le Petit Trianon, dans lequel vous donniez des fêtes dont vous étiez toujours la déesse?»

R.—«C'était un fonds que l'on avait destiné à cet effet.»

D.—«Il fallait que ce fonds fut conséquent; car le Petit Trianon doit avoir coûté des sommes énormes.»

R.—«Il est possible que le Petit Trianon ait coûté des sommes immenses, peut-être plus que je ne l'aurais désiré; on avait été entraîné dans les dépenses peu à peu. Du reste, je désire plus que personne que l'on soit instruit de ce qui s'y est passé [1646]

D.—«N'est-ce pas au Petit Trianon que vous avez connu pour la première fois la femme la Motte?»

R.—«Je ne l'ai jamais vue.»

D.—«N'a-t-elle pas été votre victime dans l'affaire du fameux collier?»

R.—«Elle n'a pas pu l'être, puisque je ne la connaissais pas.»

D.—«Vous persistez donc à nier que vous l'avez connue?»

R.—«Mon plan n'est pas la dénégation; c'est la vérité que j'ai dite et que je continuerai à dire.»

D.—«N'avez-vous pas forcé les ministres des finances de vous délivrer des fonds, et, sur ce que quelques-uns d'entre eux s'y sont refusés, ne les avez-vous pas menacés de votre indignation?»

R.—«Jamais!»

D.—«N'avez-vous pas sollicité Vergennes à faire passer six millions au Roi de Bohême et de Hongrie?»

R.—«Non.»

On ouvre un paquet, scellé du cachet de la Commune et renfermant les objets trouvés sur la Reine, le 2 août, au moment où elle a été écrouée à la Conciergerie. Il y a là des portefeuilles, des portraits, des cheveux [1647]. L'accusation n'y pourrait-elle découvrir quelque pièce de conviction contre l'accusée? Ne seraient-ce point par hasard des insignes contre-révolutionnaires? Et ce portefeuille de maroquin rouge ou ce livret de moire verte n'auraient-ils pas reçu la confidence de quelque complot contre la liberté? Non, ces portraits sont ceux de la princesse de Lamballe et de deux amies d'enfance, les «Dames de Mecklembourg et de Hesse». Ce portefeuille ne contient que l'adresse du médecin de la Reine ou des femmes chargées de son linge. Ces cheveux sont ceux de son mari et de ses enfants.

A défaut d'accusateurs parmi les serviteurs de l'ancien régime et de l'ancienne Cour, ou parmi les hommes de 89, va-t-on au moins en trouver chez les serviteurs de la Révolution, chez les hommes de 93, chez les séides de Robespierre et d'Hébert? Les voici qui défilent devant le Tribunal. Voici Simon, le «gouverneur du fils Capet». Voici Mathey, le concierge de la Tour du Temple. Ont-ils quelque chose de sérieux à alléguer? Contre les administrateurs de police, des accusations vagues, des propos insignifiants, des hypothèses; contre la Reine, rien.

En voici un, cependant, un espion de police, Tisset, l'auteur d'un recueil infâme, le Compte rendu aux sans-culottes de la République française par très haute, très puissante et très expéditive dame Guillotine, qui, plus heureux ou plus habile que les autres, arrive les mains pleines de faits. Tisset a découvert, chez le trésorier de la liste civile, Septeuil, de nombreuses notes de paiements faits à Favras, Bouillé et autres conspirateurs. Il a vu, il a tenu dans ses doigts deux bons de quatre-vingt mille livres, signés Antoinette. Ces bons ont été déposés à la commission des Vingt-Quatre qui, depuis, a été dissoute.

Et voici le ci-devant secrétaire de la commission des Vingt-Quatre, Garnerin, qui déclare avoir vu le bon de quatre-vingt mille livres, signé Antoinette, au profit de la ci-devant Polignac. Ce bon, comme les autres pièces, a été remis à Valazé, membre de la commission. Garnerin en sait même plus long: il sait que la Cour a fait faire des accaparements, pour «procurer un surhaussement dans le prix des denrées et par là dégoûter le peuple de la Révolution et de la liberté». La Reine, interpellée, déclare n'avoir aucune connaissance de ces accaparements; mais elle interroge à son tour; elle demande de quelle date sont ces deux bons qui, pour Garnerin, se réduisent déjà à un seul, et Tisset, troublé, répond que l'un d'eux est du 10 août 1792, comme si, ce jour-là, pendant l'attaque des Tuileries ou dans la loge du Logographe, la Reine avait pu envoyer un bon de quatre-vingt mille livres à Septeuil. L'accusation tombe sous le ridicule, et Valazé lui porte le dernier coup, en transformant le bon de quatre-vingt mille livres en une quittance de quinze ou vingt mille livres, dont il ne se rappelle plus le destinataire. Et cette quittance même, on ne la produit pas.

C'est sur cet échec de l'accusation qu'à trois heures de l'après midi l'audience est suspendue. La Reine n'est pas reconduite dans son cachot; on lui apporte un potage qu'elle prend à la hâte: elle a besoin de forces pour cette dernière et mortelle séance qui ne finira que bien avant dans la nuit.

A cinq heures, le Tribunal rentre dans la salle. Cette fois ce sont les officiers municipaux et les administrateurs de police, Lebœuf, Jobert, Moëlle, Vincent, Bugnot, Dangé, Michonis, etc., qui sont appelés à déposer; mais ces hommes, dont la plupart se sont conduits envers la captive avec une déférence et un dévouement que plusieurs paieront de leur tête, n'ont rien à alléguer contre elle. Brunier, médecin des Enfants de France, qui a été mandé à diverses reprises au Temple pour leur donner ses soins, n'a rien à dire non plus. On lui reproche de ne s'être approché des enfants de l'accusée qu'avec toutes les bassesses de l'ancien régime. «C'était bienséance et non bassesse,» répond courageusement Brunier.

Didier-Jourdeuil déclare avoir vu une lettre adressée par l'accusée au commandant des Suisses, le comte d'Affry, dans laquelle elle lui disait: «Peut-on compter sur vos Suisses? Feront-ils bonne contenance quand il sera temps?» Mais cette lettre, Marie-Antoinette la nie, et Jourdeuil ne peut la représenter.

De cette séance comme de celles qui l'ont précédée, que reste-t-il donc? La ridicule déposition de Michel Gointre, qui soupçonne la Reine d'avoir fondé une fabrique de faux assignats à Passy, ou l'absurde question d'Herman, qui lui demande si elle n'a pas conçu le projet de réunir la Lorraine à l'Autriche. Mais d'allégations sérieuses, pas une seule; de pièces authentiques, pas une seule; de bases pour l'œuvre monstrueuse de l'accusateur public, pas une seule. «La Reine, a dit éloquemment un de ses historiens, ne consentit à se justifier que pour justifier les autres et, dans ces longs débats, pas une parole ne lui échappa qui pût mettre un dévouement en péril ou la conscience des juges en repos [1648]

La liste des témoins est épuisée; les angoisses de l'interrogatoire sont finies. Le président demande à l'accusée si elle n'a rien à ajouter à sa défense.

«Hier,» répond-elle simplement, devançant le jugement de l'histoire, «hier je ne connaissais pas les témoins; j'ignorais ce qu'ils allaient déposer contre moi. Eh bien! personne n'a articulé contre moi un fait positif. Je finis en observant que je n'étais que la femme de Louis XVI, et qu'il fallait bien que je me conformasse à ses volontés.»

Herman déclare les débats terminés et Fouquier-Tinville prend la parole. On n'attend pas de nous que nous analysions ce long réquisitoire, qui n'est que la reproduction de l'acte d'accusation, que l'on connaît. Il y a un point, cependant, sur lequel Fouquier n'ose pas revenir: c'est la déposition d'Hébert.

Les défenseurs se lèvent. A minuit, le président les a prévenus que les débats allaient être clos, et qu'ils avaient un quart d'heure pour se préparer. Chauveau-Lagarde parle le premier; il s'est chargé de répondre à l'accusation d'intelligence avec les ennemis de l'extérieur, tandis que son collègue défendra fendra la Reine contre l'accusation d'intelligence avec les ennemis de l'intérieur. «Je ne suis dans cette affaire, dit-il, embarrassé que d'une seule chose, ce n'est pas de trouver des réponses, c'est de trouver des objections [1649].» Et les deux avocats, «avec autant de zèle que d'éloquence», dit le Bulletin du Tribunal révolutionnaire, réduisent à néant l'échafaudage laborieusement élevé par Fouquier.

«Comme vous devez être fatigué, Monsieur Chauveau-Lagarde,» murmure la Reine à l'oreille de son défenseur, «je suis bien sensible à toutes vos peines [1650].» Ces mots sont entendus, et, séance tenante, sous les yeux même de leur auguste cliente, Chauveau-Lagarde et Tronçon-Ducoudray sont arrêtés.

Herman résume les débats, ou plutôt il prononce un nouveau et violent réquisitoire, destiné à montrer aux jurés quelle est la besogne que l'on attend d'eux. «C'est le peuple français, dit-il, qui accuse Marie-Antoinette,» et, retraçant en quelques mots haineux la vie publique de l'accusée, rappelant les événements politiques qui se sont succédé depuis cinq années, évoquant «les mânes de nos frères égorgés par suite des machinations infernales de cette moderne Médicis», il pose les quatre questions suivantes:

«1o Est-il constant qu'il ait existé des manœuvres et intelligences avec les Puissances étrangères et ennemis extérieurs de la République, lesdites manœuvres et intelligences tendant à leur fournir des secours en argent, à leur donner l'entrée du territoire français et à y faciliter les progrès de leurs armes?

«2o Marie-Antoinette d'Autriche, veuve de Louis Capet, est-elle convaincue d'avoir coopéré à ces manœuvres et d'avoir eu ces intelligences?

«3o Est-il constant qu'il a existé un complot et conspiration tendant à allumer la guerre civile dans l'intérieur de la République, en armant les citoyens les uns contre les autres?

«4o Marie-Antoinette d'Autriche, veuve de Louis Capet, est-elle convaincue d'avoir participé à ce complot et conspiration?»

Les jurés se retirent dans la chambre des délibérations, et l'accusée est emmenée [1651]. Au bout d'une heure environ, les jurés rentrent et, à l'unanimité, répondent affirmativement sur toutes les questions.

Par une dernière hypocrisie, Herman exhorte l'assistance à s'interdire toute marque d'approbation, et, faisant ramener Marie-Antoinette, il lui donne lecture de la déclaration du jury.

Fouquier prend la parole, et, conformément à l'article 1er de la 1re section du titre I de la IIe partie du Code pénal, requiert contre l'accusée la peine de mort. Le président demande à la Reine si elle a quelques réclamations à faire sur l'application de la peine. La Reine secoue la tête, sans dire un mot.

Le président consulte ses collègues; le Tribunal opine à haute voix et Herman déclare que Marie-Antoinette de Lorraine d'Autriche, veuve de Louis Capet, est condamnée à la peine de mort.

La Reine reste impassible. Pas une contraction sur son visage; pas une larme dans ses yeux [1652]. Brisée de fatigue, épuisée par la perte de son sang, affaiblie par le manque de nourriture,—elle n'a presque rien pris depuis douze heures,—son incomparable énergie la soutient. Elle ne dit pas un mot, elle ne fait pas un geste; sereine et fière, elle quitte la salle d'audience, la tête haute, et rentre à la Conciergerie, où les gendarmes la conduisent dans le cachot des condamnés à mort [1653].


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